Diégèse




lundi 19 septembre 2016



2016
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#Péguy-Pasolini - les textes de Diégèse 2016 -










La prédication du Christ n'a pas eu beaucoup d'importance. Pendant des siècles, seules les élites vraiment religieuses de la classe dominante ont compris la vraie signification du Christ. Mais l'Église — qui était l'Église officielle de la classe dominante — a toujours accepté l'équivoque, car elle ne pouvait pas exister en dehors des masses paysannes. À présent, d'un seul coup, la campagne a cessé d'être religieuse. Mais, par compensation, la ville commence à l'être. D'agricole, le christianisme se fait urbain. Une caractéristique de toutes les religions urbaines — et donc des élites des classes dominantes — est la substitution (chrétienne) de la fin au retour : du mysticisme sotériologique à la pietas rustique. Par conséquent, une religion urbaine est, en tant que schème, infiniment plus capable de recevoir le modèle du Christ que n'importe quelle religion paysanne. La consommation et la prolifération des industries tertiaires ont détruit le monde champêtre en Italie et sont en train de le détruire partout dans le monde (l'avenir de l'agriculture est lui aussi industriel) : il n'y aura donc plus de prêtres, ou, s'il y en a, ils seront idéalement nés dans des villes. Mais ces prêtres « nés dans des villes » ne voudront bien évidemment à aucun prix marcher main dans la main avec des policiers et des militaires, avec des bureaucrates ou des grands industriels : en effet, il ne pourra s'agir que d'hommes cultivés et formés dans un monde qui, au lieu d'avoir derrière lui Adonis et Proserpine, se fondent sur les grands textes de la culture moderne. Si elle veut survivre en tant qu'Église, l'Église ne peut donc qu'abandonner le pouvoir et faire sienne cette culture — qu'elle a toujours haïe — qui est par nature libre, antiautoritaire, en perpétuel devenir, contradictoire, collective, scandaleuse. Et puis, enfin, est-il vrai que l'Église doive coïncider avec le Vatican ? Si — faisant don à l'État italien des grands décors (folkloriques) de l'actuel siège du Vatican et offrant ses vieilleries (folkloriques), étoles, flabellums et chaises gestatoires, aux ouvriers de Cinecitta — le pape allait, avec ses collaborateurs, s'habiller en costume de clergyman dans quelque sous-sol de Tormarancio ou de Tuscolano, non loin des catacombes de saint Damien ou de sainte Priscilla — l'Église cesserait peut-être d'être l'Église ?
En conclusion, sommes-nous ou ne sommes-nous pas entrés en décadence ? Si l'on s'éloigne des imprécateurs de la décadence qui instrumentalisent cette notion assez floue à des fins autoritaires et réactionnaires, on ne retrouve pas beaucoup des indices qui le laisseraient croire ou même le supposer. La production littéraire et artistique n'est pas vraiment marquée par une sophistication inouïe, mais plutôt par le mercantilisme qui tend à la normaliser à l'extrême. On présente à grand renfort de publicité des romans de gare comme des chefs d'œuvre et des écrivains à la ligne comme des romanciers. On donne des heures et des heures d'une radio culturelle à des pseudo philosophes qui font semblant de penser en rétablissant la doxa la plus doxale. Quant à la production plastique, elle est surtout marquée, dans sa diversité même, par l'avènement d'une sorte de nouvel académisme dont seuls quelques artistes ont assez d'énergie pour pouvoir s'extraire. Le Second Empire n'aura pas été une période décadente mais aura précédé une courte période décadente qui se sera dissoute dans le fracas des armes. Le Second Empire aura été surtout le règne du mauvais goût, de la spéculation, de l'avènement des médiocres et de leur règne sans partage sur les richesses, et ce n'est qu'après la chute de l'empereur, ce n'est qu'après Sedan, que, dans les débris impériaux, quelques poètes voyants, quelques peintres incroyables commencèrent à percevoir les lueurs d'un nouveau temps. Les nouveaux adoubés du capitalisme financier, de ce lucrativisme forcené qui gouverne aujourd'hui, crient à la décadence, car, leur chute et leur défaite sont irrémédiablement programmées. L'humain sera plus fort que leur goût du pouvoir et de la force. Si l'on exclut une déflagration mondiale qui anéantirait l'humanité, et qui adviendrait, non par un phénomène de décadence, mais plutôt par celui d'une exaspération généralisée des forces belliqueuses en présence, il y a peu de chance que le monde occidental connaisse une nouvelle décadence, ou alors, elle serait mondiale et il faudrait alors utiliser un autre terme. Car, il n'y a plus de guerre de civilisation possible puisque, pour la première fois, toute la planète vit sous le régime de la même civilisation, qui est celle de la consommation. Il peut seulement se produire des guerres civiles, et l'issue en sera incertaine et cruelle.
Pier Paolo Pasolini - Écrits corsaires - Église et pouvoir
Désirable décadence Péguy-Pasolini #17 - Diégèse 2016










19 septembre






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