Diégèse




jeudi 20 octobre 2016



2016
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#Péguy-Pasolini - les textes de Diégèse 2016 -










Un tel univers comprend une majorité totalement passive et simultanément violente, qui considère ses Institutions, écrites ou non, comme intouchables. Son fonds idéologique est encore clérico-fasciste, avec tous les lieux communs que cela implique. L'idée de l'absolu privilège de la normalité est aussi naturelle que vulgaire, et franchement criminelle. Tout est pré constitué, conformiste et se présente comme un « droit » : même ce qui s'oppose à ce « droit » (y compris le caractère tragique et le mystère implicites dans l'acte sexuel) est assumé de façon conformiste. À cause de l'inertie des gens, le guide de cette violence majoritaire demeure l'Église catholique ; même dans ce qu'elle a de plus progressiste et avancé (lisez le petit chapitre, atroce, p. 323 de La Chiesa e la sessualità4 du progressiste avancé S.H. Pfurtner). Mais... mais, au cours de ces dix dernières années est intervenue la société de consommation, c'est-à-dire un nouveau pouvoir faussement tolérant qui a relancé le couple sur une très grande échelle, en privilégiant tous les droits de son conformisme. Mais ce qui intéresse un tel pouvoir, ce n'est pas un couple générateur d'enfants (prolétaires), mais un couple consommateur (petit-bourgeois) : il a donc déjà in pectore l'idée de la légalisation de l'avortement (comme il avait déjà celle de la ratification du divorce).
Il ne me semble pas que les partisans de l'avortement aient mis tout cela en discussion à propos du problème qu'ils posent. Il me semble, en revanche, à propos de l'avortement, qu'ils se taisent sur le coït et que, donc, ils acceptent — je le répète, par Realpolitik, et donc avec un silence diplomatique, et donc coupable — son caractère d'institution inébranlable et « naturelle ».
Mon opinion extrêmement raisonnable est, par contre, la suivante : plutôt que de lutter sur le plan de l'avortement contre une société qui le condamne et réprime, c'est sur celui de la cause de l'avortement, c'est-à-dire celui du coït, qu'il faut lutter contre elle. Il s'agit — c'est clair — de deux luttes « retardées » : mais au moins, celle qui intervient « sur le plan du coït » a, en dehors de celui d'être plus logique et plus rigoureuse, le mérite de contenir des potentialités d'implications infiniment plus grandes.
II faut lutter avant tout contre la « fausse tolérance » du nouveau pouvoir totalitaire de la consommation, en s'en écartant avec toute l'indignation du monde ! Puis, il faut imposer à l'arrière-garde, encore clérico-fasciste, de ce pouvoir toute une série de « vraies » mesures libérales concernant le coït (et donc ses effets) : anticonceptionnels, pilules, techniques amoureuses différentes, une moralité moderne de l'honneur sexuel, etc. Il suffirait que tout cela soit démocratiquement diffusé par la presse et surtout par la télévision, et le problème de l'avortement serait en fin de compte résolu ; il n'en resterait alors, comme cela doit être, que la faute, et donc le seul problème de conscience. Tout cela est utopique ? Il est fou de penser qu'une « autorité » fasse sur les écrans de la publicité à des techniques amoureuses « différentes » ? Et alors, ce ne sont certes pas les hommes avec lesquels je polémique qui doivent s'effrayer de cette difficulté ! Pour autant que je sache, ce qui compte pour eux, c'est la rigueur du principe démocratique, et pas le fait établi (comme c'est, brutalement, le cas de n'importe quel parti politique).
Enfin, beaucoup — dénués de la virile et rationnelle capacité de comprendre — accuseront cette intervention d'être personnelle, particulière, minoritaire. Et alors ?

Le terme de « métarécit » rappelle bien sûr Jean-François Lyotard qui, dans La Condition postmoderne. Rapport sur le savoir publié en 1979 analysait la mort des grands métarécits qui avaient fondé l'idée de modernité. Pour mémoire, ces deux grands métarécits modernes, pour Lyotard, étaient ceux de l'émancipation du sujet rationnel et celui de l'histoire de l'esprit universel. Mais, qu'est-ce qui a changé depuis 1979 ? Essentiellement les conditions de production et de diffusion de l'information. Dans les années 1980, les métarécits contestés, effondrés sur eux-mêmes depuis la Shoah, étaient toujours des métarécits descendants. Les lieux de leur élaboration étaient aussi les lieux du pouvoir, pouvoir politique ou scientifique, les médias étant ensuite chargés de leur diffusion. Les conflits entre des métarécits opposés les uns aux autres, par exemple le libéralisme et le communisme, étaient mis en scène frontalement par la mise en place violente de l'étanchéité presque parfaite de leur spatialisation. Le symbole le plus fort de cette géographie politique et idéologique des métarécits était alors évidemment le Mur de Berlin. Désormais, et c'est très documenté, le fantasme d'une telle géographie est nécessairement voué à l'échec, car les modes de circulation de l'information ont été numérisés, mais, surtout, la communication point à point généralisée : l'internet, a transformé radicalement les modes de production et de diffusion de cette information. L'une des caractéristiques de l'univers numérique en réseau est que la concurrence s'exerce différemment. Là où, dans le monde de l'information analogique, les métarécits entraient en conflit sous la forme d'un bras de fer fantasmatique où il y aurait un soir, un « grand soir », un gagnant et un perdant, dans le monde de l'information numérique, de multiples métarécits peuvent tout à la fois être antagonistes et coexister. Alors que les Lumières pensaient pouvoir éradiquer l'obscurantisme, Lumières et obscurantisme peuvent de manière égale prospérer sur les réseaux sociaux sans s'exclure l'un l'autre. La ségrégation spatiale de l'information est devenue impossible, même par les dictatures. L'autre changement apporté, et il n'est pas des moindres, est que chaque individu connecté ou « connectable  » peut imaginer devenir acteur de ce métarécit, tout seul, dans son coin et acquérir cette minute de célébrité annoncée par Warhol. Les sociétés analogiques avaient résolu la nécessité anthropologique d'être acteur en proposant des événements collectifs massifs tels que les guerres ou les matchs de football. Il s'agissait de s'enrôler pour sauver la patrie, en tuant d'autres humains qualifiés d'étrangers ou en les tuant symboliquement avec un ballon rond. Ces pratiques analogiques ne sont pas éteintes. Cependant, de nouvelles formes naissent, non moins massives et non moins terribles et l'on en voit les conséquences tant avec les Pokemon-Go que les attentats djihadistes. Face à ces métarécits convergents et divergents, multiples, articulés finement les uns aux autres dans leurs oppositions mêmes, face à ce que l'on pourrait nommer le méta-métarécit, le personnel politique et médiatique, empêtré dans une pensée et un mode de production et de diffusion ontologiquement analogique et descendant, est contraint à des stratégies de manipulation grotesques, aussitôt déjouées qu'elles ont été imaginées. Ces pratiques, qui visent à préserver ou à recréer les conditions de diffusion d'une information ou d'une idéologie descendantes sont cruellement vouées à l'échec. Renaissent ainsi des bêtes que l'on croyait mortes, et, dans le même temps, des utopies généreuses que l'on croyait éteintes depuis Saint-Simon. Le pire et le meilleur. Le méta-métarécit, s'il n'est pas autoritaire, est pour autant totalitaire car total. Jamais métarécit n'avait été aussi proche de l'anagramme de matrice.
Pier Paolo Pasolini - Écrits corsaires -
Le coït, l'avortement, la fausse tolérance du pouvoir, le conformisme des progressistes
4 L'Église et la sexualité


Péguy-Pasolini #19 - Sortir du métarécit










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