Diégèse
2016



Les Années barbues 1.1
Péguy-Pasolini - #01

Version écrite par fragments du 1er janvier au 21 janvier 2016
version remaniée le 23 janvier 2016


triangle barbu
1er janvier
Tous les jours, nous voyons des gens, des choses, pour la première fois, et nous assistons à des événements, auxquels nous assistons pour la première fois, et qui pour certains, se déroulent d'ailleurs pour la première fois. Mais, le plus souvent, la plupart du temps, cette « première fois » n'est pas qualifiée comme telle, elle passe inaperçue. Pour qu'une rencontre, un événement soient qualifiés de « première fois », il faut évidemment qu'il y ait une répétition. Mais cette seule répétition ne suffit pour autant pas. Je peux ainsi croiser dans le métro la même personne tous les jours, remarquer que je la croise tous les jours, sans me souvenir de la première fois où je l'ai croisée. Cette « première fois », qui pourtant s'est nécessairement produite, est alors comme effacée. Elle n'existe pas. Il n'y a pas eu de « première fois ». Si je me souviens de la « première fois », c'est qu'il y a eu affect. Ce qui s'est produit, ce n'est pas la rencontre, ce n'est pas l'événement, c'est l'affect et si cela se reproduit, si je le reproduis, c'est alors dans la recherche de ce premier affect qui est aussi la recherche du premier affect. C'est cela, la « première fois ». Tous les jours, nous voyons des gens, des choses, pour la première fois, et nous assistons à des événements, auxquels nous assistons pour la première fois, et qui pour certains, se déroulent d'ailleurs pour la première fois. Mais, le plus souvent, la plupart du temps, cette « première fois » n'est pas qualifiée comme telle, elle passe inaperçue. Des écrivains, des artistes, des scientifiques, des poètes scrutent le monde à la recherche d'un affect de première fois. C'est leur travail. Cela fait partie de leur travail. Cela peut être l'essentiel de leur travail. A soixante ans de distance, deux poètes, l'un en France, l'autre en Italie se sont ainsi mis dans le monde, en son plein cœur, en portant une attention écorchée aux évolutions de ce monde, à ce qu'ils voyaient comme une disparition d'un ancien monde avant l'éclosion d'un monde indistinct encore mais qui les inquiétait. Au-delà des marqueurs  temporels de leurs textes - Péguy vivant dans un monde qui n'a pas connu l'extermination des Juifs mais qui a été l'un des premiers acteurs de l'Affaire Dreyfus ;  Pasolini  vivant lui dans l'Italie  post fasciste qui lui semble vivre la « première vraie révolution de droite » - les deux auteurs se répondent dans ce qu'ils décrivent un changement d'époque.
Je veux croire, avec tant d'autres, que nous assistons aujourd'hui à un autre changement d'époque, peut-être, et qu'il s'agit en conséquence d'être attentifs à ce qu'il nous semble voir pour la première fois.
2 janvier
L'industrie du spectacle, quel que soit le spectacle, quels qu'en soient la qualité, le genre, la forme, ne fait en somme rien d'autre que d'organiser pour les spectateurs des affects de première fois, qui, dès lors, sont artificiels. Revoir un film, c'est aller à la rencontre d'un affect qui, pour autant, comme pour la madeleine de Proust, n'égalera pas celui de la première fois.
Péguy et Pasolini savaient tous les deux que les forces du progrès, par elles-mêmes ainsi dénommées, qui sont les forces de l'argent, qui sont les forces du profit et qui sont donc aussi les forces de la domination et de l'aliénation, ont fait largement emploi du spectacle pour diffuser leur propagande. Péguy avait ainsi vécu la propagande d'État qu'auront été les Expositions universelles à Paris, où il ne s'agissait en sorte de rien d'autre que de montrer à des foules ébahies, pour la première fois, les bienfaits de la civilisation mécanique associés aux supposés bienfaits de la colonisation. L'un comme l'autre sont allés à la recherche du peuple qui préexistait à la société du spectacle, c'est à dire à la société moderne, c'est à dire à l'idée, à la notion, au concept même de modernité. L'un comme l'autre auront scruté avec attention et angoisse les stigmates d'un monde qui change, tourbillonnant dans les illusions d'une modernité qu'ils dénonceront comme avilissante.
L'industrie du spectacle, quel que soit le spectacle, quels qu'en soient la qualité, le genre, la forme, ne fait en somme rien d'autre que d'organiser pour les spectateurs des affects de première fois, qui, dès lors, sont artificiels. Revoir un film, c'est aller à la rencontre d'un affect qui, pour autant, comme pour la madeleine de Proust, n'égalera pas celui de la première fois.
Péguy et Pasolini savaient tous les deux que les forces du progrès, par elles-mêmes ainsi dénommées, qui sont les forces de l'argent, qui sont les forces du profit et qui sont donc aussi les forces de la domination et de l'aliénation, ont fait largement emploi du spectacle pour diffuser leur propagande. Péguy avait ainsi vécu la propagande d'État qu'auront été les Expositions universelles à Paris, où il ne s'agissait en sorte de rien d'autre que de montrer à des foules ébahies, pour la première fois, les bienfaits de la civilisation mécanique associés aux supposés bienfaits de la colonisation. L'un comme l'autre sont allés à la recherche du peuple qui préexistait à la société du spectacle, c'est à dire à la société moderne, c'est à dire à l'idée, à la notion, au concept même de modernité. L'un comme l'autre auront scruté avec attention et angoisse les stigmates d'un monde qui change, tourbillonnant dans les illusions d'une modernité qu'ils dénonceront comme avilissante.
3 janvier
Soumise au spectacle, la société produit des signes, qui sont aussi des symptômes, qui sont aussi des signaux. Quand Pasolini aperçoit, puis observe, de jeunes « chevelus » à Prague, ceux-ci agissent aussi comme des préfigurations d'images cinématographiques. Ils sont d'emblée pris dans le système de production critique et artistique de Pasolini. Le créateur, l'artiste, l'intellectuel, l'écrivain scrutent ainsi le monde pour y distinguer les signes préfigurateurs du changement du monde.
Mais il faut alors aussi considérer que ces changements ne sont pas de génération spontanée, mais bien suggérés, sinon entièrement produits, par le méta système de production de signes qu'est la société de consommation, c'est à dire principalement par la publicité et, au-delà, par l'ensemble de la communication institutionnelle, et même, par capillarité capitalistique, par l'ensemble de la communication médiatique, y compris l'information.
Soumise au spectacle, la société produit des signes, qui sont aussi des symptômes, qui sont aussi des signaux. Quand Pasolini aperçoit, puis observe, de jeunes « chevelus » à Prague, ceux-ci agissent aussi comme des préfigurations d'images cinématographiques. Ils sont d'emblée pris dans le système de production critique et artistique de Pasolini.
Mais il faut alors aussi considérer que ces changements ne sont pas de génération spontanée, mais bien suggérés, sinon entièrement produits, par le méta système de production de signes qu'est la société de consommation, c'est à dire principalement par la publicité et, au-delà, par l'ensemble de la communication institutionnelle, et même, par capillarité capitalistique, par l'ensemble de la communication médiatique, y compris l'information ou ce qui est présenté comme telle. Il s'agit donc de se pencher, dans une pratique clinique du signe vers des signaux faibles, peu interprétés, ou mal interprétés, et qui nous renseignent mieux sur le changement d'époque que tous les médias réunis.
4 janvier
Les fenêtres temporelles qui permettent, sinon d'observer, au moins d'imaginer ce qu'était la vie du peuple avant la société de consommation sont presque toutes refermées, définitivement refermées. Dans les années 1960, encore, alors que les « Trente Glorieuses » battaient leur plein, ces années qui n'étaient autres, précisément, que l'installation, que la construction, que l'imposition forcenée de ce même mode de vie dans les foyers, sur les paysages, pendant ces années-là, le cinéma, encore, avait la prétention de rendre compte de la vie d'avant. Le cinéma et la littérature. Quelques films montraient ainsi des familles figées dans des rituels montrés comme étant surannés, des villes poussiéreuses et enfumées, la misère comme dans les romans du dix-neuvième siècle. Dès 1910, Péguy sait que le monde qu'il a connu dans son enfance, celui du fils de la rempailleuse de chaises des faubourgs d'Orléans, est en train de disparaître. Ces carnets : Les archives de la famille Milliet, famille fouriériste, qu'il entend publier dans ses Cahiers de la quinzaine, sont des archives vivantes, car ce sont des archives politiquement activées. L'ambition de Péguy, qui sera aussi celle de Pasolini, n'est pas de dépeindre ce monde en train de disparaître comme une parousie engloutie, mais bien comme un monde vivant, un monde de nerfs et de sang. Les fenêtres temporelles qui permettent, sinon d'observer, au moins d'imaginer ce qu'était la vie du peuple avant la société de consommation sont presque toutes refermées, définitivement refermées. Dans les années 1960, encore, alors que les « Trente Glorieuses » battaient leur plein, ces années qui n'étaient autres, précisément, que l'installation, que la construction, que l'imposition forcenée d'un même mode de vie dans les foyers, sur les paysages, pendant ces années-là, le cinéma, encore, avait la prétention de rendre compte de la vie d'avant. Le cinéma et la littérature. Quelques films montraient ainsi des familles figées dans des rituels montrés comme étant surannés, des villes poussiéreuses et enfumées, la misère comme dans les romans du dix-neuvième siècle. Dès 1910, Péguy sait que le monde qu'il a connu dans son enfance, celui du fils de la rempailleuse de chaises des faubourgs d'Orléans, est en train de disparaître. Ces carnets : Les archives de la famille Milliet, famille fouriériste, qu'il entend publier dans ses Cahiers de la quinzaine, sont des archives vivantes, car ce sont des archives politiquement activées. L'ambition de Péguy, qui sera aussi celle de Pasolini, n'est pas de dépeindre ce monde en train de disparaître comme une parousie engloutie, mais bien comme un monde vivant, un monde de nerfs et de sang.
5 janvier
Il s'agirait donc de distinguer dans le fouillis inextricable des signes qui sont donnés à voir chaque jour, ceux qui marquent l'époque puis, les ayant déchiffrés, les décrypter enfin.
Posté en France au début des années 2000, Pasolini aurait pu avoir aperçu, pour la première fois, dans un hôtel d'Angoulême ou de Périgueux, deux jeunes hommes à la barbe fournie, aux pantalons « feu de plancher » - comme on disait dans les années 1970 -, portant des lunettes avec de larges montures, et dont il aurait appris, peu de temps après, qu'il s'agissait là de « hipsters ». Le texte que Pasolini consacre en 1973 aux cheveux longs pourrait alors être exactement repris, notamment dans sa partie sémioticienne.  « Je fus le destinataire de cette communication ; je sus tout de suite la déchiffrer : ce langage privé de lexique, de grammaire et de syntaxe, on pouvait l'apprendre immédiatement, et puis, sémiologiquement parlant, ce n'était qu'une forme de ce langage de la présence physique que les hommes savent employer depuis toujours. » Mais les bourgeois de province des années 2000 n'auraient pas été scandalisés par ces hipsters de rencontre, percevant ceux-ci, immédiatement, comme un produit de la bourgeoisie même, une de ses créatures. En revanche, que dans le même hôtel, surgissent au même moment, deux autres jeunes hommes, barbus eux aussi, mais pouvant être désignés, par des attributs connexes, comme musulmans fondamentalistes, et la réaction de la clientèle de passage aurait été toute différente, et encore différente en ce début d'année 2016.
L'historien décrira peut-être un jour les années que nous vivons comme les années barbues.
Posté en France au début des années 2000, Pasolini aurait pu avoir aperçu, pour la première fois, dans un hôtel d'Angoulême ou de Périgueux, deux jeunes hommes à la barbe fournie, aux pantalons « feu de plancher » - comme on disait dans les années 1970 -, portant des lunettes avec de larges montures, et dont il aurait appris, peu de temps après, qu'il s'agissait là de « hipsters ». Le texte que Pasolini consacre en 1973 aux cheveux longs pourrait alors être exactement repris, notamment dans sa partie sémioticienne.  « Je fus le destinataire de cette communication ; je sus tout de suite la déchiffrer : ce langage privé de lexique, de grammaire et de syntaxe, on pouvait l'apprendre immédiatement, et puis, sémiologiquement parlant, ce n'était qu'une forme de ce langage de la présence physique que les hommes savent employer depuis toujours. » Mais les bourgeois de province des années 2000 n'auraient pas été scandalisés par ces hipsters de rencontre, percevant ceux-ci, immédiatement, comme un produit de la bourgeoisie même, une de ses créatures. En revanche, que dans le même hôtel, surgissent au même moment, deux autres jeunes hommes, barbus eux aussi, mais pouvant être désignés, par des attributs connexes, comme musulmans fondamentalistes, et la réaction de la clientèle de passage aurait été toute différente, et encore différente en ce début d'année 2016.
Les cheveux ne font plus vraiment signe et il est désormais admis que leur coupe et leur agencement répondent à tant de mode imbriquées que la lecture de leurs signes en devient confuse. Ils ne marquent plus l'époque. En revanche, l'historien décrira peut-être un jour les années que nous vivons comme les Années barbues. le signal sémiotique de la barbe ne cesse de s'amplifier.
6 janvier
De nos années du début de siècle, qui sont à la fois des dernières années de vieillesse et les premières années de l'âge qui avance, de l'âge avancé, l'histoire et toutes les sciences humaines, la sociologie, l'ethnologie, l'anthropologie même, disent et diront beaucoup, ont déjà commencé à dire beaucoup de « l'histologie » de cette société française, de ces années barbues, comme je les nommerai désormais. C'est que depuis Péguy, l'École des Annales a accompli en grand le projet que Péguy avait en 1910 en publiant les archives d'une famille républicaine ordinaire. En revanche, ce qui a remplacé l'histoire officielle et les historiens officiels, avec autrement de puissance de feu, de puissance d'argent et d'habileté dans la manipulation, ce sont les médias. La représentation doxale de notre société, de ses tensions, de ses troubles, de ses joies et de ses peines, ce n'est plus l'école, ce n'est plus le livre d'histoire de l'école, ce n'est plus le livre, ce ne sont plus les livres, ce ne sont même plus les films, ce n'est même plus le cinéma, ce sont les médias continus, les dépêches continues, la grande machine médiatique qui la fournissent. Pour échapper à la doxa, il s'agit alors, comme toujours, de scruter le monde pour tenter de déceler ce qui cloche, ce qui ne correspond pas à ce que l'on nous en dit.
En référence à Pasolini, en référence à Péguy, ce que je pose comme hypothèse d'écriture poétique, de cette écriture qui n'est pas historique, qui n'est pas sociologique ou ethnologique, ni anthropologique, ce que je pose donc, c'est que les barbes des jeunes fondamentalistes musulmans et celles des hipsters de ces années barbues sont les mêmes barbes.
De nos années du début de siècle, qui sont à la fois celles des dernières années de jeunesse et les premières années de l'âge qui avance, de l'âge avancé, l'histoire et toutes les sciences humaines, la sociologie, l'ethnologie, l'anthropologie même, disent et diront beaucoup, ont déjà commencé à dire beaucoup de « l'histologie » de cette société française, de ces années barbues, comme je les nommerai désormais. C'est que depuis Péguy, l'École des Annales a accompli en grand le projet que Péguy avait en 1910 en publiant les archives d'une famille républicaine ordinaire. En revanche, ce qui a remplacé l'histoire officielle et les historiens officiels, avec autrement de puissance de feu, de puissance d'argent et d'habileté dans la manipulation, ce sont les médias. La représentation doxale de notre société, de ses tensions, de ses troubles, de ses joies et de ses peines, ce n'est plus l'école, ce n'est plus le livre d'histoire de l'école, ce n'est plus le livre, ce ne sont plus les livres, ce ne sont même plus les films, ce n'est même plus le cinéma, ce sont les médias continus, les dépêches continues, la grande machine médiatique qui la fournissent. Pour échapper à la doxa, il s'agit alors, comme toujours, de scruter le monde pour tenter de déceler ce qui cloche, ce qui ne correspond pas à ce que l'on nous en dit.
En référence à Pasolini, en référence à Péguy, ce que je pose comme hypothèse d'écriture poétique, de cette écriture qui n'est pas historique, qui n'est pas sociologique ou ethnologique, ni anthropologique, ce que je pose donc, c'est que les barbes des jeunes fondamentalistes musulmans et celles des hipsters de ces années barbues sont les mêmes barbes.
7 janvier
Mais, qu'est-ce qui pourrait permettre d'affirmer que la barbe des jeunes « barbus » musulmans et celle des hipsters des terrasses des cafés du 11ème arrondissement de Paris, est la même barbe ?
Tout d'abord, elle procède d'un même mouvement de retour vers le passé, de remise à la mode de valeurs précédemment démodées. S'agissant des jeunes - ou non jeunes - musulmans, le port d'une barbe qui pousse librement est une obligation issue des recueils des paroles du Prophète, les hadiths. Pour les bourgeois bohèmes des centres villes, l'incitation vient de la seule source véritablement autorisée pour la propagation de la mode chez les jeunes, New-York, en référence à un mouvement blanc d'amateurs de jazz joué par des noirs après la seconde guerre mondiale. Il y a certes une différence notable entre un retour vers des modes des générations précédentes et l'obéissance à une injonction religieuse millénaire. Quoique. On se souviendra que la barbe soudaine des Beatles, dans les années 1970, et notamment celle de John Lennon, vient d'un séjour prolongé et controversé dans l'ashram d'un maître Yogi. Et puis, même le père Fouras de l'émission de télévision Fort Boyard porte une barbe « libre ». La barbe comme gage de sagesse semble bien transculturelle. On notera aussi que la barbe des fondamentalistes musulmans est une barbe sunnite et que la barbe des chiites est différente, car taillée, et que derrière cette différence de doctrine, il y a une différence culturelle, historique et ethnologique, celle qui sépare les arabes de la péninsule arabique des persans de l'autre rive du Chatt-el-Arab. La barbe des persans est une barbe taillée et c'est celle de l'ennemi héréditaire.
Mais, qu'est-ce qui pourrait permettre d'affirmer cela, que la barbe des jeunes « barbus » musulmans et celle des hipsters des terrasses des cafés du 11ème arrondissement de Paris, est la même barbe ?
Tout d'abord, elle procède d'un même mouvement de retour vers le passé, de remise à la mode de valeurs précédemment démodées. S'agissant des jeunes - ou non jeunes - musulmans, le port d'une barbe qui pousse librement est une obligation issue des recueils des paroles du Prophète, les hadiths. Pour les bourgeois bohèmes des centres villes, l'incitation vient de la seule source véritablement autorisée pour la propagation de la mode chez les jeunes, New-York, en référence à un mouvement blanc d'amateurs de jazz joué par des noirs après la seconde guerre mondiale. Il y a certes une différence notable entre un retour vers des modes des générations précédentes et l'obéissance à une injonction religieuse millénaire. Quoique. On se souviendra que la barbe soudaine des Beatles, dans les années 1970, et notamment celle de John Lennon, vient d'un séjour prolongé et controversé dans l'ashram d'un maître Yogi. Et puis, même le père Fouras de l'émission de télévision Fort Boyard porte une barbe « libre ». La barbe comme gage de sagesse semble bien transculturelle. On notera aussi que la barbe des fondamentalistes musulmans est une barbe sunnite et que la barbe des chiites est différente, car taillée, et que derrière cette différence de doctrine, il y a une différence culturelle, historique et ethnologique, celle qui sépare les arabes de la péninsule arabique des persans de l'autre rive du Chatt-el-Arab. La barbe des persans est une barbe taillée et c'est celle de l'ennemi héréditaire.
8 janvier
Comme Pasolini a vu pour la première fois des chevelus, c'est à dire des garçons avec les cheveux longs, à Prague en 1968, j'ai compris que quelque chose avait profondément changé dans notre société, dans cette société française, dans cette société régie par la République française, chez ce vieux peuple de France, au rayon homme d'un hypermarché de la banlieue d'une petite ville de l'Aveyron. J'étais il y a quelques années en vacances près de Villefranche de Rouergue, attentif car libéré de tâches quotidiennes qui captent l'attention vers des objets formatés de fait par le travail et ses obligations. J'étais heureux d'être dans cet hypermarché qui, accusé de contribuer grandement à la « désertification du centre-ville » insistait, pour se racheter, sur le caractère local des produits de bouche qu'il vendait. Il s'agissait pour le client, autochtone ou de passage, d'être bien persuadé qu'il était dans un hypermarché aveyronnais, un hypermarché enraciné au plein cœur de l'Aveyron. Pour cela, des pancartes martelaient que tout ou presque était « bien de chez nous ».
Soudain, au rayon homme, en tête de gondole, j'ai aperçu une offre présentée comme banale, mais que j'ai alors trouvée stupéfiante. L'histoire et les historiens diront si ce changement affecte ce vieux peuple républicain « dans sa texture, dans sa tissure » comme l'écrivait Péguy. Il pourra sembler ténu, mais je l'ai perçu comme un changement suffisamment important pour qu'il m'arrête brusquement à ce rayon et pour m'inciter à en détailler les produits. Il s'agissait d'une offre de tondeuse pour homme. Mais, la particularité de cette tondeuse, comme le montrait l'image publicitaire qui l'accompagnait, était de faciliter l'épilation du torse. Or, il ne m'avait jamais semblé que l'épilation du torse fût une pratique culturelle ancestrale des hommes du centre de la France. Il se passait quelque chose.
Comme Pasolini a vu pour la première fois des chevelus, c'est à dire des garçons avec les cheveux longs, à Prague en 1968, j'ai compris que quelque chose avait profondément changé dans notre société, dans cette société française, dans cette société régie par la République française, chez ce vieux peuple de France, au rayon homme d'un hypermarché de la banlieue d'une petite ville de l'Aveyron. J'étais il y a quelques années en vacances près de Villefranche de Rouergue, attentif car libéré de tâches quotidiennes qui captent l'attention vers des objets formatés de fait par le travail et ses obligations. J'étais heureux d'être dans cet hypermarché qui, accusé de contribuer grandement à la « désertification du centre-ville » insistait, pour se racheter, sur le caractère local des produits de bouche qu'il vendait. Il s'agissait pour le client, autochtone ou de passage, d'être bien persuadé qu'il était dans un hypermarché aveyronnais, un hypermarché enraciné au plein cœur de l'Aveyron. Pour cela, des pancartes martelaient que tout ou presque était « bien de chez nous ».
Soudain, au rayon homme, en tête de gondole, j'ai aperçu une offre présentée comme banale, mais que j'ai alors trouvée stupéfiante. L'histoire et les historiens diront si ce changement affecte ce vieux peuple républicain « dans sa texture, dans sa tissure » comme l'écrivait Péguy. Il pourra sembler ténu, mais je l'ai perçu comme un changement suffisamment important pour qu'il m'arrête brusquement à ce rayon et pour m'inciter à en détailler les produits. Il s'agissait d'une offre de tondeuse pour homme. Mais, la particularité de cette tondeuse, comme le montrait l'image publicitaire qui l'accompagnait, était de faciliter l'épilation du torse. Or, il ne m'avait jamais semblé que l'épilation du torse fût une pratique culturelle ancestrale des hommes du centre de la France. Il se passait donc quelque chose.
9 janvier
Détaillant l'offre de produits de rasage pour hommes de ce rayon, j'ai constaté d'autres faits troublants : abondance de rasoirs manuels permettant de dessiner la barbe et la moustache ; épilateurs corporels ; teintures diverses. La culture de l'homme aveyronnais avait-elle à ce point changé que désormais il s'épilait le torse et se teignait cheveux, barbe et moustaches ? Oui... et non.
Pasolini, Péguy, a fortiori, n'avaient pas la possibilité de vérifier leurs intuitions en interrogeant le Web. Le Web ne remplace pas, certes, ni l'intuition, ni l'observation, mais il aide à vérifier, il corrobore. Il amplifie les signaux faibles de la société. Si l'agencement du poil masculin dans la société française se modifie, cela doit apparaître d'une façon ou d'une autre sur les réseaux sociaux, les forums, les articles en ligne. C'est donc ce que je suis allé vérifier sur le réseau.
Détaillant l'offre de produits de rasage pour hommes de ce rayon, j'ai constaté d'autres faits troublants : abondance de rasoirs manuels permettant de dessiner la barbe et la moustache ; épilateurs corporels ; teintures diverses. La culture de l'homme aveyronnais avait-elle à ce point changé que désormais il s'épilait le torse et se teignait cheveux, barbe et moustaches ? Oui... et non.
Pasolini, Péguy, a fortiori, n'avaient pas la possibilité de vérifier leurs intuitions en interrogeant le Web. Le Web ne remplace, certes, ni l'intuition, ni l'observation, mais il aide à vérifier, il corrobore. Il amplifie les signaux faibles de la société. Si l'agencement du poil masculin dans la société française se modifie, cela doit apparaître d'une façon ou d'une autre sur les réseaux sociaux, les forums, les articles en ligne. C'est donc ce que je suis allé vérifier sur le réseau.
10 janvier
Tout d'abord, il faut rappeler que l'agencement du poil dans les sociétés, toutes les sociétés, et aussi la société française, et même la société aveyronnaise, est un fait culturel. Il n'est pas certain que l'on puisse trouver de société dans laquelle le mâle ne constitue pas ses poils en signe. Marie-France Auzépy et Joël Cornette retracent d'ailleurs cette histoire dans Histoire du poil paru en 2011 chez Belin. On lira l'ouvrage plus tard, mais, sans l'avoir lu, ni même parcouru, on peut tenter des hypothèses : quels sont les signifiés que le signifiant « poil » active ordinairement chez le mâle ? Ils sont certainement très nombreux, mais j'en choisirai trois. En tout premier lieu : la virilité. Celle ci s'exprime le plus souvent par le développement pilaire. Mais le poil exprime aussi le soin de soi, la classe sociale, et cela s'exprime alors le plus souvent aussi, par le retranchement pilaire, par rasage ou par épilation. Ce retranchement peut être aussi une marque d'hygiène. Enfin, l'agencement du poil marque l'appartenance distinctive à une communauté, à un corps de métier. Dans les sociétés du Moyen-Orient, au moins jusqu'au vingtième siècle, il fallait pouvoir distinguer aisément un juif, d'un chrétien ou d'un musulman. La forme, la taille, la couleur des attributs pilaires contribuaient à cette distinction, avec l'habillement et la parure. On peut donc supposer, intuitivement, que le poil active un triangle sémiotique : virilité - statut social - identité communautaire. Et on peut donc supposer aussi, en conséquence, que l'apparition soudaine dans les rayons d'un hypermarché aveyronnais d'épilateurs corporels pour hommes, correspond à une évolution de ce triangle sémiotique. Tout d'abord, il faut rappeler que l'agencement du poil dans les sociétés, toutes les sociétés, et aussi la société française, et même la société aveyronnaise, est un fait culturel. Il n'est pas certain que l'on puisse trouver de société dans laquelle le mâle ne constitue pas ses poils en signe. Marie-France Auzépy et Joël Cornette retracent d'ailleurs cette histoire dans Histoire du poil paru en 2011 chez Belin. On lira l'ouvrage plus tard, mais, sans l'avoir lu, ni même parcouru, on peut tenter des hypothèses : quels sont les signifiés que le signifiant « poil » active ordinairement chez le mâle ? Ils sont certainement très nombreux, mais j'en choisirai trois. En tout premier lieu : la virilité. Celle ci s'exprime le plus souvent par le développement pilaire. Mais le poil exprime aussi le soin de soi, la classe sociale, l'identité, la recherche d'une originalité, et cela s'exprime alors le plus souvent aussi, par le retranchement pilaire, par rasage ou par épilation. Ce retranchement peut être aussi une marque d'hygiène. Enfin, l'agencement du poil marque l'appartenance distinctive à une communauté, à un corps de métier. Dans les sociétés du Moyen-Orient, au moins jusqu'au vingtième siècle, il fallait pouvoir distinguer aisément un juif, d'un chrétien ou d'un musulman. La forme, la taille, la couleur des attributs pilaires contribuaient à cette distinction, avec l'habillement et la parure. On peut donc supposer, intuitivement, que le poil active un triangle sémiotique : virilité - statut social - identité communautaire. Et on peut donc supposer aussi, en conséquence, que l'apparition soudaine dans les rayons d'un hypermarché aveyronnais d'épilateurs corporels pour hommes, correspond à une évolution de ce triangle sémiotique.
11 janvier
triangle barbuQuand j'évoque un « triangle sémiotique », il ne s'agit évidemment pas de celui, fondateur, d'Odgen et Richards, mais d'un triangle bricolé pour les besoins de ce texte. Ce qui fait triangle, c'est que chacun des trois éléments est lié avec les deux autres, mais aussi qu'il est mis en tension avec les deux autres. Si l'on admet que chaque pointe du triangle peut être, selon les individus, plus ou moins pondéré, on obtient un triangle déformable, qui ne sera donc pas nécessairement isocèle, et encore moins équilatéral. Cette pondération individuelle peut donc, par addition et moyenne, être appliquée à un groupe constitué. Chaque groupe peut ainsi être associé à une forme de triangle particulier et l'observation de ces triangles permettrait d'affirmer ou non que les groupes se ressemblent, au-delà de leurs différences sociologiques et historiques.
Bien sûr, je ne ferai pas ce travail, qui serait un travail scientifique, qui demanderait une méthodologie éprouvée et explicitée, alors, que ce qui me plaît, dans ce triangle, c'est le triangle, c'est qu'en soi, par sa seule existence de triangle, sa forme, il apporte la preuve que le triangle sémiotique que je bricole existe lui aussi. Il s'agit bien de trafic ontologique. La poésie n'est peut-être rien d'autre qu'un trafic ontologique revendiqué.
Quand j'évoque un « triangle sémiotique », il ne s'agit évidemment pas de celui, fondateur, d'Odgen et Richards, mais d'un triangle bricolé pour les besoins de ce texte. Ce qui fait triangle, c'est que chacun des trois éléments est lié avec les deux autres, mais aussi qu'il est mis en tension avec les deux autres. Si l'on admet que chaque pointe du triangle peut être, selon les individus, plus ou moins pondéré, on obtient un triangle déformable, qui ne sera donc pas nécessairement isocèle, et encore moins équilatéral. Cette pondération individuelle peut donc, par addition et moyenne, être appliquée à un groupe constitué. Chaque groupe peut ainsi être associé à une forme de triangle particulier et l'observation de ces triangles permettrait d'affirmer ou non que les groupes se ressemblent, au-delà de leurs différences sociologiques et historiques.
Bien sûr, je ne ferai pas ce travail, qui serait un travail scientifique, qui demanderait une méthodologie éprouvée et explicitée, alors, que ce qui me plaît, dans ce triangle, c'est le triangle, c'est qu'en soi, par sa seule existence de triangle, sa forme, il apporte la preuve que le triangle sémiotique que je bricole existe lui aussi. Il s'agit bien de trafic ontologique. La poésie n'est peut-être rien d'autre qu'un trafic ontologique revendiqué.
12 janvier
La tondeuse pour le torse de l'hypermarché rouerguais devait ainsi signifier une modification du triangle sémiotique de la barbe des hommes aveyronnais. Il s'agissait peut-être d'un retour aux sources. L'antique peuple de l'Aveyron était le peuple rutène et je me rappelais que les Romains opposaient le glabre de l'urbain à la pilosité du rustique. Les barbares étaient donc barbus, bien que rien ne lie l'étymologie du mot « barbare » à celle du mot« barbe ». Les anciens aveyronnais étaient les « Blonds Rutènes », Celtes de leur état. Qu'ils fussent barbares pour les Romains, sans aucun doute. Qu'ils fussent barbus, pas certain. Ils devaient plutôt être glabres. La tonte des torses des hommes aveyronnais serait donc une recherche identitaire de leurs racines rutènes.  Difficile à croire. Il me fallait donc trouver autre chose pour justifier la pratique de l'épilation masculine intégrale dans le Rouergue, emprunter d'autres pistes.
J'ai eu une première intuition : il ne s'agissait pas du torse, ou, pour être plus précis, pas seulement du torse. La tonte proposée, suggérée, s'étendait à d'autres parties du corps masculin et, notamment, aux parties intimes. Je suis donc allé vérifier cette intuition sur le site internet du fabricant de la tondeuse. On y lisait : « utilisation sûre et confortable sur les aisselles, le torse, le dos, les épaules, le pubis et les jambes. »
La tondeuse pour le torse de l'hypermarché rouerguais devait ainsi signifier cette forme de modification du triangle sémiotique de la barbe des hommes aveyronnais, où le signe de l'appartenance à une communauté prend le pas sur celui de l'affirmation de l'identité. Il s'agissait peut-être d'un retour aux sources de l'antique peuple de l'Aveyron, les « Blonds Rutènes », Celtes de leur état. Qu'ils fussent barbares pour les Romains, sans aucun doute. Qu'ils fussent barbus, pas certain. Ils devaient plutôt être glabres. La tonte des torses des hommes aveyronnais serait donc une recherche identitaire de leurs racines rutènes.  Difficile à croire cependant car aucun autre signe ne venait corroborer cette hypothèse trop fantaisiste. Il me fallait donc trouver autre chose pour justifier la pratique de l'épilation masculine intégrale dans le Rouergue, emprunter d'autres pistes.
J'ai eu une première intuition : il ne s'agissait pas du torse, ou, pour être plus précis, pas seulement du torse. La tonte proposée, suggérée, devait s'étendre à d'autres parties du corps masculin et, notamment, aux parties intimes. Je suis donc allé vérifier cette intuition sur le site internet du fabricant de la tondeuse. On y lisait : « utilisation sûre et confortable sur les aisselles, le torse, le dos, les épaules, le pubis et les jambes. »
13 janvier
Si la tondeuse proposée à la vente n'était destinée à tondre le torse que par une forme d'euphémisme de bienséance, étant plutôt vouée à tondre les poils du pubis, je pouvais commencer à risquer une hypothèse : cette tondeuse était destinée aux hommes musulmans de la zone de chalandise de Villefranche de Rouergue. En effet, l'islam préconise le rasage des parties intimes, afin de faciliter les purifications rituelles. Un texte affirme même que le Prophète s'arrachait à la main les poils des aisselles.  L'hygiène en islam est très stricte et les textes sont formels sur les parties du corps qu'il convient d'épiler ou de tondre et celles qu'il est interdit d'épiler. Celles pour lesquelles les textes ne disent rien ne font l'objet d'aucun interdit. Le marché de la clientèle musulmane est suffisamment vaste dans le monde pour que les fabricants de tondeuse développent des produits spécifiquement adaptés à ses besoins. L'appareil idéal doit pouvoir tout à la fois servir aux parties intimes et raccourcir la moustache. S'agissant spécifiquement du torse, les textes ne disent rien, laissant donc cela à la libre appréciation de chacun. Le torse de la publicité était donc un leurre.
Soit. Mais, pour autant, la tondeuse en question n'était pas réservée uniquement aux hommes musulmans. Il n'y a pas de tondeuses « halal ». C'est donc qu'elle pouvait aussi être achetée et utilisée à d'autres fins que celles d'obéir à des préceptes religieux.  Deuxième hypothèse : les cyclistes. En effet, il est admis que les cyclistes s'épilent. Le torse ? Peut-être ou peut-être pas. Mais les jambes, certainement. Qui encore ? les gymnastes, les nageurs, beaucoup d'homosexuels et les acteurs pornographiques.
La cible marketing s'élargissait singulièrement. Même en plein cœur de l'Aveyron.
Si la tondeuse proposée à la vente n'était destinée à tondre le torse que par une forme d'euphémisme de bienséance, étant plutôt vouée à tondre les poils du pubis, je pouvais commencer à risquer une hypothèse : cette tondeuse était destinée aux hommes musulmans de la zone de chalandise de Villefranche de Rouergue. En effet, l'islam préconise le rasage des parties intimes, afin de faciliter les purifications rituelles. Un texte affirme même que le Prophète s'arrachait à la main les poils des aisselles.  L'hygiène en islam est très stricte et les textes sont formels sur les parties du corps qu'il convient d'épiler ou de tondre et celles qu'il est interdit d'épiler. Celles pour lesquelles les textes ne disent rien ne font l'objet d'aucun interdit. Le marché de la clientèle musulmane est suffisamment vaste dans le monde pour que les fabricants de tondeuse développent des produits spécifiquement adaptés à ses besoins. L'appareil idéal doit pouvoir tout à la fois servir aux parties intimes et raccourcir la moustache. S'agissant spécifiquement du torse, les textes ne disent rien, laissant donc cela à la libre appréciation de chacun. Le torse de la publicité était donc un leurre.
Soit. Mais, pour autant, la tondeuse en question n'était pas réservée uniquement aux hommes musulmans. Il n'y a pas de tondeuses « halal ». C'est donc qu'elle pouvait aussi être achetée et utilisée à d'autres fins que celles d'obéir à des préceptes religieux. 
Je tentais une deuxième hypothèse : les cyclistes. En effet, il est admis que les cyclistes s'épilent. Le torse ? Peut-être ou peut-être pas. Mais les jambes, certainement. Qui encore ? les gymnastes, les nageurs, beaucoup d'homosexuels et les acteurs pornographiques.
La cible marketing s'élargissait singulièrement. Même en plein cœur de l'Aveyron.
14 janvier
Mais ce qui est certain, avec l'apparition de cette tondeuse, c'est qu'elle signe ce que l'on savait sans vouloir le savoir, sans vouloir le comprendre, sans même vouloir l'imaginer, c'est qu'elle prouve si c'était encore nécessaire, que le « provincial », tel qu'il est encore dépeint dans les romans du XIXème siècle, cet homme « de nos campagnes »  qui demeure l'horizon fantasmatique du personnel politique, cet homme rural que l'on voit encore dans les publicités fabriquées pour vendre des produits qualifiés de « bio », ce qui est certain, donc, c'est que cet homme n'existe plus s'il a jamais existé. Si nous en avons encore une idée, une image, un vague pressentiment, c'est que les reflux de la troisième République sont parvenus jusqu'à nous, et que nous avons lu Pagnol et quelques autres livres de propagande du XXème siècle qui vantaient le siècle précédent, et c'est sans doute aussi, malgré tout, comme l'aurait dit Péguy, parce que nous sommes « l'arrière-garde ». Il faudrait ainsi enseigner désormais, inculquer l'idée au personnel politique que l'homme aveyronnais s'épile intégralement et cela devrait changer radicalement leur discours politique. Mais ce qui est certain, avec l'apparition de cette tondeuse, c'est qu'elle signe ce que l'on savait sans vouloir le savoir, sans vouloir le comprendre, sans même vouloir l'imaginer, c'est qu'elle prouve si c'était encore nécessaire, que le « provincial », tel qu'il est encore dépeint dans les romans du XIXème siècle, cet homme « de nos campagnes »  qui demeure l'horizon fantasmatique du personnel politique, cet homme rural que l'on voit encore dans les publicités fabriquées pour vendre des produits qualifiés de « bio », ce qui est certain, donc, c'est que cet homme n'existe plus s'il a jamais existé. Si nous en avons encore une idée, une image, un vague pressentiment, c'est que les reflux de la troisième République sont parvenus jusqu'à nous, et que nous avons lu Pagnol et quelques autres livres de propagande du XXème siècle qui vantaient le siècle précédent, et c'est sans doute aussi, malgré tout, comme l'aurait dit Péguy, parce que nous sommes « l'arrière-garde ». Il faudrait ainsi enseigner désormais, inculquer l'idée au personnel politique que l'homme aveyronnais s'épile intégralement et cela devrait changer radicalement son discours politique.
15 janvier
Il y a une vingtaine d'années, une trentaine d'années tout au plus, l'islam, à Villefranche de Rouergue, était l'islam de l'immigration maghrébine ouvrière.Les Arabes étaient musulmans. C'était comme ça. Cela n'entrait en concurrence avec rien, ni avec la République, ni avec le christianisme, ni avec le judaïsme. Les jeunes s'habillaient comme ils s'habillaient, et la longueur de leurs cheveux ou les spécificités de leur accoutrement étaient dictées par la seule société de consommation. Aucun jeune ne se promenait dans les rues en qamis. C'était l'appartenance à telle ou telle classe sociale qui déterminait principalement l'apparence que l'on avait. Seuls quelques séminaristes portaient encore la soutane. Il y a une vingtaine d'années, une trentaine d'années tout au plus, l'islam, à Villefranche de Rouergue, était l'islam de l'immigration maghrébine ouvrière. Les Arabes étaient musulmans. C'était comme ça. Cela n'entrait en concurrence avec rien, ni avec la République, ni avec le christianisme, ni avec le judaïsme. Les jeunes s'habillaient comme ils s'habillaient, et la longueur de leurs cheveux ou les spécificités de leur accoutrement étaient dictées par la seule société de consommation. Aucun jeune ne se promenait dans les rues en qamis. C'était l'appartenance à telle ou telle classe sociale qui déterminait principalement l'apparence que l'on avait. Seuls quelques séminaristes portaient encore la soutane.
16 janvier
Depuis ce temps, depuis ce temps des années 1970, depuis ce temps qui soufflait des libertés nouvelles, des libertés individuelles, les choses ont changé. L'appartenance à un groupe, l'identité de groupe, cette recherche identitaire nommée à la légère, et pour tout dire, de façon très inconséquente, « communautarisme », prime sur l'individu, veut primer sur l'identité individuelle, sur la liberté de l'identité. Il faut dès lors chercher à qui profite ce mouvement continu d'agglutination de la société ; à qui profite l'amalgame communautaire. Au pouvoir politique ? Un peu. Sans doute. Mais le pouvoir politique lui-même subit cette segmentation. Alors à quel pouvoir ?  Qui a besoin d'une segmentation efficace de la société, d'une segmentation organisée, et si possible stable, et même, à l'idéal, figée ? Qui préfère que les goûts, les modes de vie, les désirs, tous les désirs soient catégoriques et catégorisés, et catégorisables ? Qui a besoin de constituer des cibles et que ces cibles ne soient pas modifiées, et même, à l'idéal, ne soient pas modifiables ? Une réponse marxisante à ces questions nommerait le grand capital. Certes. Mais ce qui entretient ce grand capital, ce qui le fait prospérer, c'est bien la consommation. Et ce qui renouvelle cette consommation, ce qui la développe, ce qui l'infiltre au cœur même de l'humanité, c'est bien ce que l'on nomme le progrès, ou comme l'aurait dit Péguy, la modernité. Depuis ce temps, depuis ce temps des années 1970, depuis ce temps qui soufflait des libertés nouvelles, des libertés individuelles, les choses ont changé. L'appartenance à un groupe, l'identité de groupe, cette recherche identitaire nommée à la légère, et pour tout dire, de façon très inconséquente, « communautarisme », prime sur l'individu, veut primer sur l'identité individuelle, sur la liberté de l'identité. Il faut dès lors chercher à qui profite ce mouvement continu d'agglutination de la société ; à qui profite l'amalgame communautaire. Au pouvoir politique ? Un peu. Sans doute. Mais le pouvoir politique lui-même subit cette segmentation. Alors à quel pouvoir ?  Qui a besoin d'une segmentation efficace de la société, d'une segmentation organisée, et si possible stable, et même, à l'idéal, figée ? Qui préfère que les goûts, les modes de vie, les désirs, tous les désirs soient catégoriques et catégorisés, et catégorisables ? Qui a besoin de constituer des cibles et que ces cibles ne soient pas modifiées, et même, à l'idéal, ne soient pas modifiables ? Une réponse marxisante à ces questions nommerait le grand capital. Certes. Mais ce qui entretient ce grand capital, ce qui le fait prospérer, c'est bien la consommation. Et ce qui renouvelle cette consommation, ce qui la développe, ce qui l'infiltre au cœur même de l'humanité, c'est bien ce que l'on nomme le progrès, ou comme l'aurait dit Péguy, la modernité.
17 janvier
La démonstration est ainsi faite : la barbe des fondamentalistes musulmans sunnites est, en première intention, la marque théologique de la volonté d'échapper à l'impureté et à la corruption du monde d'ici-bas, et c'est une marque politique, qui est aussi sociale, celle d'échapper à l'occidentalisation, c'est à dire d'échapper à la société de consommation et à ses désirs artificiels. La barbe du hipster marque, elle, le souhait de revenir vers les mouvements hédonistes des années 1970, vers l'époque des « chevelus » de Pasolini, d'adopter un mode de vie participatif et parfois décroissant. L'une et l'autre barbe manifestent donc une volonté de rupture avec l'ordre économique dominant. Mais, l'une et l'autre barbes sont rattrapées par cette même société de consommation, et l'objet symbolique de cette récupération, serait, - je m'amuse à le croire - cette tondeuse vue pour la première fois en Aveyron. Il n'y a d'ailleurs pas que la tondeuse. Il y a tous les objets de consommation et il faut, pour s'en convaincre, aller sur les sites marchands spécialisés pour musulmans fondamentalistes, qui utilisent tous les ressorts du marketing pour vendre des produits adaptés à l'observance la plus rigoureuse. Les religions sont en effet un rêve pour les marchands, quand elles veulent régler les moindres détails de la vie des femmes et des hommes, car, il est alors facile de produire et de diffuser en grand nombre des produits adéquats.
Pour autant, bien sûr, l'une et l'autre barbes, bien que semblables, sont différentes. Elles ne disent pas exactement la même chose. C'est peut-être qu'elles ne sont pas au même point du cycle évoqué par Pasolini, qui, dans ces mêmes années 1970, montre comment un signe sympathique, les cheveux longs, disant des « choses » plutôt de gauche, finit par dire, selon lui, des « choses » plutôt de droite, sinon d'extrême droite. Bien sûr, Pasolini ne pouvait pas savoir en 1973 que les barbes des ayatollahs finiraient quelques années plus tard par avoir raison des cheveux longs et surtout des cheveux des femmes. Il est évident désormais que la barbe fondamentaliste est une barbe devenue fasciste, quand la barbe hipster demeure une barbe plutôt de gauche, mais d'une gauche le plus souvent sans politique. Ce qui est certain, c'est que ni l'une ni l'autre barbe ne peuvent avoir la prétention d'être une arme contre le capitalisme.
La démonstration est ainsi faite : la barbe des fondamentalistes musulmans sunnites est, en première intention, la marque théologique de la volonté d'échapper à l'impureté et à la corruption du monde d'ici-bas, et c'est une marque politique, qui est aussi sociale, celle d'échapper à l'occidentalisation, c'est à dire d'échapper à la société de consommation et à ses désirs artificiels. La barbe du hipster marque, elle, le souhait de revenir vers les mouvements hédonistes des années 1970, vers l'époque des « chevelus » de Pasolini, d'adopter un mode de vie participatif et parfois décroissant. L'une et l'autre barbe manifestent donc une volonté de rupture avec l'ordre économique dominant. Mais, l'une et l'autre barbes sont rattrapées par cette même société de consommation, et l'objet symbolique de cette récupération, serait, - je m'amuse à le croire - cette tondeuse vue pour la première fois en Aveyron. Il n'y a d'ailleurs pas que la tondeuse. Il y a tous les objets de consommation et il faut, pour s'en convaincre, aller sur les sites marchands spécialisés pour musulmans fondamentalistes, qui utilisent tous les ressorts du marketing pour vendre des produits adaptés à l'observance la plus rigoureuse. Les religions sont en effet un rêve pour les marchands, quand elles veulent régler les moindres détails de la vie des femmes et des hommes, car, il est alors facile de produire et de diffuser en grand nombre des produits adéquats, inutiles et présentés comme nécessaires sinon indispensables.
Pour autant, bien sûr, l'une et l'autre barbes, bien que semblables, sont différentes. Elles ne disent pas exactement la même chose. C'est peut-être qu'elles ne sont pas au même point du cycle évoqué par Pasolini, qui, dans ces mêmes années 1970, montre comment un signe sympathique, les cheveux longs, disant des « choses » plutôt de gauche, finit par dire, selon lui, des « choses » plutôt de droite, sinon d'extrême droite. Bien sûr, Pasolini ne pouvait pas savoir en 1973 que les barbes des ayatollahs finiraient quelques années plus tard par avoir raison des cheveux longs des jeunes bourgeois iraniens qu'il fustige dans ce même texte, et surtout des cheveux des femmes. Il est évident désormais que la barbe fondamentaliste est une barbe devenue fasciste, quand la barbe hipster demeure une barbe plutôt de gauche, mais d'une gauche le plus souvent sans politique. Ce qui est certain, c'est que ni l'une ni l'autre barbe ne peuvent avoir la prétention d'être une arme contre le capitalisme.
18 janvier
Nous serions donc entrés dans un temps nouveau, et ce temps aurait pour caractéristique principale la « retribalisation » de nos sociétés. Que l'on m'entende bien, il ne s'agit pas ici d'utiliser le mot « tribu » comme une métaphore utile en sociologie, mais, comme la marque culturelle de l'arrêt du mouvement d'individualisation de l'être, mouvement engagé depuis les Lumières, c'est à dire rien de moins que l'arrêt de l'éveil de l'être en tant que sujet dans nos sociétés. Ce n'est pas la première fois. Tous les totalitarismes s'y sont essayés. Tous ont commencé par réussir, avant d'échouer. Et c'est bien là le problème. Et c'est bien là la question. La question n'est pas de savoir si les totalitarismes vont échouer, car c'est leur destin d'échouer. Le problème est de savoir que l'on ne vit qu'un temps, qu'un temps donné et il y a ceux qui ont vécu les temps de guerre et ceux qui ont vécu les temps de paix. Il y a ceux qui ont vécu le délitement constant de leurs croyances, de ces croyances qui faisaient leur joie, et ceux qui ont vécu l'espoir et même l'espérance. Charles Péguy écrivait dans Notre Jeunesse que sa génération était la dernière, qu'elle était  l'arrière-garde et qu'après sa génération, il n'y avait rien. Cette jeunesse que Péguy regardait avec inquiétude en 1910, regrettant qu'elle fût sans « mystique » allait quatre années plus tard périr massivement dans les tranchées, avec le même Péguy, d'ailleurs, tué dans les premiers affrontements à quarante-et-un ans. Pasolini regarde la jeunesse de 1973 avec la même incrédulité inquiète. L'un et l'autre s'en prennent à ce qu'ils nomment ou ne nomment pas « le monde moderne ». Est-ce que cela les place en conséquence, ensemble ou séparément, dans le même camp des réactionnaires ? Passé quarante-ans, quand on regarde le monde et qu'on s'étonne, et qu'on regrette, et qu'on critique, il faut toujours se demander si l'on n'est pas devenu subrepticement réactionnaire. Nous serions donc entrés dans un temps nouveau, et ce temps aurait pour caractéristique principale la « retribalisation » de nos sociétés. Que l'on m'entende bien, il ne s'agit pas ici d'utiliser le mot « tribu » comme une métaphore utile en sociologie, mais, comme la marque culturelle de l'arrêt du mouvement d'individualisation de l'être, mouvement engagé depuis les Lumières, c'est à dire rien de moins que l'arrêt de l'éveil de l'être en tant que sujet dans nos sociétés. Ce n'est pas la première fois. Tous les totalitarismes s'y sont essayés. Tous ont commencé par réussir, avant d'échouer. Et c'est bien là le problème. Et c'est bien là la question. La question n'est pas de savoir si les totalitarismes vont échouer, car c'est leur destin que d'échouer. Le problème est de savoir que l'on ne vit qu'un temps, qu'un temps donné, et il y a ceux qui ont vécu les temps de guerre, et ceux qui ont vécu les temps de paix. Il y a ceux qui ont vécu le délitement constant de leurs croyances, de ces croyances qui faisaient leur joie, et ceux qui ont vécu l'espoir et même l'espérance. Charles Péguy écrivait dans Notre Jeunesse que sa génération était la dernière, qu'elle était  l'arrière-garde et qu'après sa génération, il n'y avait rien. Cette jeunesse que Péguy regardait avec inquiétude en 1910, regrettant qu'elle fût sans « mystique » allait quatre années plus tard périr massivement dans les tranchées, avec le même Péguy, d'ailleurs, tué dans les premiers affrontements à quarante-et-un ans. Pasolini regarde la jeunesse de 1973 avec la même incrédulité inquiète. L'un et l'autre s'en prennent à ce qu'ils nomment ou ne nomment pas « le monde moderne ». Est-ce que cela les place en conséquence, ensemble ou séparément, dans le même camp des réactionnaires ? Passé quarante-ans, quand on regarde le monde et qu'on s'étonne, et qu'on regrette, et qu'on critique, il faut toujours se demander si l'on n'est pas devenu subrepticement réactionnaire.
19 janvier
Pour autant, Péguy et Pasolini sont-ils réactionnaires ?  Le dictionnaire Larousse  donne  de ce terme la définition suivante : qui se montre partisan d'un conservatisme étroit ou d'un retour vers un état social ou politique antérieur.  Péguy regrette la mystique républicaine  et Pasolini l'Italie avant le fascisme et la consommation de masse. Cela peut-il suffire à les classer parmi les réactionnaires ? Réactionnaires, Péguy et Pasolini n'auraient pas d'intérêt alors que leurs œuvres recèlent des charmes puissants. C'est bien qu'il s'échappent de cette classification hâtive. Je veux croire pour ma part que ni l'un ni l'autre ne sont vraiment réactionnaires car, ce qu'ils regrettent - et s'agit-il d'ailleurs de regrets - ce n'est pas un état antérieur de la société, mais l'état jamais atteint d'une société mise en mouvement par des idéaux politiques élevés au rang de mystique. L'Italie pré-fasciste de Pasolini est la Judée-Samarie du premier siècle qu'il filme pour l'Évangile selon Saint Matthieu. La France républicaine est un phalanstère de Fourier qui pousse sur une terre gorgée du sang des Communards. Les deux poètes glorifient le martyre et l'un et l'autre seront, dans des circonstances, certes, très différentes, sacrifiés et sanctifiés. Péguy et Pasolini, comme le dit ce dernier, entretenaient avec leurs pères un rapport dialectique dont la jeunesse barbue dans son aliénation semble avoir abandonné l'ambition. Réactionnaires ?  Le dictionnaire Larousse  donne  de ce terme la définition suivante : qui se montre partisan d'un conservatisme étroit ou d'un retour vers un état social ou politique antérieur.  Péguy regrette la mystique républicaine  et Pasolini l'Italie avant le fascisme et la consommation de masse. Cela peut-il suffire à les classer parmi les réactionnaires ? Réactionnaires, Péguy et Pasolini n'auraient pas d'intérêt alors que leurs œuvres recèlent des charmes puissants. C'est bien qu'il s'échappent de cette classification hâtive. Je veux croire pour ma part que ni l'un ni l'autre ne sont véritablement réactionnaires car, ce qu'ils regrettent - et s'agit-il d'ailleurs de regrets - ce n'est pas un état antérieur de la société, mais l'état jamais atteint d'une société mise en mouvement par des idéaux politiques élevés au rang de mystique. L'Italie pré-fasciste de Pasolini est la Judée-Samarie du premier siècle qu'il filme pour l'Évangile selon Saint Matthieu. La France républicaine de Péguy est un phalanstère de Fourier qui pousse sur une terre gorgée du sang des Communards et dans la foi de l'innocence du capitaine Dreyfus. Les deux poètes glorifient le martyre et l'un et l'autre seront, dans des circonstances, certes, très différentes, sacrifiés et sanctifiés. Péguy et Pasolini, comme le dit ce dernier, entretenaient avec leurs pères un rapport dialectique, dont la jeunesse barbue dans son aliénation consumériste semble avoir abandonné l'ambition.
20 janvier
Le temps passe par spasmes et provoque à notre monde, c'est à dire à nos sociétés, des poussées de modernité, qui sont tout autant des poussées inflammatoires. Ces poussées attaquent, altèrent, détruisent parfois, non pas la culture, comme le pensait Péguy, mais le système culturel, comme système, dans le même sens que l'on donne à système immunitaire. Ainsi, il n'est pas juste, et c'est même une erreur flagrante, grossière, de penser, de penser et d'écrire, que les barbus radicaux qui détruisent les statues de Palmyre  le font contre la culture occidentale. Ils le font  pareillement contre la culture arabe, contre la culture musulmane, contre l'idée même de culture.  Sans compter que s'approprier Palmyre comme  un  joyau de la culture occidentale relève de l'escroquerie intellectuelle, de l'escroquerie historique, relève d'une pensée coloniale, d'une pensée colonialiste.
Est-ce que nous avons des raisons d'espérer que cette poussée anticulturelle ne dure pas longtemps ? Sans doute. Péguy ajoute : « Mais enfin c'est pour le temps présent. »
Le temps passe par spasmes et provoque à notre monde, c'est à dire à nos sociétés, des poussées de modernité, qui sont tout autant de poussées inflammatoires. Ces poussées attaquent, altèrent, détruisent parfois, non pas la culture, comme le pensait Péguy, mais le système culturel, comme système, dans le même sens que l'on donne à système immunitaire. Ainsi, il n'est pas juste, et c'est même une erreur flagrante, grossière, que de penser, de penser et d'écrire, que les barbus radicaux qui détruisent les statues de Palmyre  le font contre la culture occidentale. Ils le font  pareillement contre la culture arabe, contre la culture musulmane, contre l'idée même de culture, contre le système culturel qui révère le passé, le conserve et le montre.  Sans compter que s'approprier Palmyre comme un  joyau de la culture occidentale relève de l'escroquerie intellectuelle, de l'escroquerie historique, relève d'une pensée coloniale, d'une pensée colonialiste. C'est que ce système culturel, lui, malgré sa marchandisation, entretient avec le consumérisme un rapport dialectique et critique qui ne peut convenir au cléricalisme, qui est lui aussi un consumérisme.
Est-ce que nous avons des raisons d'espérer que cette poussée anticulturelle ne dure pas longtemps ? Sans doute. Péguy ajoute : « Mais enfin c'est pour le temps présent. »
21 janvier
Je ne conclurai pas ce texte comme Pasolini conclut le sien, par une imprécation contre les barbes de toutes sortes, contre l'épilation intégrale, ni même contre les tondeuses. En revanche, il est temps et bien temps de commencer le travail qui fera que nous sortirons plus vite de l'époque dégradante dans laquelle nous vivons. À chacun des spasmes historiques de la modernité, il s'est trouvé des inventeurs de contre-pouvoirs, femmes et hommes qui ont tissé l'avenir de leurs espoirs et de leur espérance et c'est, pour un temps, ceux-ci qui ont gagné. Ils n'ont pas gagné pour leur temps, ni pour notre temps, mais ils ont gagné pour l'histoire, pour notre histoire. Dans la première page du roman Aden Arabie, Paul Nizan, en 1930, se trouve lui aussi confronté aux spasmes historiques de la modernité historique, au commencement de ce terrible spasme d'une modernité terrible. Il écrit alors ceci : « À quoi ressemblait notre monde ? II avait l'air du chaos que les Grecs mettaient à l'origine de l'univers dans les nuées de la fabrication. (...) Alors très peu d’hommes se sentaient assez clairvoyants pour débrouiller les forces déjà à l'œuvre derrière les grands débris pourrissants. On ne savait rien de ce qu'il eût fallu savoir : la culture était trop compliquée pour permettre de comprendre autre chose que les rides de la surface. »
Ainsi, pendant ces périodes spasmodiques, de tous les professionnels qui prétendent soigner la société, ne restent face à l'histoire, que ceux qui prophétisent, ne restent que les prophètes.
Je ne conclurai pas ce texte comme Pasolini conclut le sien, par une imprécation contre les barbes de toutes sortes, contre l'épilation intégrale, ni même contre les tondeuses. En revanche, il est temps et bien temps de commencer le travail qui fera que nous sortirons plus vite de l'époque dégradante dans laquelle nous vivons. À chacun des spasmes historiques de la modernité, il s'est trouvé des inventeurs de contre-pouvoirs, femmes et hommes qui ont tissé l'avenir avec leurs espoirs et leur espérance et c'est, pour un temps, ceux-ci qui ont gagné. Ils n'ont pas gagné pour leur temps, ni pour notre temps, mais ils ont gagné pour l'histoire, pour notre histoire. Dans la première page du roman Aden Arabie, Paul Nizan, en 1930, se trouve lui aussi confronté aux spasmes historiques de la modernité historique, au commencement de ce terrible spasme d'une modernité terrible. Il écrit alors ceci : « À quoi ressemblait notre monde ? II avait l'air du chaos que les Grecs mettaient à l'origine de l'univers dans les nuées de la fabrication. (...) Alors très peu d’hommes se sentaient assez clairvoyants pour débrouiller les forces déjà à l'œuvre derrière les grands débris pourrissants. On ne savait rien de ce qu'il eût fallu savoir : la culture était trop compliquée pour permettre de comprendre autre chose que les rides de la surface. »
Ainsi, pendant ces périodes spasmodiques, de tous les professionnels qui prétendent soigner la société, ne restent face à l'histoire, que ceux qui prophétisent, ne restent que les prophètes, les prophètes vivants.