Diégèse | |||||||||
samedi 5 novembre 2016 | 2016 | ||||||||
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Et je ne veux
pas rouvrir
un ancien débat, aujourd'hui, désormais historique, mais dans nos
ennemis, chez nos ennemis, chez nos adversaires d'alors, historiques
comme nous, devenus historiques, je vois beaucoup d'intelligence,
beaucoup de lucidité même, beaucoup d'acuité : ce qui me frappe le
plus, c'est certainement un certain manque de charité. Je ne veux pas
anticiper sur ce qui est le propre des confessions. Mais il est
incontestable que dans tout notre socialisme même il y avait infiniment
plus de christianisme que dans toute la Madeleine ensemble avec
Saint-Pierre de Chaillot, et Saint-Philippe du Roule, et Saint-Honoré
d'Eylau. Il était essentiellement une religion de la pauvreté
temporelle. C'est donc, c'est assurément la religion qui sera jamais la
moins célébrée dans les temps modernes. Infiniment, d'infiniment la
moins chômée. Nous en avons été marqués si durement, si
ineffaçablement, nous en avons reçu une empreinte, une si dure marque,
si indélébile que nous en resterons marqués pour toute notre vie
temporelle, et pour l'autre. Notre socialisme n'a jamais été ni un
socialisme parlementaire ni un socialisme de paroisse riche. Notre
christianisme ne sera jamais ni un christianisme parlementaire ni un
christianisme de paroisse riche. Nous avions reçu dès lors une
telle vocation de la pauvreté, de la misère même, si profonde, si
intérieure, et en même temps si historique, si éventuelle, si
événementaire que depuis nous n'avons jamais pu nous en tirer, que je
commence à croire que nous ne pourrons nous en tirer jamais. C'est une
sorte de vocation. Une destination. Ce qui a pu donner le change, c'est que toutes les forces politiques de l'Église étaient contre le dreyfusisme. Mais les forces politiques de l'Église ont toujours été contre la mystique. Notamment contre la mystique chrétienne. C'est l'application la plus éminente qu'il y ait jamais eu de cette règle générale que nous posions plus haut. On pourrait même dire que l'affaire Dreyfus fut un beau cas de religion, de mouvement religieux, de commencement, d'origine de religion, un cas rare, peut-être un cas unique. |
Mais je ne voudrais pas être, moi aussi, ambigu, et laisser croire que je pense qu'il ne fallait rien faire et qu'il aurait été juste de laisser sur le trottoir sous laseule protection d'une ligne de métro aérien plus de trois-mille personnes sous des tentes et des cartons. Ce serait évidemment une indignité terrible. Bien sûr qu'il fallait donner un abri à ces personnes qui se pressaient à la porte des autocars pour être certains de quitter ce camp de misère de Stalingrad. Bien sûr qu'il est préférable de dormir sous le toit d'un gymnase muni de douches et de toilettes. Là n'est pas mon sujet, car mon sujet est essentiellement linguistique, et, ce étant, essentiellement symbolique. Et l'on reviendra donc à Calais où, évoquant les incendies allumés dans ce que l'on a appelé la « jungle », la préfète du Pas-de-Calais a déclaré : « On peut le regretter mais ça fait partie des traditions de la population migrante de détruire leur habitat avant de partir. Ça veut dire aussi que vraiment ils ont compris que le camp de Calais c'était fini. » L'anthropologue Nicolas Jaoul, dans le quotidien Libération du 4 novembre analyse ce fantasme qui s'exprime ainsi de sauvages aux rituels nécessairement barbares et aux coutumes certainement dangereuses. Pourraient-ils être autres quand ils séjournaient dans une « jungle » ? Nicolas Jaoul rappelle que la mise en scène de traditions spectaculaires chez les populations colonisées fait partie des rites des colonisateurs. Quant à la manipulation, qui est plus médiatique que politique, que cela voudrait dissimuler, il la démonte assez finement. Alors, il devait bien y avoir dans l'expression préfectorale le signe linguistique de cette ambiguïté, cette hésitation que l'on repère dans la langue officielle et qui relève du lapsus officiel. Ici, il s'agit de l'hésitation entre le singulier et le pluriel. En effet, s'il s'agissait des traditions de la population migrante, celle-ci devrait détruire son habitat et non leur habitat. On objectera qu'il s'agit d'une incorrection vénielle formulée oralement. Il n'empêche que ce doute sur le caractère pluriel ou singulier des migrants, qui, soudainement pris dans un grand tout rituel qui les amène de façon univoque à brûler leurs cases ou leurs huttes conformément aux coutumes de leur peuple, avant déblaiement, dit exactement ce que la préfète voulait dire. Il ne s'agissait pas d'individus individuels mais d'un problème - un seul - qu'elle avait et qu'il fallait régler. | ||||||||
Charles Péguy - Notre Jeunesse - | Malaise dans la langue - Péguy-Pasolini #20 - Texte continu | ||||||||
5 novembre |
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