Aujourd'hui,
un tel choix est essentiel, mais il
n'est pas « tout. » En effet, comme Moravia lui-même
l'observe, ce
choix n'est pas jugé en lui-même, mais par ses résultats théoriques et
pratiques (le changement du monde). Comment se fait-il que certains
choix justes — par exemple un marxisme merveilleusement
orthodoxe — donnent des résultats aussi affreusement
défectueux ? J'exhorte Moravia
à penser à Staline. Personnellement, je n'ai aucun doute : les
« crimes » de Staline sont le résultat du rapport entre le
choix politique (le
bolchevisme) et la culture antérieure de Staline (à savoir ce que
Moravia appelle, avec mépris, le pré-moral et le pré-idéologique). Du
reste, il n'est pas besoin de recourir à Staline, à son choix juste et
à son fonds culturel paysan, clérical et barbare. Les exemples sont
innombrables. Moi-même, par exemple, si l'on en croit Maurizio Ferrara
(qui, en me rappelant avec sévérité dans l'Unita que le choix a une
valeur essentielle et définitive, m'adresse la même critique que
Moravia), j'ai fait un choix juste, mais je l'ai mal appliqué ; c'est,
semble-t-il, à mon irrationalisme culturel, autrement dit à la culture
antérieure au sein de laquelle j'ai été formé.
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S'agissant encore de la définition du mot «
culture », et, maintenant, de la troisième entrée du dictionnaire de
l'Académie relative à la culture des groupes, il est indiqué que la
culture, dans cette troisième acception, est : (l') ensemble
des acquis littéraires, artistiques, artisanaux, techniques,
scientifiques, des mœurs, des lois, des institutions, des coutumes, des
traditions, des modes de pensée et de vie, des comportements et usages
de toute nature, des rites, des mythes et des croyances qui constituent
le patrimoine collectif et la personnalité d'un pays, d'un peuple ou
d'un groupe de peuples, d'une nation.
Le terme qui retient mon attention dans cette
définition est le terme « personnalité. » Un commentateur du
temps,
journaliste ou personnel politique, aurait certainement ici utilisé le
terme « identité » plutôt que le terme
« personnalité. »
Dans l'écart sémantique entre « personnalité » et
« identité, » écart qui n'est pas de l'ordre de la
nuance,
se situe justement ce qui relèverait du culturel.
« Personnalité »... Emmanuel Mounier et le personnalisme
opposent la personne à
l'individu.De la même façon, « identité » ne renvoie pas à la
personne mais
à l'individu, cet « individu » des rapports de police, qui
peut être
délinquant et justiciable, mais jamais une personne.
« Personnalité »
n'est pas « identité. » On peut même penser que les deux
termes
s'opposent. Dans « personnalité »,
il y a la permanence de la personne, prise dans le mouvement de la vie,
dans cet « effort » dont on a vu qu'il est consubstantiel à
la culture de soi.
Alors que dans « identité », il y a ce qui est figé dans
l'individu. Il
y a tout
ce qu'il peut y avoir d'assigné
par autrui et par la société en tout être, tout ce qui n'est pas choisi. La personnalité est toujours
en devenir alors que l'identité est déjà donnée. La personnalité ne
peut être que vivante quand l'identité subsiste après la mort.
Car, l'identité, c'est déjà la
mort. En cela, l'identité ne relève pas de la culture. Sur les livrets
de famille, à côté de la date et du lieu de naissance, figure, déjà
prête, la place de la date et du lieu du décès.
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