Diégèse




samedi 16 juillet 2016



2016
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#Péguy-Pasolini - les textes de Diégèse 2016 -










À présent que le modèle social à réaliser n'est plus celui de la classe, mais un autre imposé par le pouvoir, beaucoup de personnes ne sont pas en mesure de le réaliser ; et cela les humilie terriblement. Je prends un exemple, très humble : autrefois, le porteur de pain, ou « cascherino » — comme on l'appelle ici à Rome était toujours éternellement joyeux, d'une joie vraie et rayonnante. Il s'en allait par les rues en sifflant et en jetant des bons mots. Sa vitalité était irrésistible. Il était habillé bien plus pauvrement qu'aujourd'hui : un pantalon rapiécé et une chemise très souvent en haillons. Pourtant tout cela faisait partie d'un modèle qui, dans sa bourgade, avait une valeur, un sens — et il en était fier. Au monde de la richesse, il pouvait en opposer un autre tout aussi valable. Il entrait dans la maison riche avec un rire natuliter anarchiste, qui discréditait tout, même s'il était respectueux. Mais c'était le respect d'une personne profondément étrangère. Et, en somme ce qui compte, c'est que cette personne, ce gamin, était heureux.
N'est-ce pas le bonheur qui compte ? N'est-ce pas pour le bonheur qu'on fait la révolution ? La condition paysanne et sous-prolétarienne savait exprimer, dans les personnes qui la vivaient, un certain bonheur « réel. » Aujourd'hui — avec le développement — ce bonheur s'est perdu. Cela signifie que le développement n'est en aucune façon révolutionnaire, même quand il est réformiste. Il ne donne que l'angoisse. De nos jours, il y a des adultes de mon âge assez ineptes pour penser que mieux vaut le sérieux (quasi tragique) avec lequel le « cascherino », cheveux longs et petite moustache, porte son paquet enveloppé de plastique que la joie « bébête » de jadis. Ils croient que préférer le sérieux au rire est un moyen viril d'affronter la vie. En réalité, ce sont des vampires heureux de voir que leurs innocentes victimes sont devenues vampires elles aussi. Le sérieux, la dignité, sont d'horribles devoirs que s'impose la petite-bourgeoisie, et les petits-bourgeois sont donc heureux de voir que les gosses du peuple sont aussi « sérieux et dignes. » Il ne leur vient même pas à l'esprit que là est la véritable dégradation : que les gosses du peuple sont tristes parce qu'ils ont pris conscience de leur infériorité sociale, étant donné que leurs valeurs et leurs modèles culturels ont été détruits.

Ce texte quotidien demeure impacté par la violence terrible qui s'est exprimée le soir du 14 juillet dans la ville de Nice à l'occasion du feu d'artifice célébrant la fête nationale. Si l'on s'éloigne de l'émotion, légitime, et de la douleur, et de la peine, et du deuil, et que l'on continue à tracer le sillon incertain de ce travail d'écriture qui tente d'aborder l'incapacité de ceux qui ont la parole - les médias et le personnel politique - à saisir la question culturelle, il apparaît vite que Pasolini apporte des réponses plus pertinentes à cette anomie - ou à cette « double anomie » - que ces « porte-parole », les uns empêtrés dans une logique de captation des spectateurs, donc, dans une logique du spectaculaire jusqu'à l'atroce, concurrence oblige ; les autres dans des logiques partisanes et électoralistes qui, malgré leur contrition, les cravates noires des hommes et le maquillage atténué des femmes, font de leurs sous-entendus politiciens les « sur-entendus » de leur vacuité.
Car, il faudra bien analyser le processus désastreux qui a pu conduire un homme de 31 ans, père de famille, à commettre un acte aussi absurde (contraire à la raison nous dit le dictionnaire) et indéterminé. Certains voudraient se passer d'explication ! On peut certes aligner tous les adjectifs de la langue française exprimant l'effroi et la condamnation morale. Il n'y a pas moyen d'y échapper. Mais après ? Est-ce qu'il suffira de jeter l'opprobre sur toute une partie de la population comme le fait déjà l'extrême-droite ? Le remède ne pourra qu'amplifier le mal. Il faudra bien se coltiner la question du spirituel et de la spiritualité, et ce n'est pas déroger à la laïcité que de traiter cette question qui fait de l'humanité l'humanité. Se retrancher derrière la laïcité pour couvrir les méfaits des « lucrativistes » apparaît sans issue comme cela apparaissait sans issue pour Pasolini. Proposer mondialement le même modèle consumériste tout en tenant écarté de la consommation l'immense majorité des pauvres ne peut être que source de catastrophe. Critiquer ce même modèle consumériste en bêlant des slogans dans des manifestations où ne se retrouvent que les moins appauvris des appauvris ne peut être une issue. Pasolini écrivait : « les gosses du peuple sont tristes parce qu'ils ont pris conscience de leur infériorité sociale, étant donné que leurs valeurs et leurs modèles culturels ont été détruits. ». Il faut désormais amputer la deuxième partie de la phrase, car, dans les quartiers dits populaires, qui ne sont que les quartiers de la pauvreté et de la relégation, a grandi une génération sans autre modèle culturel que celui d'une consommation effrénée à laquelle elle ne peut avoir accès que dans l'illégalité - le trafic - ou, plus rarement, comme un leurre supplémentaire forgé par la consommation, le spectacle, c'est-à-dire le sport marchandisé ou la musique enregistrée. À cette aporie, l'Islam apporte des réponses et l'Islam radicalisé prétend apporter toutes les réponses. S'il y a « guerre », c'est donc une guerre qui a longtemps été froide avant de tourner à une guérilla encore très circonscrite, mais c'est la guerre d'un totalitarisme, celui de la consommation qui a réponse à tout, contre un autre totalitarisme, celui d'un système prolifique qui se présente comme spirituel et qui produit des réponses pré-mâchées aux problèmes du monde. Les deux systèmes sont anti-culturels pour ce en quoi ils haïssent, les uns le disant, les autres le cachant, toute possibilité d'émancipation individuelle et collective, et c'est aussi pour cela, qu'en fin de compte, les uns comme les autres haïssent l'art.
Enrichissement de l’ « essai » sur la révolution anthropologique en Italie - Pier Paolo Pasolini
Écrits corsaires

culture versus culture - Péguy-Pasolini #13 - Diégèse 2016










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