Diégèse




dimanche 30 octobre 2016



2016
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#Péguy-Pasolini - les textes de Diégèse 2016 -










Je le regardais donc ce matin-là, 7, rue de Florence. Et je l'écoutais. J'étais assis au pied de son lit à gauche comme un disciple fidèle. Tant de douceur, tant de mansuétude dans une si cruelle situation me désarmait, me dépassait. Tant de douceur pour ainsi dire inexpiable. J'écoutais dans une piété, dans un demi-silence respectueux, affectueux, ne lui fournissant que le propos pour se soutenir. Le Beethoven de Romain Rolland venait de paraître. Nos abonnés se rappellent encore quelle soudaine révélation fut ce cahier, quel émoi il souleva d'un bout à l'autre, comme il se répandit soudainement, comme une vague, comme en dessous, pour ainsi dire instantanément, comme il fut soudainement, instantanément, dans une révélation, aux yeux de tous, dans une entente soudaine, dans une commune entente, non point seulement le commencement de la fortune littéraire de Romain Rolland, et de la fortune littéraire des cahiers, mais infiniment plus qu'un commencement de fortune littéraire, une révélation morale, soudaine, un pressentiment dévoilé, révélé, la révélation, l'éclatement, la soudaine communication d'une grande fortune morale. Mais tout ce mouvement se gonflait, n'avait pas encore eu le temps de se manifester. Le cahier, je le répète, venait tout juste de paraître. Bernard-Lazare me dit : Ah j'ai lu votre cahier de Romain Rolland. C'est vraiment très beau. Il faut avouer que l'âme juive1. et l'âme hellénique ont été deux grands morceaux de l'âme universelle. Je ne manifestai rien, parce que j'ai dit que quand on va voir un malade on est résolu à ne rien manifester. On est donc gardé par une cuirasse, invincible, par un masque impénétrable. Mais je fus saisi, je me sentis poursuivi jusque dans les vertèbres. Car j'étais venu pour voir, je m'étais attendu à voir les avancées de la mort. Et c'est déjà beaucoup. Et je voyais brusquement les avancées des au-delà de la mort.
Les images de ces villages, de ces bourgs, de ces petites villes, si tranquilles à force de mourir ou de craindre la mort s'opposent violemment à celles qui sont puisées dans ce qui sont nommés « les camps de réfugiés ». Depuis les fascismes et la shoah, le terme « camp » renvoie implacablement au « camp de concentration ». Il n'est sans doute pas fortuit que le même jour, le Président de la République reconnaisse la responsabilité de la France dans l'internement des Tziganes à Montreuil-Bellay dans le Maine-et-Loire, dans un « camp » et déclare, s'agissant des migrants : « nous ne pouvions plus tolérer les camps de migrants et nous n'en tolérerons pas ». Quelques semaines auparavant, des dirigeants de la droite avaient appelé à l'internement des musulmans radicalisés pouvant représenter un danger pour la sûreté de l'État. Il s'en était suivi un de ces échanges que les médias nomment « musclés » entre le Président par intérim du parti Les Républicains et le Premier Ministre, ce dernier s'exclamant : « La France dont je dirige le gouvernement ne sera pas celle où seront instaurés des centres où l'on enferme de manière indéterminée, pour un temps indéterminé, des individus que l'on suspecte ». On aura noté qu'il s'agissait ici de « centres » et non de « camps ». S'agissant des migrants, on démantèle des « camps » et l'on emmène les personnes qui y séjournaient dans des « centres », qui, certes, sont des « centres d'accueil et d'orientation ». Il n'est pas nécessaire d'être linguiste pour déceler que le terme « orientation » signifie que les personnes « accueillies », et non « transplantées », n'ont pas vocation à y rester, et, qu'en conséquence, ces « centres » ne vont pas devenir des « camps ». Quand, s'agissant de l'expression publique, la langue hésite à ce point, c'est que le malaise est encore plus grand que celui que l'on consent à exprimer.
Charles Péguy - Notre Jeunesse  -
Péguy-Pasolini #20 - Texte continu
1. Il convient ici de rappeler que Péguy écrit Notre jeunesse en 1910, avant de mourir dans les premiers combats de 1914. Il a été l'un des premiers défenseurs de Dreyfus, et Notre jeunesse, pamphlet politique qui oppose la mystique à la politique se fonde sur le souvenir des luttes pour Dreyfus. Il ne faudrait donc pas lire le texte de Péguy à la lumière des événements qui se sont déroulés lors de la montée du fascisme et du nazisme et de l'antisémitisme des années 1930, de la shoah et de la création de l'État hébreu. Ce serait évidemment un contresens. De la même façon, le mot « race » a chez Péguy le sens qu'il avait au XIXe siècle et a un sens proche de « lignée »















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