Diégèse




samedi 8 octobre 2016



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#Péguy-Pasolini - les textes de Diégèse 2016 -










19 janvier 1975

Le coït, l'avortement, la fausse tolérance du pouvoir, le conformisme des progressistes
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Je suis favorable aux huit référendums du Parti radical, et serais prêt à une campagne, même immédiate, en leur faveur. Je partage avec le Parti radical l'anxiété de la ratification, c'est-à-dire celle de donner un aspect formel à ce qui existe déjà — c'est là le premier principe démocratique.

Je suis pourtant traumatisé par la législation de l'avortement, parce que je la considère, comme beaucoup, comme une légalisation de l'homicide. Dans mes rêves et dans mon comportement quotidien — c'est quelque chose de commun à tous les hommes — je vis ma vie prénatale, mon heureuse immersion dans les eaux maternelles : je sais que là, j'étais vivant. Je me contente de dire cela parce que, au sujet de l'avortement, j'ai des choses plus urgentes à dire. Que la vie est sacrée, c'est évident : c'est un principe encore plus fort que tout principe démocratique et il est inutile de le répéter.
Par contre, la première chose que je voudrais dire est la suivante : l'avortement est le premier, et l'unique, cas pour lequel les radicaux et tous les partisans de l'avortement démocrates durs et purs en appellent à la Realpolitik, et recourent donc à la prévarication « cynique » des faits établis et du bon sens.
S'ils se sont toujours, avant tout et peut-être idéalement (comme il le faut), posé le problème de savoir quels sont les « principes réels » à défendre, ils ne l'ont pas fait cette fois-ci.

Or, comme ils le savent bien, il n'existe pas un seul cas où les « principes réels » coïncident avec ceux que la majorité considère comme de véritables droits. Dans un contexte démocratique, on lutte certes pour la majorité, ou plutôt pour toute la société civile, mais il se trouve que la majorité, dans sa sainteté, a toujours tort : parce que son conformisme est toujours, de par sa nature même, brutalement répressif.





En janvier 1975, Pasolini signe dans le Corriere de la sera un article intitulé « Je suis contre l'avortement ». Quarante ans plus tard, alors que de nombreux pays, dont la Pologne, veulent remettre en cause les lois légalisant l'avortement, ce titre sonne encore comme une provocation. Mais ce titre n'est pas repris par l'éditeur des Écrits Corsaires, recueil de textes politiques de Pasolini, car, pour être vendeur, il n'en est pas moins réducteur. La pensée de Pasolini se déploie de façon plus subtile et plus complexe que la seule assertion d'être pour ou contre ceci ou cela. Il ne dit d'ailleurs pas exactement qu'il est contre l'avortement, mais que l'idée, à lui, Pasolini, homme italien des années 1970, lui répugne au regard du caractère sacré de la vie. Les titreurs du quotidien italien auront fait le reste selon les règles marchandes de l'économie de l'attention. Pasolini = communiste homosexuel = proche de l'extrême-gauche = pour l'avortement. Si le titre de l'article annonce d'emblée qu'il est contre, l'attention du lecteur est assurée. Au mieux, on peut espérer une polémique, un feuilleton et cela est toujours très vendeur. On imagine presque les vendeurs de journaux à la criée dans les rues de Rome, de Milan ou de Naples s'époumonant sur « Pasolini contro l'aborto ».
La même mésaventure médiatique lui était auparavant arrivée avec les cheveux longs pour les garçons. Dans l'imaginaire social un progressiste homosexuel ne pouvait être que pour les cheveux longs. Que Pasolini fût contre est resté gravé dans les mémoires. Bien sûr, Pasolini n'était ni pour ni contre les cheveux longs, mais dénonçait cette mode capillaire comme signal politique faible.
L'idée que l'objectif des médias est d'abord d'informer est une idée naïve. Au mieux, ce peut être l'objectif des journalistes qui travaillent pour ces médias. Cela ne peut en aucun cas être l'objectif du média lui-même. L'objectif du média est de se vendre et pour cela de jouer en permanence sur la bascule binaire de l'attention humaine : doxa versus paradoxe. Cette bascule repose, exactement comme le souligne Pasolini, sur le caractère profondément conformiste de l'opinion. Et c'est ce conformisme, toujours, qui enclenche la répression.
Pier Paolo Pasolini - Écrits corsaires -
Le coït, l'avortement, la fausse tolérance du pouvoir, le conformisme des progressistes

1 Corriere della sera, sous le titre « Je suis contre l'avortement »


Péguy-Pasolini #19 - Texte continu










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