Diégèse | |||||||||
mercredi 27 janvier 2016 | 2016 | ||||||||
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Mais peut-on
prévoir un monde si négatif ? Peut-on prévoir un futur qui
soit « la fin de tout » ? Quelques-uns — comme
moi — ont cette
tendance, par désespoir : avoir vécu, et ressenti de l'amour pour
un
monde, cela empêche d'en concevoir un autre qui soit tout aussi réel,
aussi bien que de croire que puissent se créer des valeurs analogues à
celles qui ont rendu précieuse une existence. Une telle vision
apocalyptique du monde est justifiable, mais probablement injuste. Cela semble fou, mais un slogan récent, celui devenu célèbre en un clin d'œil des jeans « Jésus » : « Tu n'auras d'autres jeans que moi », se pose comme un fait nouveau, une exception dans les canons fixes du slogan ; il en révèle une possibilité expressive imprévue, et indique de leur part une évolution différente de celle que la tradition du genre — immédiatement admise par les désespérés qui veulent voir le futur comme une mort — laissait trop raisonnablement prévoir. Voyez la réaction de l'Osservatore Romano à ce slogan : dans son gentil petit italien d'antan, spiritualiste et un peu infatué, le rédacteur de l'Osservatore Romano entonne des lamentations, certes pas bibliques, pour faire du victimisme de pauvre innocent sans défense. C'est du même ton que sont rédigées, par exemple, les lamentations contre l'immoralité envahissante de la littérature ou du cinéma. Mais dans ce cas-là, le ton pleurnichard et bien-pensant dissimule une volonté menaçante du pouvoir : en effet, tandis que, jouant au pauvre agneau, le rédacteur se lamente dans son italien bien léché, le pouvoir travaille dans son dos à supprimer, à enfermer et à écraser les réprouvés qui sont à la base de ses souffrances. Magistrats et policiers sont sur le qui-vive ; l'appareil de l'État se met aussitôt avec zèle au service du spirituel. Aux jérémiades de l'Osservatore font suite les procédures légales du pouvoir : l'écrivain ou le cinéaste impie est immédiatement « pris » et réduit au silence. |
Le mot arabe « تحرير » se prononce approximativement « Tahrir ». Il est désormais connu mondialement pour évoquer la place du même nom, au Caire. Le 25 janvier 2011, premier jour du rassemblement populaire sur cette place cairote, est considéré comme la date qui marque le commencement du « Printemps arabe ». Dans ce rassemblement, la jeunesse urbaine, celle des téléphones mobiles et des réseaux sociaux, se montre pour ce qu'elle est, c'est à dire loin des clichés d'une propagande gouvernementale nassérienne à peine retouchée depuis les années 1950. Par un retournement de l'iconographie, les photographies du peuple rassemblé, agglutiné, rejoignent les tableaux des révolutions des siècles précédents, avant que le terme de « Révolution » ne soit phagocyté par des régimes autoritaires et corrompus. Le rassemblement de 2011 est mixte, comme l'étaient les rassemblements révolutionnaires historiques de France ou de Russie. Le monde, qui adore les soulèvements populaires festifs, célèbre avec joie le soulèvement de la place Tahrir. Deux ans et demi plus tard, en juillet 2013, se tiennent de nouveaux rassemblements contre le successeur du Président Moubarak. Le quotidien du soir, Le Monde, titre, comme ses confrères du monde entier : « Égypte : près d'une centaine d'agressions sexuelles sur la place Tahrir ces derniers jours. » Le 5 janvier 2016, le même journal titre cette fois « À Cologne, l'agression de dizaines de femmes lors du Nouvel An suscite l'indignation ». Les faits se sont produits dans l'hypercentre de Cologne, entre la gare centrale et la cathédrale. Le rapprochement de ces trois événements est à haut risque. Il faut pourtant s'y résoudre. Il est risqué, et peut devenir scabreux, si, comme les commentateurs de l'extrême droite - mais pas seulement de l'extrême droite - on l'effectue comme preuve d'une supposée « guerre de civilisations ». C'est stupide. Il n'y a aucun doute en effet que tous les protagonistes de ces scènes, en 2011, en 2013 et en 2016 vivent dans la même civilisation, et j'ajoute, dans la même culture, celle d'une consommation globalisée. Les imaginaires des uns et des autres sont en contact permanent par les productions des industries culturelles massives. Il faut rapprocher ces trois événements, seulement, parce qu'ils se passent en même temps, et s'accrocher, dans l'analyse, à cette concomitance, à ne pas s'en éloigner. | ||||||||
Analyse linguistique d'un slogan - Pier Paolo Pasolini - Les Écrits corsaires | Diégèse 2016 - Péguy-Pasolini #02 - | ||||||||
27 janvier | |||||||||
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