Nous croyons
au contraire (au contraire des uns et des autres, au
contraire de tous les deux ensemble) qu'il y a des forces et des
réalités infiniment plus profondes, et que ce sont les peuples au
contraire qui font la force et la faiblesse des régimes ; et beaucoup
moins les régimes, des peuples. Nous croyons que les uns et les autres
ensemble ils ne voient pas, ils ne veulent pas voir ces forces, ces
réalités infiniment plus profondes. Si la République et les monarchies
voisines jouissent de la même tranquillité, de la même durée, c'est
qu'elles trempent, qu'elles baignent dans le même bain, dans la même
période, qu'elles parcourent ensemble le même long palier. C'est
qu'elles mènent la même vie, au fond, la même diète. Là-dessus les
républicains et les monarchistes font des raisonnements contraires, le
même raisonnement contraire, ils font des raisonnements conjugués. Nous
au contraire, nous autres, nous plaçant sur un tout autre terrain,
descendant sur un tout autre plan, essayant d'atteindre à de tout
autres profondeurs, nous pensons, nous croyons au contraire que ce sont
les peuples qui font les régimes, la paix et la guerre, la force et la
faiblesse, la maladie et la santé des régimes. |
|
Péguy et
Pasolini, tous deux, de
leur temps, dans leur temps et depuis leur temps, ont constaté, ont
fait le constat,
qu'il y avait dans la chose publique des phénomènes de retournement.
Péguy situe en 1881 « le point de retournement », le point de
substitution de la
mystique républicaine par la politique républicaine. Puis ce sera la
première guerre mondiale. Pasolini
situe ce même point de retournement qui va substituer le règne de la
consommation à la mystique de la libération en 1969, et c'est
l'attentat
de la piazza Fontana à Milan, alors attribué à l'extrême gauche mais
désormais connu, et dénoncé comme tel par Pasolini, pour avoir été
perpétré par l'extrême droite manipulée par diverses officines. L'un et
l'autre scrutent les
signes émis par la société. Ils les scrutent, ils
les décèlent selon des modalités équivalentes, qui sont des modalités
poétiques. Et ce sont ces mêmes modalités poétiques qui sont tentées
ici. Il s'agit donc d'abord de
distinguer des signes épars émis par le corps social et de les
rapprocher, sans souci de faire un travail objectif, objectivé,
scientifique, « sciencisé », validé, autorisé. Ce que
constatent Péguy
et Pasolini, avec cette méthodologie, et ce qui est constaté
ici aussi, c'est la place que prend, soudain, la littéralité dans
l'émission sociale des signes, dans le système sémiotique de la
société. Notre société, comme à d'autres époques, a mal à ses signes.
Que l'on nomme cela, avec Bernard Stiegler, « misère
symbolique » ou
qu'on nomme ce mal autrement, par exemple « réification »
avec Adorno,
l'un des symptômes de ce mal, qui est un haut mal, c'est une
modification du rapport entre
le signifié et le signifiant au profit de la littéralité. Quand cette
littéralité s'applique aux religions, elle produit les fondamentalismes
totalitaires, la Sainte Inquisition et le salafisme. Quand elle
s'applique à
l'économie, elle produit le marketing, la publicité, le libéralisme
déshumanisé et sans culture. Et les littéralités s'allient les unes aux
autres et s'augmentent les unes les autres. C'est ce que
constatent Péguy et Pasolini
et c'est aussi ce que nous constatons. |