Diégèse

2016




#Péguy-Pasolini - les textes de Diégèse 2016 -





Désirable Décadence - Péguy-Pasolini - #17 -

Consolidation du 20 septembre 2016




9 septembre
En 1974, l'Osservatore romano, répondant aux textes acerbes de Pasolini, qualifie son œuvre de décadente, à quoi Pasolini répond, dans le Corriere della sera par l'absolue nécessité d'une séparation de l'Église et de l'État. Les réflexions de Pasolini sur cette séparation prennent un accent nouveau dans le contexte mondial d'aujourd'hui marqué par des interventions islamistes violentes au nom du Dieu unique, mais ce n'est pas cela que je retiendrai, m'arrêtant sur le terme « décadence », ou encore « décadentisme », terme par lequel cette notion apparaît dans le texte de Pasolini.
En effet, dans la lutte morale que se livrent les pouvoirs laïcs occidentaux et des musulmans fanatisés et sectaires, l'idée et la croyance que l'occident serait en décadence, parfois implicite, parfois explicite, est centrale. Cela est très présent dans l'imaginaire des musulmans, et singulièrement des Arabes, y compris de celles et de ceux qui n'iront pas suivre les prédicateurs du djihad. Pour beaucoup de musulmans, s'il est vrai que l'occident a le pouvoir économique que lui donne la technologie, il court pourtant à sa perte, car il a abandonné toutes les valeurs morales qui fondent durablement la société, parmi lesquelles la chasteté des femmes et la pudeur, mais aussi la tempérance et, plus généralement, les bonnes mœurs. La légalisation des mariages entre personnes du même sexe est tout à la fois une abomination mais le signe attendu sinon espéré de l'accélération de cette décadence morale et civilisationnelle. « Babylone » va tomber et l'Islam, quelques siècles privé du pouvoir temporel, règnera sur le monde... Cette croyance, qui, je le répète, ne conduit cependant pas tous les musulmans à l'action violente, est largement partagée par de très nombreux musulmans. Il est vrai que cela joue aussi comme une consolation de toutes les avanies que l'occident leur a fait subir ces quelques derniers siècles.

En 1974, l'Osservatore romano, répondant aux textes acerbes de Pasolini, qualifie son œuvre de décadente, à quoi Pasolini répond, dans le Corriere della sera par l'absolue nécessité d'une séparation de l'Église et de l'État. Les réflexions de Pasolini sur cette séparation prennent un accent nouveau dans le contexte mondial d'aujourd'hui marqué par des interventions islamistes violentes au nom du Dieu unique, mais ce n'est pas cela que je retiendrai, m'arrêtant sur le terme « décadence », ou encore « décadentisme », terme par lequel cette notion apparaît dans le texte de Pasolini.
En effet, dans la lutte morale que se livrent les pouvoirs laïcs occidentaux et des musulmans fanatisés et sectaires, l'idée et la croyance que l'occident serait en décadence, idée et croyance parfois implicites, parfois explicites, sont centrales. La décadence de l'occident est très présente dans l'imaginaire des musulmans, et, singulièrement, des Arabes, y compris dans l'imaginaire de celles et de ceux qui n'iront jamais suivre les prédicateurs du djihad. Pour beaucoup de musulmans, s'il est vrai que l'occident a le pouvoir économique que lui donne la technologie, il court pourtant à sa perte, car il a abandonné toutes les valeurs morales qui fondent durablement la société, parmi lesquelles la chasteté des femmes et la pudeur, mais aussi la tempérance et, plus généralement, les bonnes mœurs. Ainsi, la légalisation des mariages entre personnes du même sexe serait tout à la fois une abomination honnie par les textes saints, mais aussi le signe attendu sinon espéré de l'accélération de cette décadence morale et civilisationnelle. « Babylone » va tomber et l'Islam, quelques siècles privé du pouvoir temporel, règnera sur le monde... Cette croyance, qui, je le répète, ne conduit cependant pas tous les musulmans à l'action violente, est largement partagée par de très nombreux musulmans. Il est vrai que cela joue aussi comme une consolation de toutes les avanies que l'occident leur a fait subir ces quelques derniers siècles.
10 septembre
Le thème de la décadence de l'occident, qui est aussi un mythe, n'est cependant pas le fait des seuls musulmans. Le personnel politique, principalement à droite, n'hésite plus désormais à utiliser ce terme auquel il préférait jusqu'alors celui de « déclin ». Certes, il y a un écart sémantique entre « déclin » et « décadence », écart sur lequel nous reviendrons, mais cet écart est aussi et surtout politique. En effet, depuis les années 1930, la droite républicaine hésitait à entonner la complainte de la décadence qui, politiquement, était un marqueur de l'extrême-droite. Céline, Maurras, Drumont ont été à la fois des antisémites emportés et les chantres compassés de la décadence de la France, décadence qu'ils attribuaient, principalement, aux Juifs. Le thème politique de la décadence de la France s'enracine historiquement dans l'anti dreyfusisme, l'anti parlementarisme, voire, pour la frange royaliste de l'extrême-droite, dans l'anti républicanisme. Il se fonde  notamment sur la thèse de l'ennemi de l'intérieur et sur la présence au sein de la Nation de traitres incarnés par « la gauche » et surtout ce qu'elle produit de pire : « l'intellectuel de gauche » évidemment « cosmopolite ». Il serait amusant s'il n'était pas tragique de pointer que ceux qui dénonçaient les traitres supposés ont été des collaborateurs zélés quelques années plus tard. Il n'est donc pas politiquement anodin que des personnalités politiques de droite, en apparence éloignées de l'extrême-droite, en viennent à redonner vie à ce vieux mythe nauséabond de la décadence. Ainsi, ces derniers mois, par exemple, Valéry Giscard d'Estaing, dans le Parisien, puis François Fillon, sur Atlantico, ont chacun évoqué la décadence de la France. Qu'ils aient eu, l'un et l'autre, précédemment, du goût pour les sornettes des déclinistes tel Nicolas Baverez est notoire, qu'ils basculent dans le « décadentisme » est une autre affaire, qu'il convient bien d'examiner de plus près.
Mais, le thème de la décadence de l'occident, qui est aussi un mythe, n'est pas le fait des seuls musulmans. À cet espoir de décadence fonctionnant comme une promesse eschatologique, répond aussi désormais la dénonciation véhémente d'une supposée décadence de l'occident, et, plus particulièrement de la France, portée par certaines personnalités politiques de droite, qui n'hésitent plus à utiliser ce terme auquel il préférait jusqu'alors celui de « déclin ». Certes, il y a un écart sémantique entre « déclin » et « décadence », écart sur lequel nous reviendrons, mais cet écart est aussi et surtout politique. En effet, depuis les années 1930, la droite républicaine hésitait à entonner la complainte de la décadence qui, politiquement, était un marqueur de l'extrême-droite. Céline, Maurras, Drumont ont été à la fois des antisémites emportés et les accusateurs compassés de la décadence de la France, décadence qu'ils attribuaient, principalement, aux Juifs. Le thème politique de la décadence de la France s'enracine en effet historiquement dans l'anti dreyfusisme, l'anti parlementarisme, voire, pour la frange royaliste de l'extrême-droite, dans l'anti républicanisme. Il se fonde  notamment sur la thèse de l'ennemi de l'intérieur et sur la présence au sein de la Nation de traitres incarnés par « la gauche » et surtout ce qu'elle produit de pire : « l'intellectuel de gauche » évidemment « cosmopolite ». Il serait amusant s'il n'était pas tragique de pointer que ceux qui dénonçaient alors les traitres ont été des collaborateurs zélés de l'ennemi nazi quelques années plus tard.
Il n'est donc pas politiquement anodin que des personnalités politiques de droite, en apparence éloignées de l'extrême-droite, en viennent à redonner vie à ce vieux mythe nauséabond de la décadence. Ainsi, ces derniers mois, par exemple, Valéry Giscard d'Estaing, dans le Parisien, puis François Fillon, sur Atlantico, ont chacun évoqué la décadence de la France. Qu'ils aient eu, l'un et l'autre, précédemment, du goût pour les sornettes des déclinistes tel Nicolas Baverez est notoire, qu'ils basculent dans le « décadentisme » est une autre affaire, qu'il convient bien d'examiner de plus près.
11 septembre Pourquoi donc reprendre l'antienne de la décadence et ne pas se borner à sermonner sur le déclin ? C'est qu'il s'agit de faire entrer dans le sermon politique réactionnaire, qui est toujours le sermon de l'énergie nationale, la morale sous l'angle de la moralité. Et il n'est pas nécessairement question de morale ni de moralité dans la notion de déclin alors que celle de décadence n'y échappe pas et fonctionne comme un mot valise, détenant en lui-même la cause et le remède de ce qu'il désigne et, par là-même, dénonce. Il y aurait « décadence » parce que les valeurs traditionnelles ont été abandonnées ! Voilà ce que disent les réactionnaires. Mais il faut poursuivre le raisonnement car, ce n'est que la première strate de leur discours, et c'est celle que ces supposés nouveaux réactionnaires avouent. Car, il y a aussi tout ce que cela emporte ! Il n'est pas besoin de beaucoup chercher pour comprendre que ces valeurs traditionnelles sont évidemment des valeurs patriarcales, blanches et hétérosexuelles, et ce sont aussi des valeurs militaires affublées de l'adjectif « viril ». Ce discours range donc d'emblée un certain nombre de personnes dans le camp des ennemis de la nation, au premier rang desquelles les féministes, les homosexuels, et, pire, les féministes et les homosexuels militant pour l'égalité des droits. Puis, très vite, affleure une autre notion équivoque : celle de « pureté ». Le fantasme de la « pureté » hante tous les réactionnaires. Dans leur mémoire historique frelatée, c'est parce que les Romains ont affranchi leurs esclaves qu'ils ont  fini par être vaincus par les barbares qui avaient  vocation à demeurer leurs esclaves. Ce type de fantasme, mobilisé au vingt-et-unième siècle, est un fantasme post-colonial raciste et ce n'est pas anodin que ceux qui parlent de décadence veuillent dans le même mouvement réhabiliter la colonisation.
Pourquoi donc reprendre l'antienne de la décadence et ne pas se borner à sermonner sur le déclin ? Pourquoi donner raison à ceux qui annoncent leur victoire sur la laïcité française en reprenant à leur compte cette vieille putain de décadence. C'est qu'il s'agit de faire entrer dans le sermon politique réactionnaire, qui est toujours le sermon de l'énergie nationale, la morale sous l'angle de la moralité. S'il n'est pas nécessairement question de morale ni de moralité dans la notion de déclin, la notion de décadence n'y échappe pas et fonctionne comme un mot valise, détenant en lui-même la cause et le remède de ce qu'il désigne et, par là-même, dénonce. Il y aurait « décadence » parce que les valeurs traditionnelles ont été abandonnées ! Voilà ce que disent les réactionnaires. Mais il faut poursuivre le raisonnement car, ce n'est que la première strate de leur discours, et c'est celle que ces supposés nouveaux réactionnaires avouent. Il y a ensuite tout ce que cela emporte ! Il n'est pas besoin de beaucoup chercher pour comprendre que ces valeurs traditionnelles sont évidemment des valeurs patriarcales, blanches et hétérosexuelles, et ce sont aussi des valeurs militaires affublées de l'adjectif « viril ». Ce discours range donc d'emblée un certain nombre de personnes dans le camp des ennemis de la nation, au premier rang desquelles les féministes, les homosexuels, et, pire, les féministes et les homosexuels militant pour l'égalité des droits. Puis, très vite, affleure une autre notion équivoque : celle de « pureté ». Le fantasme de la « pureté » hante tous les réactionnaires. Dans leur mémoire historique frelatée, c'est parce que les Romains ont affranchi leurs esclaves qu'ils ont  fini par être vaincus par les barbares qui avaient  vocation à demeurer leurs esclaves. Ce type de fantasme, mobilisé au vingt-et-unième siècle, est un fantasme post-colonial raciste et ce n'est pas anodin que ceux qui parlent de décadence veuillent dans le même mouvement trouver des bienfaits à la colonisation.



Consolidation du 21 septembre 2016
12 septembre
« Pour lors, Rome ne fut plus cette ville dont le peuple n'avait eu qu'un même esprit, un même amour pour la liberté, une même haine pour la tyrannie, où cette jalousie du pouvoir du Sénat et des prérogatives des grands, toujours mêlée de respect, n'était qu'un amour de l'égalité. » C'est ce que Montesquieu écrit au début du chapitre neuf de son ouvrage paru pour la première fois en 1734 aux Pays-Bas « Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence ». Et c'est à Montesquieu que l'on peut attribuer d'avoir cristallisé dans la tradition politique française cette idée que la France pouvait entrer en décadence, ce qui est une façon de dire qu'elle a été grande et que le pouvoir en place la conduit à sa perte. 1734... Soit dix-neuf années après la mort de Louis XIV. La France de Louis XV perd de son influence en Europe et ses colonies d'Amérique au profit de la Grande Bretagne. C'est ainsi que des historiens considèrent que le déclin de la monarchie commence dès la fin du règne de Louis XIV. Louis XV est aussi le roi des maîtresses et des favorites. Si les plus connues se nomment Pompadour ou du Barry, la liste est presque aussi longue que celle de ses bâtards.
Ceux qui voudraient réhabiliter une histoire de la grandeur de la France en glorifiant sans plus d'esprit critique la monarchie absolue n'auront certainement pas découvert la lune.
Je ne sais pas si les enfants de 2016 utilisent encore dans la cour de récréation cette expression curieuse qui renvoie l'injure à celle ou celui qui l'a proférée : « C'est celui qui le dit qui y est ». Et c'est bien ce que l'on a envie de rétorquer à ceux qui, jusque sur les bancs de l'Assemblée nationale proposent avec véhémence de bafouer les principes fondateurs de la République. Décadents, ceux qui proposent de se passer de l'État de droit. Décadents, ceux qui veulent revenir à l'enseignement d'une histoire officielle dépourvue de perspectives... historiques. Décadents ceux qui confondent nationalité et origine... Décadents ceux qui se passent de père en fille et aussi en petite-fille le gouvernement d'un parti jadis factieux et qui donne aujourd'hui des leçons de républicanisme. Décadents tous ceux-là...

« Pour lors, Rome ne fut plus cette ville dont le peuple n'avait eu qu'un même esprit, un même amour pour la liberté, une même haine pour la tyrannie, où cette jalousie du pouvoir du Sénat et des prérogatives des grands, toujours mêlée de respect, n'était qu'un amour de l'égalité. » C'est ce que Montesquieu écrit au début du chapitre neuf de son ouvrage paru pour la première fois en 1734 aux Pays-Bas « Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence ». Et c'est à Montesquieu que l'on peut attribuer d'avoir cristallisé dans la tradition politique française cette idée que la France pouvait entrer en décadence, ce qui est une façon de dire qu'elle a été grande et que le pouvoir en place la conduit à sa perte. 1734... Soit dix-neuf années après la mort de Louis XIV. La France de Louis XV perd de son influence en Europe et ses colonies d'Amérique au profit de la Grande Bretagne. C'est ainsi que des historiens considèrent que le déclin de la monarchie commence dès la fin du règne de Louis XIV. Louis XV est aussi le roi des maîtresses et des favorites. Si les plus connues se nomment Pompadour ou du Barry, la liste est presque aussi longue que celle de ses bâtards.
Ceux qui voudraient réhabiliter une histoire de la grandeur de la France en glorifiant sans plus d'esprit critique la monarchie absolue n'auront certainement pas découvert la lune.

13 septembre
Il faut, s'agissant de la décadence, parvenir maintenant au point de la grande ambiguïté, de la grande difficulté : la décadence fascine. Certes Louis XIV a fait de grandes choses, quand Louis XV en a fait beaucoup moins, mais il demeure que Louis XV est enveloppé d'un halo de sympathie, quand Louis XIV n'est apprécié que des militaires. Si Louis XIV a fait beaucoup pour les arts, il est plus confortable d'être assis sur un fauteuil Louis XV. Les orgies de la décadence romaine ont depuis des siècles nourri les fantasmes des apprentis latinistes comme ceux des amateurs de peinture « à l'antique ». La scène orgiaque et suggestive que peint Thomas Couture, artiste parangon de l'académisme, dans Les Romains de la décadence dénonce toute autant qu'elle émoustille, et si Delacroix, incomparablement, est meilleur peintre, personne ne regarde La mort de Sardanapale en pleurant sur le sort du roi assyrien et de sa maisonnée sacrifiée. Quant à Serge Gainsbourg, cela ne lui avait bien sûr pas échappé. C'est cette ambiguïté intrinsèque à la décadence qui fait que plus les réactionnaires la dénoncent, pris dans leur fantasme, plus ils érigent  « le dérèglement de tous les sens » en posture politique de résistance. Après la défaite de 1871, des artistes répondent à ceux qui déplorent la décadence par le décadentisme. La dénonciation de la décadence supposée de la société entraîne la revendication de cette même décadence comme saine réaction à la réaction. Il n'est pas étonnant qu'en notre période trouble et troublée où la liberté, qui est aussi la liberté de mœurs, ne cesse d'être attaquée partout dans le monde et jusque dans les démocraties dites libérales, on reprenne ainsi le vieil oriflamme de la décadence, celui qui a toujours servi à l'enrégimentation du peuple. Et le peuple, rigolard, a toujours jeté l'oriflamme aux orties, aidé en cela par les artistes à qui on ne la fait plus depuis longtemps. Et Rimbaud dans Paris dévasté par la « semaine sanglante » éructera ses vers :
Le Poète prendra le sanglot des Infâmes,
La haine des Forçats, la clameur des maudits :
Et ses rayons d'amour flagelleront les Femmes.
Ses strophes bondiront, voilà ! voilà ! bandits !

Il faut, s'agissant de la décadence, parvenir maintenant au point de la grande ambiguïté, de la grande difficulté : la décadence fascine. Certes Louis XIV a fait de grandes choses, quand Louis XV en a fait beaucoup moins, mais il demeure que Louis XV est enveloppé d'un halo de sympathie, quand Louis XIV n'est apprécié que des militaires. Si Louis XIV a fait beaucoup pour les arts, il est plus confortable d'être assis sur un fauteuil Louis XV. Les orgies de la décadence romaine ont depuis des siècles nourri les fantasmes des apprentis latinistes comme ceux des amateurs de peinture « à l'antique ». La scène orgiaque et suggestive que peint Thomas Couture, artiste parangon de l'académisme, dans Les Romains de la décadence dénonce toute autant qu'elle émoustille, et si Delacroix, incomparablement, est meilleur peintre, personne ne regarde La mort de Sardanapale en pleurant sur le sort du roi assyrien et de sa maisonnée sacrifiée. Quant à Serge Gainsbourg, cela ne lui avait bien sûr pas échappé. C'est cette ambiguïté intrinsèque à la décadence qui fait que plus les réactionnaires la dénoncent, pris dans leur fantasme, plus ils érigent  « le dérèglement de tous les sens » en posture politique de résistance. Après la défaite de 1871, des artistes répondent à ceux qui déplorent la décadence par le décadentisme. La dénonciation de la décadence supposée de la société entraîne la revendication de cette même décadence comme saine réaction à la réaction. Il n'est pas étonnant qu'en notre période trouble et troublée où la liberté, qui est aussi la liberté de mœurs, ne cesse d'être attaquée partout dans le monde et jusque dans les démocraties dites libérales, on reprenne ainsi le vieil oriflamme de la décadence, celui qui a toujours servi à l'enrégimentation du peuple. Et le peuple, rigolard, a toujours jeté l'oriflamme aux orties, aidé en cela par les artistes à qui on ne la fait plus depuis longtemps. Et Rimbaud dans Paris dévasté par la « semaine sanglante » éructera ses vers :
Le Poète prendra le sanglot des Infâmes,
La haine des Forçats, la clameur des maudits :
Et ses rayons d'amour flagelleront les Femmes.
Ses strophes bondiront, voilà ! voilà ! bandits !
14 septembre C'est donc que la décadence est biface : il y a les décadents malgré eux, qui baragouinant le discours politique contribuent, en l'accélérant, à cette impression détestable que l'avenir se dissout dans le pessimisme, et ceux qui, revendiquant la décadence comme révolte contre un ordre établi arasant, veulent vivre la catastrophe comme une fête. Et ces deux camps s'affrontent depuis des millénaires. La décadence, comme notion politique et surtout politicienne est le plus souvent haïssable. La décadence dans le champ de l'art et de la pensée apparaît éminemment désirable. C'est que là où les réactionnaires voudraient imposer leur vision - qui est justement une absence de vision - d'une société, que dis-je d'une civilisation, d'une culture entièrement vouée à se perpétuer, totalement tournée vers le passé, vers un passé mythifié et mystificateur, artistes et intellectuels de la décadence prennent note de l'épuisement du temps, de son absurdité, de sa désespérance et préfèrent y opposer, avec une certaine arrogance, une sophistication alerte.
Parmi les personnalités qui concentrent l'ire de ceux qui hurlent à la décadence figure en bonne place, et même souvent en première place, Christiane Taubira qui a porté la loi autorisant le mariage pour tous. Or, ce qui est frappant, c'est précisément que Christiane Taubira est une figure éminemment morale et sans doute la personne politique la plus morale de la scène politique française. C'est dans cette tension contradictoire qu'il faut aussi réfléchir à ce que les réactionnaires expriment quand ils utilisent le terme de « décadence ».

C'est donc que la décadence est biface : il y a les décadents malgré eux, qui baragouinant le discours politique contribuent, en l'accélérant, à cette impression détestable que l'avenir se dissout dans le pessimisme, et ceux qui, revendiquant la décadence comme révolte contre un ordre établi arasant, veulent vivre la catastrophe comme une fête. Et ces deux camps s'affrontent depuis des millénaires. La décadence, comme notion politique et surtout politicienne est le plus souvent haïssable. La décadence dans le champ de l'art et de la pensée apparaît éminemment désirable. C'est que là où les réactionnaires voudraient imposer leur vision - qui est justement une absence de vision - d'une société, que dis-je d'une civilisation, d'une culture entièrement vouée à se perpétuer, totalement tournée vers le passé, vers un passé mythifié et mystificateur, artistes et intellectuels de la décadence prennent note de l'épuisement du temps, de son absurdité, de sa désespérance et préfèrent y opposer, avec une certaine arrogance, une sophistication alerte.
Parmi les personnalités qui concentrent l'ire de ceux qui hurlent à la décadence figure en bonne place, et même souvent en première place, Christiane Taubira qui a porté la loi autorisant le mariage pour tous. Or, ce qui est frappant, c'est précisément que Christiane Taubira est une figure éminemment morale et sans doute la personne politique la plus morale de la scène politique française. C'est dans cette tension contradictoire qu'il faut aussi réfléchir à ce que les réactionnaires expriment quand ils utilisent le terme de « décadence ».
15 septembre En politique, en politique politicienne, et surtout en politique politicarde, le terme « décadence » fonctionne comme une clé qui ouvre une porte sur le paysage du « comme avant », dont il faut bien convenir que c'est un paysage entièrement artificiel, pourtant présenté comme un paysage naturel, voire comme le seul paysage naturel possible. Il s'agit d'une escroquerie. La dernière expérience en date concerne le réchauffement climatique. Il est désormais de bon ton chez les popularistes et les populistes de prétendre que celui-ci est une invention et que, si la terre se réchauffe, ce n'est pas de la responsabilité de l'humanité. Dans le même temps, le président de la région Auvergne Rhône-Alpes érige les chasseurs et les pêcheurs comme véritables défenseurs de l'environnement. Si l'on peut convenir que, dans certains cas, ils défendent l'environnement, l'escroquerie populiste réside dans le terme « véritable ». Ce qu'il s'agit en fait de rétablir comme vérité indiscutable et intangible c'est la doxa réactionnaire. Est considéré comme décadent tout ce qui dévie de cette doxa. En conséquence, tous ceux qui dévient de cette doxa, sur quelque sujet que ce soit, sont considérés comme déviants. C'est sur cette équation que se fondent toutes les dictatures : sur un apparent « bon sens » remis en cause par des intellectuels et des artistes nécessairement dépravés et oisifs, face à une « France qui se lève tôt » qui n'en pourrait plus de leurs nuances. Mais, cette façon de faire de la politique est d'un mépris total pour celles et ceux à qui cela s'adresse. C'est considérer que le peuple ne peut accéder à la connaissance, au débat, au jugement, au raisonnement, à la vérification des faits, à la dialectique... Ce sont les mêmes qui ânonnent des imprécations contre l'obscurantisme alignant des contre-vérités stupidement opportunistes à longueur de discours.
En politique, en politique politicienne, et surtout en politique politicarde, le terme « décadence » fonctionne comme une clé qui ouvre une porte sur le paysage du « comme avant », dont il faut bien convenir que c'est un paysage entièrement artificiel, pourtant présenté comme un paysage naturel, voire comme le seul paysage naturel possible. Il s'agit d'une escroquerie. La dernière expérience en date concerne le réchauffement climatique. Il est désormais de bon ton chez les popularistes et les populistes de prétendre que celui-ci est une invention et que, si la terre se réchauffe, ce n'est pas de la responsabilité de l'humanité. Dans le même temps, le président de la région Auvergne Rhône-Alpes érige les chasseurs et les pêcheurs comme véritables défenseurs de l'environnement. Si l'on peut convenir que, dans certains cas, ils défendent l'environnement, l'escroquerie populiste réside dans le terme « véritable ». Ce qu'il s'agit en fait de rétablir comme vérité indiscutable et intangible c'est la doxa réactionnaire. Est considéré comme décadent tout ce qui dévie de cette doxa. En conséquence, tous ceux qui dévient de cette doxa, sur quelque sujet que ce soit, sont considérés comme déviants. C'est sur cette équation que se fondent toutes les dictatures : sur un apparent « bon sens » remis en cause par des intellectuels et des artistes nécessairement dépravés et oisifs, face à une « France qui se lève tôt » qui n'en pourrait plus de leurs nuances. Mais, cette façon de faire de la politique est d'un mépris total pour celles et ceux à qui cela s'adresse. C'est considérer que le peuple ne peut accéder à la connaissance, au débat, au jugement, au raisonnement, à la vérification des faits, à la dialectique... Ce sont les mêmes qui ânonnent des imprécations contre l'obscurantisme alignant des contre-vérités stupidement opportunistes à longueur de discours.Je ne sais pas si les enfants de 2016 utilisent encore dans la cour de récréation cette expression curieuse qui renvoie l'injure à celle ou celui qui l'a proférée : « C'est celui qui le dit qui y est ». Et c'est bien ce que l'on a envie de rétorquer à ceux qui, jusque sur les bancs de l'Assemblée nationale proposent avec véhémence de bafouer les principes fondateurs de la République. Décadents, ceux qui proposent de se passer de l'État de droit. Décadents, ceux qui veulent revenir à l'enseignement d'une histoire officielle dépourvue de perspectives... historiques. Décadents ceux qui confondent nationalité et origine... Décadents ceux qui se passent de père en fille et aussi en petite-fille le gouvernement d'un parti jadis factieux et qui donne aujourd'hui des leçons de républicanisme. Décadents tous ceux-là...
16 septembre Pour revenir à cette intuition enfantine qui veut que dans l'injure comme dans l'anathème et dans l'imprécation, c'est « toujours celui qui le dit qui y est », admettons, pour la nécessité de la démonstration, que nous sommes en effet décadents en décadence. Quelle serait l'une des principales manifestations de cette décadence ? Certes, on voudrait nous faire croire que la légèreté des mœurs ou les droits acquis des travailleurs sont d'indéniables signes. Mais qui pourrait le croire vraiment dès lors que l'on considère les difficultés de vie de ces mêmes travailleurs. On voudrait nous faire croire encore que l'immigration en est la cause principale, mais qui pourrait le croire, encore, confronté à la pauvreté désespérée des migrants émigrés sans même plus devenir jamais immigrés. En revanche, il y a bien un symptôme qui ne trompe pas, qui ne trahit pas et qui pourrait confirmer la décadence décriée, c'est le niveau de corruption de la société et des classes dirigeantes, corruption dont on admet qu'elle a contribué déjà à la chute de l'Empire romain. Je ne vais pas citer ici les « affaires » qui agitent régulièrement les médias et évoquer celui-là qui dissimule et celui-là qui ment. D'ailleurs peu importe leurs noms, ce sont les mêmes. Je ne veux pas m'intéresser aux corrompus. C'est trop facile. Ce sont de trop bonnes figures offertes au lynchage. Et ces lynchages organisés, médiatiquement organisés, masquent le véritable problème, l'indéniable problème, le décadent problème et ce problème, ce sont les corrupteurs. Et je ne me souviens pas de retentissants procès assignant des corrupteurs. Il est vrai que le procès d'un système fait de moins belles photographies à la une des journaux. Et, force est de constater que ceux-là mêmes qui dénoncent la décadence côtoient en permanence et depuis toujours corrompus et corrupteurs, participant parfois à leur sarabande.
Pour revenir à cette intuition enfantine qui veut que dans l'injure comme dans l'anathème et dans l'imprécation, c'est « toujours celui qui le dit qui y est », admettons, pour la nécessité de la démonstration, que nous sommes en effet décadents en décadence. Quelle serait l'une des principales manifestations de cette décadence ? Certes, on voudrait nous faire croire que la légèreté des mœurs ou les droits acquis des travailleurs sont d'indéniables signes. Mais qui pourrait le croire vraiment dès lors que l'on considère les difficultés de vie de ces mêmes travailleurs. On voudrait nous faire croire encore que l'immigration en est la cause principale, mais qui pourrait le croire, encore, confronté à la pauvreté désespérée des migrants émigrés sans même plus devenir jamais immigrés. En revanche, il y a bien un symptôme qui ne trompe pas, qui ne trahit pas et qui pourrait confirmer la décadence décriée, c'est le niveau de corruption de la société et des classes dirigeantes, corruption dont on admet qu'elle a contribué déjà à la chute de l'Empire romain. Je ne vais pas citer ici les « affaires » qui agitent régulièrement les médias et évoquer celui-là qui dissimule et celui-là qui ment. D'ailleurs peu importe leurs noms, ce sont les mêmes. Je ne veux pas m'intéresser aux corrompus. C'est trop facile. Ce sont de trop bonnes figures offertes au lynchage. Et ces lynchages organisés, médiatiquement organisés, masquent le véritable problème, l'indéniable problème, le décadent problème et ce problème, ce sont les corrupteurs. Et je ne me souviens pas de retentissants procès assignant des corrupteurs. Il est vrai que le procès d'un système fait de moins belles photographies à la une des journaux. Et, force est de constater que ceux-là mêmes qui dénoncent la décadence côtoient en permanence et depuis toujours corrompus et corrupteurs, participant parfois à leur sarabande.
17 septembre Le discours de la décadence est toujours un discours autoritaire, car, il ne s'agit pas, en fait, de revenir à un état antérieur meilleur, mais à un ordre antérieur et, pour ce faire, poursuivre et châtier les responsables du désordre. Ces responsables sont évidemment des boucs-émissaires et ne peuvent être que des boucs-émissaires puisque l'ordre antérieur est supposé rendre compte d'un état meilleur qui n'a aucune réalité historique. On peut même penser que le discours politique de la décadence n'a d'autre objectif que celui d'établir un gouvernement autoritaire, d'une part, et de faire la chasse aux responsables de cette décadence dénoncée, d'autre part, jusque par la guerre étrangère, mais en commençant par tous ceux qui viennent contredire le mythe de la parousie passée. Ces ennemis de l'intérieur sont toujours les mêmes. Il ne faut pas s'y tromper. On peut les classer en figures. Il y a celle du « métèque ». Selon les époques, il change d'origine ou de nationalité, de couleur de peau, de mode de vie mais il est toujours celui qui vient rompre un fantasmatique état de pureté. En cela, le « métèque » est toujours supposé doté de capacités sexuelles hors du commun. On peut même affirmer que le fantasme du « métèque » est toujours un fantasme sexuel, et, la plupart du temps, un fantasme homosexuel refoulé. Il y a aussi la figure de l'« intellectuel ». Est qualifié tel, toute personne qui vient contredire la doxa, grimée aussi sous le vocable de « bon sens », et qui dit donc des choses compliquées. Là encore, il ne faut pas s'y tromper. C'est un fantasme infantile d'ancien élève frustré de ne pas avoir été premier de la classe et qui se venge des années plus tard sur ses anciens petits camarades devenus grands et toujours meilleurs que lui. On l'aura compris, le discours de la décadence est toujours un discours régressif. Le temps heureux qu'il s'agirait de retrouver est celui de l'enfance. Les pourfendeurs de la décadence n'ont pas réglé leur Œdipe.
Le discours de la décadence est toujours un discours autoritaire, car, il ne s'agit pas, en fait, de revenir à un état antérieur meilleur, mais à un ordre antérieur et, pour ce faire, poursuivre et châtier les responsables du désordre. Ces responsables sont évidemment des boucs-émissaires et ne peuvent être que des boucs-émissaires puisque l'ordre antérieur est supposé rendre compte d'un état meilleur qui n'a aucune réalité historique. On peut même penser que le discours politique de la décadence n'a d'autre objectif que celui d'établir un gouvernement autoritaire, d'une part, et de faire la chasse aux responsables de cette décadence dénoncée, d'autre part, jusque par la guerre étrangère, mais en commençant par tous ceux qui viennent contredire le mythe de la parousie passée. Ces ennemis de l'intérieur sont toujours les mêmes. Il ne faut pas s'y tromper. On peut les classer en figures. Il y a celle du « métèque ». Selon les époques, il change d'origine ou de nationalité, de couleur de peau, de mode de vie mais il est toujours celui qui vient rompre un fantasmatique état de pureté. En cela, le « métèque » est toujours supposé doté de capacités sexuelles hors du commun. On peut même affirmer que le fantasme du « métèque » est toujours un fantasme sexuel, et, la plupart du temps, un fantasme homosexuel refoulé. Il y a aussi la figure de l'« intellectuel ». Est qualifié tel, toute personne qui vient contredire la doxa, grimée aussi sous le vocable de « bon sens », et qui dit donc des choses compliquées. Là encore, il ne faut pas s'y tromper. C'est un fantasme infantile d'ancien élève frustré de ne pas avoir été premier de la classe et qui se venge des années plus tard sur ses anciens petits camarades devenus grands et toujours meilleurs que lui. On l'aura compris, le discours de la décadence est toujours un discours régressif. Le temps heureux qu'il s'agirait de retrouver est celui de l'enfance. Les pourfendeurs de la décadence n'ont pas réglé leur Œdipe.
18 septembre Essayons maintenant de calibrer l'écart sémantique entre « déclin » et « décadence ». L'évocation du « déclin » se veut seulement constat et se fonde le plus souvent sur des graphiques décrivant la situation économique et sociale de la Nation. Tout ou presque peut alimenter les graphiques des déclinistes, du nombre des escargots de Bourgogne sur le bord des routes au nombre de fautes d'orthographe dans les copies du baccalauréat. Le slogan du « décliniste » est évidemment « Tout fout le camp ! ». Le terme « déclin » ne comprend pas en lui-même de programme politique. Le « déclin » peut d'ailleurs être de droite comme de gauche et l'on a vu des gens de gauche déplorer le supposé plein-emploi sans se soucier davantage que ce plein-emploi fût souvent létal pour les employés. Certes, il y a bien dans le constat politique du « déclin » l'idée qu'il faudrait « redresser la barre », ce qui est plutôt une idée de droite, mais la voie de ce redressement n'est pas intégrée dans la notion même de « déclin ». Il n'en va pas de même pour le terme « décadence », qui comporte en lui-même son propre projet politique. Que dit le personnel politique quand il parle de « décadence » ? Il dit « Tout fout le camp », certes, mais il ajoute : « Et j'en vois qui s'amusent ». C'est pourquoi l'usage du terme « décadence » en politique augure toujours de la répression. Le « déclin », c'est que la politique en cours est mauvaise et que l'on pense que l'on ferait mieux. La « décadence », c'est qu'on va remettre au pas toute cette bande de fainéants aux mœurs et à la pensée douteuses. On retrouve évidemment dans cette dénonciation de la « décadence » les intello-fakes habituels au premier rang desquels Michel Onfray qui jette par-dessus bord toutes ces balivernes qui ont conduit le monde occidental à sa perte : la psychanalyse et le structuralisme au premier chef. Jusqu'à la « méthode globale » qui porte en elle seule les germes de la putréfaction générationnelle. C'est que l'usage du terme « décadence » se fait le plus souvent par la voie et la voix de l'imprécation.
Essayons maintenant de calibrer l'écart sémantique entre « déclin » et « décadence ». L'évocation du « déclin » se veut seulement constat et se fonde le plus souvent sur des graphiques décrivant la situation économique et sociale de la Nation. Tout ou presque peut alimenter les graphiques des déclinistes, du nombre des escargots de Bourgogne sur le bord des routes au nombre de fautes d'orthographe dans les copies du baccalauréat. Le slogan du « décliniste » est évidemment « Tout fout le camp ! ». Le terme « déclin » ne comprend pas en lui-même de programme politique. Le « déclin » peut d'ailleurs être de droite comme de gauche et l'on a vu des gens de gauche déplorer le supposé plein-emploi sans se soucier davantage que ce plein-emploi fût souvent létal pour les employés. Certes, il y a bien dans le constat politique du « déclin » l'idée qu'il faudrait « redresser la barre », ce qui est plutôt une idée de droite, mais la voie de ce redressement n'est pas intégrée dans la notion même de « déclin ». Il n'en va pas de même pour le terme « décadence », qui comporte en lui-même son propre projet politique. Que dit le personnel politique quand il parle de « décadence » ? Il dit « Tout fout le camp », certes, mais il ajoute : « Et j'en vois qui s'amusent ». C'est pourquoi l'usage du terme « décadence » en politique augure toujours de la répression. Le « déclin », c'est que la politique en cours est mauvaise et que l'on pense que l'on ferait mieux. La « décadence », c'est qu'on va remettre au pas toute cette bande de fainéants aux mœurs et à la pensée douteuses. On retrouve évidemment dans cette dénonciation de la « décadence » les intello-fakes habituels au premier rang desquels Michel Onfray qui jette par-dessus bord toutes ces balivernes qui ont conduit le monde occidental à sa perte : la psychanalyse et le structuralisme au premier chef. Jusqu'à la « méthode globale » qui porte en elle seule les germes de la putréfaction générationnelle. C'est que l'usage du terme « décadence » se fait le plus souvent par la voie et la voix de l'imprécation.
19 septembre En conclusion, sommes-nous ou ne sommes-nous pas entrés en décadence ? Si l'on s'éloigne des imprécateurs de la décadence qui instrumentalisent cette notion assez floue à des fins autoritaires et réactionnaires, on ne retrouve pas beaucoup des indices qui le laisseraient croire ou même supposer. La production littéraire et artistique n'est pas vraiment marquée par une sophistication inouïe, mais plutôt par le mercantilisme qui tend à la normaliser à l'extrême. On présente à grand renfort de publicité des romans de gare comme des chefs d'œuvre et des écrivains à la ligne comme des romanciers. On donne des heures et des heures d'une radio culturelle à des pseudo philosophes qui font semblant de penser en rétablissant la doxa la plus doxale. Quant à la production plastique, elle est surtout marquée, dans sa diversité même, par l'avènement d'une sorte de nouvel académisme dont seuls quelques artistes ont assez d'énergie pour pouvoir s'extraire. Le Second Empire n'aura pas été une période décadente mais aura précédé une courte période décadente qui se sera dissoute dans le fracas des armes. Le Second Empire aura été surtout le règne du mauvais goût, de la spéculation, de l'avènement des médiocres et de leur règne sans partage sur les richesses et ce n'est qu'après la chute de l'empereur, ce n'est qu'après Sedan, que, dans les débris impériaux, quelques poètes voyants, quelques peintres incroyables commencèrent à percevoir les lueurs d'un nouveau temps. Les nouveaux adoubés du capitalisme financier, de ce lucrativisme forcené qui gouverne aujourd'hui, crient à la décadence car leur chute et leur défaite est irrémédiablement programmée. L'humain sera plus fort que leur goût du pouvoir et de la force. Si l'on exclut une déflagration mondiale qui anéantirait l'humanité, et qui adviendrait, non par un phénomène de décadence, mais plutôt par celui d'une exaspération généralisée des forces belliqueuses en présence, il y a peu de chance que le monde occidental connaisse une nouvelle décadence, ou alors, elle serait mondiale et il faudrait alors utiliser un autre terme. Car, il n'y a plus de guerre de civilisation possible puisque, pour la première fois, toute la planète vit sous le régime de la même civilisation, qui est celle de la consommation. Il peut seulement se produire des guerres civiles, et l'issue en sera incertaine et cruelle.
En conclusion, sommes-nous ou ne sommes-nous pas entrés en décadence ? Si l'on s'éloigne des imprécateurs de la décadence qui instrumentalisent cette notion assez floue à des fins autoritaires et réactionnaires, on ne retrouve pas beaucoup des indices qui le laisseraient croire ou même supposer. La production littéraire et artistique n'est pas vraiment marquée par une sophistication inouïe, mais plutôt par le mercantilisme qui tend à la normaliser à l'extrême. On présente à grand renfort de publicité des romans de gare comme des chefs d'œuvre et des écrivains à la ligne comme des romanciers. On donne des heures et des heures d'une radio culturelle à des pseudo philosophes qui font semblant de penser en rétablissant la doxa la plus doxale. Quant à la production plastique, elle est surtout marquée, dans sa diversité même, par l'avènement d'une sorte de nouvel académisme dont seuls quelques artistes ont assez d'énergie pour pouvoir s'extraire. Le Second Empire n'aura pas été une période décadente mais aura précédé une courte période décadente qui se sera dissoute dans le fracas des armes. Le Second Empire aura été surtout le règne du mauvais goût, de la spéculation, de l'avènement des médiocres et de leur règne sans partage sur les richesses et ce n'est qu'après la chute de l'empereur, ce n'est qu'après Sedan, que, dans les débris impériaux, quelques poètes voyants, quelques peintres incroyables commencèrent à percevoir les lueurs d'un nouveau temps. Les nouveaux adoubés du capitalisme financier, de ce lucrativisme forcené qui gouverne aujourd'hui, crient à la décadence car leur chute et leur défaite est irrémédiablement programmée. L'humain sera plus fort que leur goût du pouvoir et de la force. Si l'on exclut une déflagration mondiale qui anéantirait l'humanité, et qui adviendrait, non par un phénomène de décadence, mais plutôt par celui d'une exaspération généralisée des forces belliqueuses en présence, il y a peu de chance que le monde occidental connaisse une nouvelle décadence, ou alors, elle serait mondiale et il faudrait alors utiliser un autre terme. Car, il n'y a plus de guerre de civilisation possible puisque, pour la première fois, toute la planète vit sous le régime de la même civilisation, qui est celle de la consommation. Il peut seulement se produire des guerres civiles, et l'issue en sera incertaine et cruelle.