Dans
un article
paru dans la Stampa (29 septembre 1974), Mario Soldati parle de l'
« éclat de
rire » d'un jésuite quand on lui a demandé s'il avait une
automobile :
dans cet « éclat de rire », Soldati sent une première
allusion, à caractère
pratique et
traditionaliste (« Non, je n'ai pas de voiture, le temps n'est
plus où
les
jésuites possédaient une voiture »). Mais, sous cette première
allusion, au
fond, dans l'essence de cet « éclat de rire », Soldati
distingue un
sincère, un
exaltant, un irrésistible bonheur. Le bonheur de voir renversés et
renouvelés
les rapports de l'Église avec le monde. Le bonheur de la défaite. Le
bonheur de
tout avoir à recommencer : « la libération par rapport au
pouvoir ». Dans la tristesse
de Paul VI (je me réfère à son discours historique de la fin de l'été à
Castelgandolfo), j'ai senti la même chose : d'abord un accent de
douleur et de
désillusion « méritées », face au déclin d'une grandiose
instance du
pouvoir,
et un autre, plus souterrain, de douleur vraie et sincère, c'est-à-dire
religieuse et chargée de possibilités d'avenir. Quelles sont ces
possibilités d'avenir ? Avant tout
la
distinction radicale entre Église et État. J'ai toujours été étonné et
même, à
vrai dire, profondément indigné par l'interprétation cléricale de cette
phrase
du Christ : « Donnez à César ce qui appartient à César, et à
Dieu ce
qui
appartient à Dieu » : une interprétation dans laquelle se
sont
concentrées
toute l'hypocrisie et toute l'aberration qui ont caractérisé l'Église
de la
Contre-Réforme. Elle a fait passer quelque monstrueux que cela puisse
sembler —
pour modérée, cynique et réaliste une phrase du Christ qui, à
l'évidence, était
radicale, extrémiste et parfaitement religieuse. Le Christ ne pouvait
en effet
aucunement vouloir dire : « Fais plaisir aux uns et aux
autres, ne
t'occupe pas
de politique, concilie les avantages de la vie sociale avec le
caractère absolu
de la vie religieuse, ménage la chèvre et le chou, etc. » |
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En politique,
en politique politicienne,
et surtout en politique politicarde, le terme « décadence »
fonctionne
comme une clé qui ouvre une porte sur le paysage du « comme
avant »,
dont il faut bien convenir que c'est un paysage entièrement artificiel,
pourtant présenté comme un paysage naturel, voire comme le seul paysage
naturel possible. Il s'agit d'une escroquerie. La dernière expérience
en date concerne le réchauffement climatique. Il est désormais de bon
ton chez les popularistes et les populistes de prétendre que celui-ci
est une invention et que, si la terre se réchauffe, ce n'est pas de la
responsabilité de l'humanité. Dans le même temps, le président de la
région Auvergne Rhône-Alpes érige les chasseurs et les pêcheurs comme véritables
défenseurs de l'environnement. Si l'on peut convenir que, dans certains
cas, ils défendent l'environnement, l'escroquerie populiste réside dans
le terme « véritable ». Ce qu'il s'agit en fait de rétablir
comme vérité
indiscutable et intangible c'est la doxa réactionnaire. Est considéré
comme décadent tout ce qui dévie de cette doxa. En conséquence, tous
ceux qui dévient de cette doxa, sur quelque sujet que ce soit, sont
considérés comme déviants. C'est sur cette équation que se fondent
toutes les dictatures : sur un apparent « bon sens »
remis en cause par
des intellectuels et des artistes nécessairement dépravés et oisifs,
face à une « France qui se lève tôt »
qui n'en pourrait plus de leurs nuances. Mais, cette façon de faire de
la politique est d'un mépris total pour celles et ceux à qui cela
s'adresse. C'est considérer que le peuple ne peut accéder à la
connaissance, au débat, au jugement, au raisonnement, à la vérification
des faits, à la dialectique... Ce sont les mêmes qui ânonnent des
imprécations contre l'obscurantisme alignant des contre-vérités
stupidement opportunistes à longueur de discours. |