Vous
nous parlez toujours de la dégradation républicaine. N'y a-t-il
point eu, par le même mouvement, n'y a-t-il point une dégradation
monarchiste, une dégradation royaliste parallèle, complémentaire,
symétrique, plus qu'analogue. C'est-à-dire, proprement parlant, une
dégradation de la mystique monarchiste, royaliste en une certaine
politique, issue d'elle, correspondante, en une, en la politique
monarchiste, en la politique royaliste. N'avons-nous pas vu pendant des
siècles, ne voyons-nous pas tous les jours les effets de cette
politique. N'avons-nous pas assisté pendant des siècles à la dévoration
de la mystique royaliste par la politique royaliste. Et aujourd'hui
même, bien que ce parti ne soit pas au pouvoir, dans ses deux journaux
principaux nous voyons, nous lisons tous les jours les effets, les
misérables résultats d'une politique ; et même, je dirai plus,
pour qui
sait lire, un déchirement continuel, un combat presque douloureux, même
à voir, même pour nous, un débat presque touchant, vraiment touchant
entre une mystique et une politique, entre leur mystique et leur
politique, entre la mystique royaliste et la politique royaliste, la
mystique étant naturellement à l'Action française, sous des formes
rationalistes qui n'ont jamais trompé qu'eux-mêmes, et la politique
étant au Gaulois comme d'habitude sous des formes mondaines. Que
serait-ce s'ils étaient au pouvoir. (Comme nous, hélas). |
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Il en va de
même des contempteurs de l'art contemporain, qui,
fustigeant cette création de leur temps qu'ils exècrent, sans toujours
la
connaître, commettent une double erreur. La première est de considérer
l'œuvre comme partie prenante des échanges sémantiques communs, c'est à
dire comme active dans le champ sémantique créé par la mise en tension
entre un dénoté et un connoté. Supposons une bouilloire, hors du champ
de l'art, elle n'a quasiment pas de littéralité. Elle n'existe que par
son usage,
ou même, par l'intention dont elle est investie. Dès lors, l'image de
la
bouilloire, par exemple,
l'image publicitaire, sera chargée de connoté. L'énoncé :
« Prends
la bouilloire ! » ne se comprend pas en dehors de tout
connoté.
Supposons maintenant
une bouilloire comme œuvre d'art. Elle ne sert pas. Elle ne sert à
rien. L'appréhender comme œuvre, c'est aller directement de sa
littéralité à la littéralité du regardeur, sans passer par
le dénoté, ni par le connoté. « Ce que vous voyez est ce que vous
voyez »
nous a rappelé Franck Stella. Bien sûr, libre au regardeur de laisser
aller son imagination, sa capacité narrative. Mais cela n'aura rien à
voir
avec la bouilloire en tant qu'œuvre d'art. La seconde erreur, à
supposer qu'il n'y en ait que deux,
est équivalente à celle des fondamentalistes de tout crin. Ils se
rejoignent d'ailleurs parfois. Dénonçant ce
qu'ils considèrent être « N'importe quoi ! », c'est à dire quelque
chose qui échappe au sens commun, qui échappe aux échanges sémantiques
communs, ils pensent exclure l'œuvre ainsi dénoncée du champ de l'art
alors même qu'ils l'y installent. Ce qu'ils reprochent à l'œuvre, c'est
sa littéralité, mais, ce faisant, ils l'instituent comme œuvre. Quant
aux thuriféraires de la beauté dans l'art, Malraux les renvoyait déjà
au Bœuf écorché de Rembrandt, ce qui devrait suffire à les confondre.
C'est aussi pourquoi, quand des fondamentalistes trouvent, comme avec
Immersion (Piss Christ),
d'Andres Serrano, une œuvre contemporaine, donc d'emblée détestable,
qu'ils jugent blasphématoire,
leur jouissance est extatique. Renvoyés au tabou, ils se livrent alors,
en
transe, derechef, à des rituels païens. C'est donc bien que ça
marche ! |