Je ne
sais rien de si poignant, de si saisissant, je ne connais rien d'aussi
tragique que cet homme qui se roidissant de tout ce qui lui restait de
force se mettait en travers de son parti victorieux. Qui dans un effort
désespéré, où il se brisait lui-même, essayait, entreprenait de
remonter cet élan, cette vague, ce terrible élan, l'insurmontable élan
de la victoire et des abus, de l'abus de la victoire. Le seul élan
qu'on ne remontera jamais. L'insurmontable élan de la victoire acquise.
De la victoire faite. De l'entraînement de la victoire.
L'insurmontable, le mécanique, l'automatique élan du jeu même de la
victoire. Je le revois encore dans son lit. Cet athée, ce
professionnellement athée, cet officiellement athée en qui
retentissait, avec une force, avec une douceur incroyable, la parole
éternelle ; avec une force éternelle ; avec une douceur éternelle ; que
je n'ai jamais retrouvée égale nulle part ailleurs. J'ai encore sur
moi, dans mes yeux, l'éternelle bonté de ce regard infiniment doux,
cette bonté non pas lancée, mais posée, renseignée. Infiniment
désabusée ; infiniment renseignée ; infiniment insurmontable elle-même.
Je le vois encore dans son lit, cet athée ruisselant de la parole de
Dieu. Dans la mort même tout le poids de son peuple lui pesait aux
épaules. Il ne fallait point dire qu'il n'en était point responsable.
Je n'ai jamais vu un homme ainsi chargé, aussi chargé d'une charge,
d'une responsabilité éternelle. Comme nous sommes, comme nous nous
sentons chargés de nos enfants, de nos propres enfants dans notre
propre famille, tout autant, exactement autant, exactement ainsi il se
sentait chargé de son peuple. Dans les souffrances les plus atroces il
n'avait qu'un souci : que ses Juifs de Roumanie ne fussent point omis
artificieusement, pour faire réussir le mouvement, dans ce mouvement de
réprobation que quelques publicistes européens entreprenaient alors
contre les excès des persécutions orientales. Je le
vois dans son lit.
On montait jusqu'à cette rue de Florence ; si rive droite, pour nous,
si loin du Quartier. Les autobus ne marchaient pas encore. On montait
par la rue de Rome, ou par la rue d'Amsterdam, cour de Rome ou cour
d'Amsterdam, je ne sais plus laquelle des deux se nomme laquelle,
jusqu'à ce carrefour montant que je vois encore. Cette maison riche,
pour le temps, où il vivait pauvre. Il s'excusait de son loyer, disant
: J'ai un bail énorme sur le dos. Je ne sais pas si je pourrai
sous-louer comme je le voudrais. Quand j'ai pris cet appartement-là, je
croyais que je ferais un grand journal et qu'on travaillerait ici.
J'avais des plans. |
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Éric Zemmour
est l'un des personnages de ce métarécit que les médias
affectionnent. Le rôle qu'il y joue est assez précis, que l'on pourrait
qualifier de rôle du réactionnaire
islamophobe. Il est
supposé débiter une doxa franchouillarde nauséabonde, nourrie de propos
de
comptoirs éhontés et concurrencer ainsi le pseudo comique antisémite
Dieudonné sur son propre terrain sans jamais franchir la frontière de
la
respectabilité qui lui assure les tranches horaires de grande écoute.
En cela, la marge de liberté que le métarécit accorde à ses propos est
très étroite. Le
personnage de Monsieur Zemmour est entièrement mécanique. Ainsi, quand
la machine se dérègle, ou fait mine de se dérégler, c'est soudain
le tollé, et l'on voit une rédaction pourtant peu regardante, celle du
Figaro, devenue habile à déguiser le publireportage politique sous
l'aspect d'un article de fond, s'émouvoir de la dernière sortie du
polémiste réactionnaire qui tient une chronique hebdomadaire dans ce
même quotidien sans encombre, habituellement.
C'est que Monsieur Zemmour a déclaré dans un magazine de droite qu'il
respectait les djihadistes, car capables de mourir pour ce en quoi ils
croient « ce dont nous ne sommes plus capables. » La dernière
partie de la proposition : « nous ne sommes plus
capables » est une figure imposée de la réaction.
On peut la faire suivre de tout ce qui fleure bon le passé mythique
d'une
France, qui était déjà pourtant un mythe en 1880. Chez Zemmour, sans
doute, le
dernier épisode du Français (comprenez de souche) « capable de
mourir » pour son pays
remonte à la guerre d'Algérie, dernier grand épisode fasciste de la
même Nation. Ce n'est donc pas cette partie de la phrase qui émeut les
journalistes du Figaro. Mais, cette figure imposée est
précédée d'un paradoxe : le respect porté aux djihadistes. Au-delà
même de ce
qui peut faire débat dans un tel énoncé, il est formellement interdit à
Zemmour de l'émettre, car il est diamétralement opposé au rôle du
personnage qu'il doit continuer à jouer. C'est un peu comme si
soudainement dans Le Misanthrope,
Alceste devenait altruiste. Les autres personnages en seraient à coup
sûr déroutés. Que soudainement, Monseigneur Vingt-trois, figure
catholique réactionnaire bien connue, s'en aille vers de tels propos,
il ne serait pas certain que la polémique eût été la même. Cela eût
collé davantage au rôle. C'est que l'on eût pu plaider pour un accès
mystique, ce qui pour Zemmour est difficile à croire. |