Il
faut leur faire cette justice qu'ils sortent de cette lecture
généralement stupéfaits. Ils ne soupçonnaient point qui nous étions. Et
surtout ils ne soupçonnaient point que nous l'étions dès le principe.
Que nous l'avions été depuis si longtemps, depuis le principe. Ils ne
soupçonnaient point cette longue, cette initiale, cette impeccable
fidélité. Cette fidélité de toute une vie. Notamment, éminemment ils ne
soupçonnaient point ce que c'était qu'un homme comme Bernard-Lazare. Il
faut penser que dans ce dossier, dans cette consultation, qu'il faut
lire, qui n'est pas seulement un admirable monument mais un monument
inoubliable, Bernard-Lazare s'opposait de tout ce qu'il avait encore de
force à la dénégation, à la déviation du dreyfusisme en politique, en
démagogie combiste. Que ceux qui ont succombé, qui ont cédé, si peu que
ce fut, à la pire de toutes les démagogies, à la démagogie combiste,
fassent des apologies, ou qu'on en fasse pour eux. Mais pour ceux qui
ont été inébranlables, pour ceux qui n'ont pas cédé d'une ligne, de
grâce, que l'on n'en fasse point. Quand on relit cet admirable mémoire
de Bernard-Lazare, on est comme choqué, il vient une rougeur à cette
idée seulement que l'idée viendrait qu'un tel homme fût englobé, pût
être englobé inconsidérément par des tiers, par le public, par les
ignorants, dans les graciés, dans les bénéficiaires d'une apologie. |
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Le
thème de la décadence
de l'occident, qui est aussi un mythe,
n'est cependant pas le fait des seuls musulmans. Le personnel
politique, principalement à droite, n'hésite plus désormais à utiliser
ce terme
auquel il préférait jusqu'alors celui de « déclin ».
Certes, il y a un
écart sémantique entre « déclin » et
« décadence », écart sur lequel
nous reviendrons, mais cet écart est aussi et surtout politique. En
effet, depuis les années 1930, la droite républicaine
hésitait à entonner la complainte de la décadence qui, politiquement,
était un marqueur de l'extrême-droite. Céline, Maurras, Drumont ont été
à la fois des antisémites emportés et les chantres compassés de la
décadence de la France, décadence qu'ils attribuaient, principalement,
aux Juifs. Le thème politique de la décadence de la France s'enracine
historiquement dans l'anti dreyfusisme, l'anti parlementarisme, voire,
pour la frange
royaliste de l'extrême-droite, dans l'anti
républicanisme. Il se fonde notamment sur
la thèse de l'ennemi de l'intérieur et sur la présence au sein de la
Nation de traitres incarnés par « la gauche » et surtout ce
qu'elle
produit de pire : « l'intellectuel de gauche »
évidemment « cosmopolite ». Il serait amusant s'il n'était
pas tragique de pointer que ceux qui
dénonçaient les traitres supposés ont été des collaborateurs zélés
quelques années plus tard. Il n'est donc pas politiquement anodin que
des
personnalités politiques de droite, en apparence éloignées de
l'extrême-droite, en viennent à redonner vie à ce vieux mythe
nauséabond de
la décadence. Ainsi, ces derniers mois, par exemple, Valéry Giscard
d'Estaing, dans le Parisien,
puis François Fillon, sur Atlantico,
ont chacun évoqué la décadence de la France. Qu'ils aient eu, l'un et
l'autre, précédemment, du goût pour les sornettes des déclinistes tel
Nicolas
Baverez est notoire, qu'ils basculent
dans le « décadentisme » est une autre affaire, qu'il
convient bien
d'examiner de plus près. |