Moi,
je n'ai derrière moi aucune
autorité,
sinon celle qui me vient paradoxalement de n'en pas avoir et de ne pas
en avoir
voulu, et du fait que je me suis mis en situation de n'avoir rien à
perdre, et
donc de n'être fidèle à aucun pacte qui ne soit celui qui me lie à un
lecteur
que, du reste, je juge digne de la recherche la plus
scandaleuse. Mais supposons, hypothèse absurde, que je
sois investi d'une « autorité », disons malgré moi, qui me
serait
objectivement accordée dans le contexte culturel et la vie publique
italienne. Dans ce cas-là, la proposition du Vatican
est encore plus grave. En effet, elle met en accusation non seulement
les
recherches culturelles, à l'intérieur desquelles j'agis comme écrivain,
mais
encore, à ce moment-là, les centaines de milliers, et, quelquefois, les
millions d'Italiens « simples » qui ont fait le succès de mes
œuvres
cinématographiques. En somme, les critiques qui me jugent sont
coupables, et
sots les spectateurs qui vont voir mes films. Tout cela est de la
« sous-culture » !
C'est de la « sous-culture », parce que ce n'est pas clérico-fasciste.
En
effet, quand, dans l'Osservatore
romano,
on écrit qu'un film est « d'un
décadentisme énigmatique et répréhensible », c'est inévitable : le
sens de
ces mots équivaut à la sous-culture qui brûlait les livres et les
tableaux « décadents » au nom d'une « saine
morale ». Même « l'écriture corrosive » est un
stilème typique d'il y a trente ans — parce qu'elle institue la
comparaison
avec d'hypothétiques santé et intégrité d'une culture officielle fondée
sur
l'autorité et le pouvoir. Enfin, avec l'allusion aux « attitudes
excentriques », nous en sommes à l'allusion personnelle. Mais je
ne répondrai pas à
cela ;
d'ailleurs, le Christ n'a jamais mis la « brebis galeuse »
(ou « égarée ») en
demeure de répondre. |
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Pourquoi
donc reprendre l'antienne de la décadence et ne pas se borner
à sermonner sur le déclin ? C'est qu'il s'agit de faire entrer
dans le
sermon politique réactionnaire, qui est toujours le sermon de l'énergie
nationale, la morale sous l'angle de la moralité. Et il n'est pas
nécessairement
question de morale ni de moralité dans la notion de déclin alors que
celle de décadence n'y échappe pas et fonctionne comme un mot valise,
détenant en lui-même la cause et le remède de ce qu'il désigne et, par
là-même,
dénonce. Il y aurait « décadence » parce que les valeurs
traditionnelles ont été abandonnées ! Voilà ce que disent les
réactionnaires. Mais il faut poursuivre le raisonnement car, ce n'est
que la première strate de leur
discours, et c'est celle que ces supposés nouveaux réactionnaires
avouent. Car, il y a aussi tout
ce que cela emporte ! Il n'est pas besoin de beaucoup chercher
pour
comprendre que ces valeurs traditionnelles sont évidemment des valeurs
patriarcales, blanches et hétérosexuelles, et ce sont aussi des valeurs
militaires affublées de l'adjectif « viril ».
Ce discours range donc d'emblée un
certain nombre de personnes dans le camp des ennemis
de la nation, au premier rang desquelles les féministes, les
homosexuels,
et, pire, les féministes et les homosexuels militant pour l'égalité des
droits. Puis, très vite, affleure une autre notion équivoque : celle de
« pureté ».
Le fantasme de la « pureté » hante tous les réactionnaires.
Dans leur mémoire historique frelatée, c'est parce que les Romains
ont affranchi leurs esclaves qu'ils ont fini par être vaincus par
les
barbares qui avaient vocation à demeurer leurs esclaves. Ce type
de
fantasme, mobilisé au vingt-et-unième siècle, est un fantasme
post-colonial raciste et ce n'est pas anodin que ceux qui parlent de
décadence veuillent dans le même mouvement réhabiliter la colonisation.
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