Pourquoi le
nier. Toute la génération intermédiaire a perdu le sens
républicain, le goût de la République, l’instinct, plus sûr que toute
connaissance, l’instinct de la mystique républicaine. Elle est devenue
totalement étrangère à cette mystique. La génération intermédiaire, et
ça fait vingt ans. Vingt-cinq ans d’âge et au moins vingt ans de durée.
Nous sommes l’arrière-garde ; et non seulement une arrière-garde, mais
une arrière-garde un peu isolée, quelquefois presque abandonnée. Une
troupe en l’air. Nous sommes presque des spécimens. Nous allons être,
nous-mêmes nous allons être des archives, des archives et des tables,
des fossiles, des témoins, des survivants de ces âges historiques. Des
tables que l’on consultera. Nous sommes extrêmement mal situés. Dans la
chronologie. Dans la succession des générations. Nous sommes une
arrière-garde mal liée, non liée au gros de la troupe, aux générations
antiques. Nous sommes la dernière des générations qui ont la mystique
républicaine. Et notre affaire Dreyfus aura été la dernière des
opérations de la mystique républicaine. Nous sommes les derniers.
Presque les après-derniers. Aussitôt après nous commence un autre âge,
un tout autre monde, le monde de ceux qui ne croient plus à rien, qui
s’en font gloire et orgueil. |
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Depuis
ce temps, depuis ce temps des années 1970, depuis ce temps qui
soufflait des libertés nouvelles, des libertés individuelles, les
choses ont
changé. L'appartenance à un
groupe, l'identité de groupe, cette recherche identitaire nommée à la
légère, et pour tout dire, de façon très inconséquente,
« communautarisme », prime sur l'individu, veut primer sur
l'identité
individuelle, sur la liberté de l'identité. Il faut dès lors chercher à
qui profite
ce mouvement continu
d'agglutination de la société ; à qui profite l'amalgame
communautaire.
Au pouvoir politique ? Un peu. Sans doute. Mais le pouvoir
politique
lui-même subit cette
segmentation. Alors à quel pouvoir ? Qui a besoin d'une
segmentation efficace de la société, d'une segmentation organisée, et
si possible stable, et
même, à l'idéal, figée ? Qui préfère que les goûts, les modes de
vie,
les désirs, tous les désirs soient catégoriques et catégorisés, et
catégorisables ? Qui a besoin de constituer des cibles et que ces
cibles ne soient pas modifiées, et même, à l'idéal, ne soient pas
modifiables ? Une réponse marxisante à ces questions nommerait le
grand
capital. Certes. Mais ce qui entretient ce grand capital, ce qui le
fait
prospérer, c'est bien la consommation. Et ce qui renouvelle cette
consommation, ce qui la développe, ce qui l'infiltre au cœur même de
l'humanité, c'est bien ce que l'on nomme le progrès, ou comme l'aurait
dit
Péguy, la modernité. |