L'affaire
Dreyfus, le dreyfusisme, la mystique, le mysticisme
dreyfusiste fut une culmination, un recoupement en culmination de trois
mysticismes au moins : juif, chrétien, français. Et comme je le
montrerai, ces trois mysticismes ne s'y
déchiraient point, ne s'y meurtrissaient point, mais y concouraient au
contraire par une rencontre, par un recoupement, en une rencontre, en
un recoupement peut-être unique dans l'histoire du monde. Je suis en
mesure d'affirmer que tous les mystiques dreyfusistes sont demeurés
mystiques, sont demeurés dreyfusistes, sont demeurés les mains pures.
Je le sais, j'en ai la liste aux Cahiers.
Je veux dire que tout ce
qu'il y avait de mystique, de fidèle, de croyant dans le dreyfusisme
s'est réfugié, s'est recueilli aux Cahiers,
dès le principe et
toujours, guidés par un instinct sûr, par le plus profond des
instincts, comme dans la seule maison qui eût gardé le sens et la
tradition, le dépôt, sacré pour nous, et peut-être pour l'histoire, de
la mystique dreyfusiste. Tel fut le premier fond, le premier corps de
nos amis et de nos abonnés. Beaucoup déjà sont morts. Tous ceux qui ne
sont pas morts nous sont restés invariablement fidèles. Ou plutôt ce
fut ce premier fond, ce premier corps, tout ce qu'il y avait de
mystique, de fidèle, de croyant dans le dreyfusisme qui fut, qui devint
non point seulement nos amis et nos abonnés, mais nos cahiers mêmes, le
corps et l'institution de nos cahiers. Je puis donc le dire. Les hommes
qui se taisent, les seuls qui importent, les silencieux, les seuls qui
comptent, les tacites, les seuls qui compteront, tous les mystiques
sont restés invariables, infléchissables. Toutes les petites gens. Nous
enfin. J'en ai encore eu la preuve et reçu le témoignage aux vacances
de Pâques, aux dernières, et à ces vacances de la Pentecôte, où tant de
nos amis et de nos abonnés
des départements, notamment des professeurs, nous ont fait l'amitié de
venir nous voir aux Cahiers.
Ils sont comme ils étaient, ce qu'ils
étaient, ils sont les mêmes hommes qu'il y a dix ans. Qu'il y a douze
ans. Qu'il y a quinze ans. Et moi aussi j'ose dire qu'ils m'ont trouvé
le même homme qu'il y a dix ans. Douze ans. Quinze ans. Ce qui est
peut-être plus difficile. |
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La
vraie-fausse interdiction de la manifestation syndicale du 23
juin 2016 a donné un nouvel exemple de la mise en spectacle de la
politique par hystérisations successives. Rappelons les faits : les
syndicats de salariés sont contre le projet de loi réformant le
code du travail : ils veulent
organiser une nouvelle manifestation à Paris, souhaitant donner ainsi
le signe « qu'ils iront jusqu'au bout. » Cependant, les
manifestations
précédentes, à Paris et dans plusieurs autres villes ont été le théâtre
d'incidents entraînant parfois des blessures corporelles graves et des
dommages aux biens. La conjonction du championnat européen de football,
de l'état d'urgence, deux jours après la fête de la musique, tous faits
qui mobilisent ou ont mobilisé les forces de l'ordre, ont conduit, dans
un premier temps, le gouvernement à demander aux syndicats de renoncer
à cette manifestation, dans un deuxième temps, le Préfet de police à
interdire la manifestation et, dans un troisième temps, le gouvernement
à autoriser la manifestation sous réserve d'un parcours restreint et de
mesures de sécurité exceptionnelle. Dès lors, les commentateurs ont
titré que les
syndicats avaient fait plier le gouvernement. Le personnel politique a
émis
des remarques politiciennes et parfaitement insincères. Tout cela
passera. Tout cela est déjà passé. Quand on s'éloigne un peu de ce
brouhaha, il apparaît que tout cela est dérisoire. La
solution trouvée, qui se donne les allures d'un compromis, et qui
impose de défiler en tournant autour du bassin de l'Arsenal près de la
place de la Bastille, est le révélateur que les manifestations, qui,
auparavant, étaient aussi un
spectacle, ne sont désormais
plus qu'un spectacle.
Car, il n'y a plus
aucun sens politique à tourner en rond autour d'un bassin de plaisance.
Mais, y avait-il encore un sens à multiplier ces rassemblements ? Il
s'agirait d'une épreuve de
force entre les syndicats et le gouvernement... Peut-être, mais elle
est alors
à l'évidence factice. Il suffit pour s'en convaincre de regarder les
images médiatiques, qui disent que les réunions
ne se tiennent que pour permettre les interviews jetées à la sortie des
ministères et que la manifestation en question est une sorte de
pantomime qui avait besoin d'un décor. Cette fameuse manifestation à
laquelle des femmes et des hommes vont prêter leur sincérité, n'aura
pourtant qu'un rôle
déclaratif. L'assertion performative : « ils ont manifesté » semble
bien devoir être l'unique bénéfice politique de la chose, dans une
sorte d'après coup. On se prend à
penser qu'il suffirait de passer d'emblée à cette étape, sans s'imposer
de battre un pavé qui n'a plus rien de révolutionnaire devant deux
mille policiers harassés. Et l'on entend encore que l'interdiction de
la
manifestation aurait eu une portée symbolique terrible ! Montrer
combien l'action de protestation collective, encadrée par des syndicats
professionnalisés, est devenue bien grotesque aura aussi une portée
symbolique, certainement plus durable. |