La réalité
est beaucoup moins
simple, beaucoup plus complexe et peut-être même beaucoup plus
compliquée. La Révolution française fonda une tradition, amorcée déjà
depuis un certain nombre d'années, une conservation, elle fonda un
ordre nouveau. Que cet ordre nouveau ne valût pas l'ancien, c'est ce
que beaucoup de bons esprits ont été amenés aujourd'hui à penser. Mais
elle fonda certainement un ordre nouveau, non pas un désordre, comme
les réactionnaires le disent. Cet ordre ensuite dégénéra en
désordre(s), qui sous le Directoire atteignirent leur plus grande
gravité. Dès lors si nous nommons, comme on le doit, restaurations les
restaurations d'ordre, quel qu'il soit, d'un certain ordre, de l'un ou
de l'autre ordre, et si nous nommons perturbations les introductions de
désordre(s), le 18 Brumaire fut certainement une restauration
(ensemble, inséparablement républicaine et monarchiste, ce qui lui
confère un intérêt tout particulier, un ton propre, un sens propre, ce
qui en fait une opération réellement très singulière, comparable à
nulle autre, et qu'il faudrait étudier de près, à laquelle surtout il
ne faut rien comparer dans toute l'histoire du dix-neuvième siècle
français, et même et autant dans toute l'histoire de France, à laquelle
enfin il ne faut référer, comparer nulle autre opération française, à
laquelle on ne trouverait d'analogies que dans certaines opérations
peut-être d'autres pays) ; (et surtout à qui il faut bien se garder de
comparer surtout le 2 Décembre) ; 1830 fut une restauration,
républicaine ; ah j'oubliais, on oublie toujours Louis XVIII ; la
Restauration fut une restauration, monarchiste ; 1830 fut une
restauration, républicaine ; 1848 fut une restauration républicaine, et
une explosion de la mystique républicaine ; les journées de juin même
furent une deuxième explosion, une explosion redoublée de la mystique
républicaine ; au contraire le 2 Décembre fut une perturbation, une
introduction d'un désordre, la plus grande perturbation peut-être qu'il
y eut dans l'histoire du dix-neuvième siècle français ; il mit au
monde, il introduisit, non pas seulement à la tête, mais dans le corps
même, dans la nation, dans le tissu du corps politique et social un
personnel nouveau, nullement mystique, purement politique et
démagogique ; il fut proprement l'introduction d'une démagogie ; le 4
septembre fut une restauration, républicaine ; le 31 octobre, le 22
janvier même fut une journée républicaine ; le 18 mars même fut une
journée républicaine, une restauration républicaine en un certain sens,
et non pas seulement un mouvement de température, un coup de fièvre
obsidionale, mais une deuxième révolte, une deuxième explosion de la
mystique républicaine et nationaliste ensemble, républicaine et
ensemble, inséparablement patriot(iqu)e ; les journées de mai furent
certainement une perturbation et non pas une restauration, la
République fut une restauration jusque vers 1881 où l'intrusion de la
tyrannie intellectuelle et de la domination primaire commença d'en
faire un gouvernement de désordre. C'est en ce sens, et en ce sens
seulement, que le 2 Décembre fut le Châtiment, l'Expiation du 18
Brumaire, et que le Deuxième Empire fut le Châtiment du Premier.
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Il serait
faux, il serait injuste, il serait faux et injuste
de
penser que l'intello-fake se développe, se développe seulement dans le
camp
des conservatismes et de la réaction, qu'il prospère uniquement à
droite, avec des idées de droite qui plaisent aux gens de droite et aux
gens qui pensent être de gauche quand, à l'évidence, ils sont de
droite. La gauche a aussi ses intello-fakes. Il y a bien sûr, encore,
Michel Onfray, et c'est aussi ce qui fait son succès, d'être à droite
et
à gauche, sans être au centre, au centre politique tout en se plaçant
au centre médiatique...
ce qui tend à donner des indices sur le
caractère non situé de sa pensée et de ses propos. On pourrait aussi
classer dans le camp des intello-fakes, tout en respectant sa
respectable longévité, cette longévité qui le respectabilise,
l'institutionnalise et le statufie, Jacques Attali. Dès lors, il peut
être intéressant de visionner, près de dix ans plus tard, un débat
auquel participent Attali et Onfray, en 2007, dans l'émission
« Esprits libres »
animée par Guillaume Durand, qui tente de reprendre le format de la
mythique « Apostrophes »
présentée de 1975 à 1990 par Bernard Pivot. Onfray est plus jeune
qu'aujourd'hui, le cou puissant, mis en valeur par un col en V. Attali
n'a pas changé parce qu'Attali ne change pas. Et, comme toujours,
Onfray commence par dire des choses avec lesquelles on peut être
d'accord : la gauche est devenue libérale dans les années 1980 et
a
abandonné le peuple des banlieues. On croirait lire Pasolini. Ensuite,
il dit que dans l'histoire de la philosophie, il y a les résistants et
les collaborateurs, parmi lesquels Jacques Attali, tout en retirant le
terme « collaborateur » qui, dit-il est connoté
« politiquement ». On
pourrait dire qu'il est surtout connoté historiquement. Et l'on attend
avec impatience qui seraient aujourd'hui les philosophes résistants,
outre lui-même, cela va sans dire. Il cite un mort et un vivant :
Raymond Aron et Luc Ferry. Et voilà tout l'art d'Onfray en quelques
minutes : passer de la gauche à la droite comme on joue au
bonneteau.
Car, imaginer Luc Ferry comme une figure de la philosophie de
résistance est grotesque, et le serait même pour un observateur
particulièrement inattentif. Luc Ferry a été ministre d'un gouvernement
de droite quelques années plus tôt, ce qui ne le place pas
immédiatement dans une position de résistance. Admettons cependant que
Raymond Aron n'a pas été ministre. La suite du débat est édifiante.
Onfray attaque, Attali se défend, rappelle que lui n'a jamais accepté
d'être
ministre, prétend que lui, agit, et renvoie son interlocuteur dans la
pensée, qui, elle, n'agirait pas. Son interlocuteur répond qu'il a
acheté un chapiteau pour réunir ses concitoyens d'Argentan, ce qui
semble bien valoir le micro-crédit. Tout y
passe, dans dans une bouillie dont il ressort principalement que les
deux hommes ne sont en fait opposés en rien. Ils participent du même
système médiatique et alignent, chacun à sa manière, les mêmes poncifs
doxaux. Face à eux, Xavier Darcos affiche une certaine fraîcheur qui
n'est
d'ailleurs pas feinte. Je mets quiconque au défi de déterminer, à
l'issue de ce faux débat, qui défend quoi, qui est de gauche, ou plutôt
de gauche, et qui est de droite, ou plutôt de droite et même, qui est
humaniste et qui ne le serait pas. Le but est atteint. Le but
médiatique est atteint : la gauche et la droite, c'est pareil.
Onfray
est un Attali plus jeune. L'un et l'autre ne servent qu'une seule
cour : celle des médias et n'ont qu'un seul pouvoir, leur
notoriété. |