Diégèse
2016






#Péguy-Pasolini - les textes de Diégèse 2016 -







Péguy-Pasolini - #16 -

Consolidation du 4 septembre
26 août
le pape Paul VI coiffé d'une parure sioux J'ai retrouvé sans grande difficulté la photographie du pape Paul VI coiffé d'une parure de Sioux que Pasolini évoque dans un petit texte de 1974 sur le pouvoir de l'Église. Non seulement, comme le dit Pasolini, l'ambiance de la cérémonie semble « familière et détendue », mais le pape déguisé est plus que souriant, sinon hilare. Mais je n'ai pas retrouvé la photographie originale dans laquelle, si l'on en croit Pasolini, on voit aussi les Sioux. Dans la suite de son texte, il laisse cette photographie de côté pour s'intéresser à un discours prononcé par le Pontife depuis sa résidence d'été de Castelgandolfo. Mais c'est bien de cette photographie, qu'il juge embarrassante, dont part le texte : le pape « déguisé ». Cette photographie, je la rapproche d'une autre photographie qui, en décembre 2014 a circulé en boucle sur les réseaux sociaux, celle du Président de la République François Hollande vêtu d'un manteau et coiffé d'un chapka, présents du Président du Kazakhstan. Photo à laquelle, fort opportunément, le Journal du Dimanche avait répliqué par une série de photographies montrant des personnages officiels en « tenue locale ». On y voit son prédécesseur en boubou, Jacques Chirac avec un couvre-chef végétalien et d'autres dirigeants de ce monde dans des tenues qui prêtent à sourire. Il y a là de quoi penser, de quoi réfléchir. Qu'est-ce qui, dans ces situations diplomatiques entièrement codées, fait sourire ?
En 1974, Pasolini commence un texte sur la perte d'influence de l'Eglise face à la société de consommation en évoquant une photographie du pape Paul VI coiffé d'une parure de chef sioux. J'ai retrouvé sans grande difficulté une photographie où l'on voit en effet le pape déguisé plus que souriant, sinon hilare. Mais je n'ai pas retrouvé la photographie originale dans laquelle, si l'on en croit Pasolini, on voit aussi les Sioux.
Alors que Pasolini embraye, encore une fois, sur les conséquences qu'il voit aux résultats du referendum sur le divorce, je me demande, quant à moi, ce qui se passe quand un pouvoir apparaît ainsi déguisé, volontairement ou involontairement ; je me demande pourquoi, et aussi quand, ces photographies sont comiques ; ce qui fait rire ; ce qui ne fait pas rire... Et je pense évidemment à Bergson qu'il s'agirait donc de prendre comme guide dans cette ébauche de réflexion.
En décembre 2014 une photographie a circulé en boucle sur les réseaux sociaux : celle du Président de la République François Hollande vêtu d'un manteau d'apparat traditionnel et coiffé d'une chapka, cadeaux de bienvenue du Président du Kazakhstan. Fort opportunément, le Journal du Dimanche avait répliqué à cette photographie par une série de photographies toutes montrant  des personnages officiels en « tenue locale ». On y voyait ainsi son prédécesseur en boubou, Jacques Chirac avec un couvre-chef végétalien et d'autres dirigeants de ce monde dans des tenues qui pouvaient prêter à sourire. Pourquoi ? Qu'est-ce qu'il y avait de si drôle ?
27 août
Si l'on revient à la photographie de Paul VI qui avait retenu l'attention de Pasolini, comme introduction à un texte sur la perte du pouvoir temporel de l'Église, on peut y voir une allusion - et c'est certainement cela dont il s'agit - au pouvoir limité des chefs sioux dans leurs réserves. La parure de plumes est toujours aussi flamboyante et impressionnante, mais le pouvoir qu'elle symbolisait s'est évanoui. Le signifiant n'a pas bougé quand le signifié s'est singulièrement dégradé. Le Vatican serait donc devenu une « réserve d'indiens » et la photographie tirerait son intérêt de ce « retour du littéral » : elle dit ce qu'elle montre et, comme le dirait Roland Barthes, « la photographie dit tout ». Alors, que montre, qui fait rire, la photographie des dirigeants qui apparaissent grimés ou déguisés sur des photographies pourtant officielles ? Car le rire ou le sourire que ces photographies provoquent est différent de ce que suggèrent celles qui, volées ou non, montrent des dirigeants, parfois les mêmes, dans des situations vernaculaires. Ainsi, les photographies de Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, à la plage du Cap Nègre au début de son quinquennat ne font pas rire. Elles peuvent laisser indifférent, susciter de la curiosité pour la plastique de Carla Bruni ou pour les modalités des retouches effectuées ou non sur les abdominaux du Président, quitte à informer les retoucheurs que les muscles intercostaux ne se situent pas au niveau de l'abdomen... mais elles n'ont pas cette propriété sémiologique ténue et incertaine de faire rire, ni même de faire sourire. C'est que ces photographies disent exactement ce qu'elles voulaient dire. Or, s'agissant de la photographie du pape ou de celles des dirigeants en costumes divers, ce qui est intéressant, c'est justement qu'elles ne disent pas ce qu'elles voulaient dire. Ainsi, par exemple, la photographie de François Hollande au Kazakhstan a été, logiquement et légitimement publiée sur le site de la présidence Kazakh comme témoignage de l'amitié entre les deux peuples et du traitement très particulier qui était réservé au Président français... avant d'être retirée précipitamment quelques heures plus tard. Ce n'est pas une photo volée. Son intention n'était pas de susciter de la moquerie. Il y a donc eu distorsion sémantique entre l'intention du photographe, d'une part, et la perception et l'interprétation de la photographie, d'autre part. Cette distorsion est en partie interculturelle, mais « pas que ». Il y a une part d'universel qui relève du burlesque.
S'agissant de la photographie du pape Paul VI, on pouvait, certes, y voir une métaphore de l'affaiblissement du pouvoir temporel de l'Eglise, son chef spirituel devenant un peu comme un chef indien au pouvoir limité à sa réserve. La parure de plumes est toujours aussi flamboyante et impressionnante, mais le pouvoir qu'elle symbolisait s'est évanoui. Le signifiant n'a pas bougé quand le signifié s'est singulièrement dégradé. Le Vatican serait donc devenu une « réserve d'indiens » et la photographie tirerait son intérêt de ce « retour du littéral » : elle dit ce qu'elle montre et, comme le dirait Roland Barthes, « la photographie dit tout ».
Nous allons voir qu'il y a toujours quelque chose de littéral dans le rire ou le sourire qui naissent des photographies politiques comiques.
Que montre, qui fait rire, la photographie des dirigeants qui apparaissent grimés ou déguisés sur des photographies pourtant officielles ?
Notons tout d'abord que le rire ou le sourire que ces photographies provoquent est différent des sentiments que suggèrent celles qui, volées ou non, montrent des dirigeants, parfois les mêmes, dans des situations vernaculaires. Ainsi, les photographies de Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, à la plage du Cap Nègre au début de son quinquennat ne font pas rire. Elles peuvent laisser indifférent, susciter de la curiosité pour la plastique de Carla Bruni ou pour les modalités des retouches effectuées ou non sur les abdominaux du Président, quitte à informer les retoucheurs que les muscles intercostaux ne se situent pas au niveau de l'abdomen... mais elle n'ont pas cette propriété sémiologique ténue et incertaine de faire rire, ni même de faire sourire. C'est que ces photographies disent exactement ce qu'elles voulaient dire. Or, s'agissant de la photographie du pape ou de celles des dirigeants en costumes divers, l'interstice par lequel se glisse le rire, c'est justement qu'elles ne disent pas ce qu'elles voulaient dire.
Ainsi, par exemple, la photographie de François Hollande au Kazakhstan a été, logiquement et légitimement publiée sur le site de la présidence Kazakh comme témoignage de l'amitié entre les deux peuples et du traitement très particulier qui était réservé au Président français... avant d'être retirée précipitamment quelques heures plus tard. Ce n'est pas une photo volée. Son intention n'était pas de susciter de la moquerie. Il y a donc bien eu distorsion sémantique entre l'intention du photographe, d'une part, et la perception et l'interprétation de la photographie, d'autre part. Cette distorsion est en partie interculturelle, mais « pas que ».
Il y a une part d'universel qui relève du burlesque.




Consolidation du 5 septembre
28 août
En littérature, le genre burlesque, est, si l'on en croit le dictionnaire de l'Académie française, ce genre « qui prête à des personnages historiques des actions ridicules et des paroles grossières ou triviales ». Pour que la photographie du Président Hollande au Kazakhstan entre dans le burlesque, il faut donc que celui qui la regarde puisse superposer au récit officiel et autorisé de l'image, récit qui est ici évident : un cadeau et une photographie protocolaires, un autre récit, décalé et irrévérencieux. Ainsi, ce qui fait rire dans cette photographie, c'est d'abord, très certainement, le costume traditionnel, et en tout premier lieu la chapka qui, dans la culture populaire française, est une source infinie de moqueries. Depuis les années 1950 et la guerre froide, la chapka est fondue dans un ensemble imaginaire qui porte le nom en voie d'obsolescence de « Popoffs », notion qui agglutine en un tout « ringardisé » les Chœurs de l'armée rouge et Kalinka, l'esthétique soviétique et feu Ivan Rebroff, que l'on voyait rarement sans son couvre-chef en fourrure, comme la vidéo proposée ici en fait la démonstration.  Mais il y a aussi les Aventures de Tintin. Dans les voyages de Tintin, les personnages qui, croyant se fondre dans la population autochtone, vont porter un vêtement traditionnel qui va au contraire les désigner comme étrangers et, de surcroît, les rendre ridicules et comiques, ces sont les Dupond et Dupont, les deux policiers parfaitement inefficaces. C'est cette référence qui apparaît d'ailleurs en premier dans les commentaires en ligne de cette photographie. Ainsi, celui qui regarde va faire comme si il croyait que le Président était venu habillé ainsi et que cela, en conséquence, fût drôle, car ridicule. Mais cette posture éphémère n'est possible que si la référence est partagée. Bergson nous a appris que le rire était toujours le rire d'un groupe. Si la référence n'était pas partagée, si l'image n'était drôle que pour soi, elle ne serait pas vraiment drôle. Il y a toujours quelqu'un qui, au moins fantasmatiquement, regarde avec moi quand je trouve une image drôle. Bergson n'écrit-il pas : le rire cache une arrière-pensée d'entente, je dirais presque de complicité, avec d'autres rieurs, réels ou imaginaires.

En littérature, le genre burlesque, est, si l'on en croit le dictionnaire de l'Académie française, ce genre « qui prête à des personnages historiques des actions ridicules et des paroles grossières ou triviales ». Pour que la photographie du Président Hollande au Kazakhstan entre dans le burlesque, il faut donc que celui qui la regarde puisse superposer au récit officiel et autorisé de l'image, récit qui est ici évident : un cadeau et une photographie protocolaires, un autre récit, décalé et irrévérencieux. Ainsi, ce qui fait rire dans cette photographie, c'est d'abord, très certainement, le costume traditionnel, et en tout premier lieu la chapka qui, dans la culture populaire française, est une source infinie de moqueries. Depuis les années 1950 et la guerre froide, la chapka est fondue dans un ensemble imaginaire qui porte le nom en voie d'obsolescence de « Popoffs », notion qui agglutine en un tout « ringardisé » les Chœurs de l'armée rouge et Kalinka, l'esthétique soviétique et feu Ivan Rebroff, que l'on voyait rarement sans son couvre-chef en fourrure, comme la vidéo proposée ici en fait la démonstration.  Mais il y a aussi les Aventures de Tintin. Dans les voyages de Tintin, les personnages qui, croyant se fondre dans la population autochtone, vont porter un vêtement traditionnel qui va au contraire les désigner comme étrangers et, de surcroît, les rendre ridicules et comiques, ces sont les Dupond et Dupont, les deux policiers parfaitement inefficaces. C'est cette référence qui apparaît d'ailleurs en premier dans les commentaires en ligne de cette photographie. Ainsi, celui qui regarde va faire comme si il croyait que le Président était venu habillé ainsi et que cela, en conséquence, fût drôle, car ridicule.
Mais cette posture éphémère, ce nouveau récit irrévérencieux et décalé imprimé sur le récit officiel, n'est possible que si la référence burlesque est partagée avec d'autres. Bergson nous a appris en effet que le rire était toujours le rire d'un groupe. Si la référence n'était pas partagée, si l'image n'était drôle que pour soi, elle ne serait pas vraiment drôle. Il y a toujours quelqu'un qui, au moins fantasmatiquement, regarde avec moi quand je trouve une image drôle. Bergson n'écrit-il pas : le rire cache une arrière-pensée d'entente, je dirais presque de complicité, avec d'autres rieurs, réels ou imaginaires.
29 août Bergson commence Le Rire. Essai sur la signification du comique par trois considérations qu'il juge fondamentales : « il n'y a point de comique en dehors de ce qui est proprement humain » ; « l'insensibilité qui accompagne d'ordinaire le rire. (...) Le rire n'a pas de plus grand ennemi que l'émotion. ». La troisième considération est précisément l'effet de groupe évoqué plus avant. Il est possible d'appliquer ces trois critères à la photographie du pape Paul VI, comme à celle de François Hollande. Humain : évidemment, le pape souriant, heureux de sa coiffure, semble beaucoup plus humain, et donc proche de celui qui regarde la photographie que lorsqu'il est en grand apparat dans la basilique Saint-Pierre ou au balcon de sa résidence romaine. Le Président de la République, avec sa toque de fourrure - car on disait « toque » avant que la mode ne remît la chapka au goût du jour - semble aussi profondément humain. Il est visiblement fatigué. Sa barbe transparaît sous la peau du visage. L'ébauche de sourire semble forcée, embarrassée, presque contrainte. L'homme apparaît d'avance piégé par l'image du Président qui va être prise. Ce temps de l'empathie est le premier temps. Puis vient le second temps du regard qui, en effet, comme le suggère Bergson s'éloigne de ce qui pourrait relever de l'empathie et va souligner le caractère incongru de la scène, second temps qui va mettre l'image à distance, un peu comme le presbyte tend les bras pour mieux voir, et c'est à ce moment que va naître le rire ou le sourire. Certes, on rira plus franchement si l'on se passe du premier mouvement. Ce premier temps, c'est celui où je regarde l'autre comme moi-même. Le second, celui où je regarde l'autre, non plus seul mais avec les autres, et je regarde l'autre comme autre et non plus comme mon semblable. C'est d'ailleurs le sens du reproche que l'on fait aux enfants qui rient de la mésaventure d'un de leur camarade : « ne ris pas, cela pourrait t'arriver ! ». Le rire sera plus franc, sans remord, si l'on est bien persuadé que cette mésaventure ne pourrait nous arriver. C'est aussi en cela que les photographies de chefs d'État grimés sont drôles, c'est qu'elles désignent d'emblée des personnages qui nous sont tout autres et que leur notoriété permet d'envisager de partager le rire très largement. Ainsi, et pour s'éloigner de quelques pas de Bergson, il me semble que le rire est toujours une émotion contrariée, qu'il est toujours second, comme si l'émotion venait ouvrir la possibilité du rire et que le rire venait clore l'émotion. Quand on rit, on ne sait jamais s'il faut en rire ou en pleurer. Il y a toujours un clown triste dans le clown.
Bergson commence son ouvrage Le Rire. Essai sur la signification du comique par trois considérations qu'il juge fondamentales : « il n'y a point de comique en dehors de ce qui est proprement humain  » ; « l'insensibilité qui accompagne d'ordinaire le rire. (...) Le rire n'a pas de plus grand ennemi que l'émotion. ». La troisième considération est précisément l'effet de groupe évoqué plus avant. Il est possible d'appliquer ces trois critères à la photographie du pape Paul VI, comme à celle de François Hollande.
Humain : évidemment, le pape souriant, heureux de sa coiffure, semble beaucoup plus humain, et donc proche de celui qui regarde la photographie que lorsqu'il est en grand apparat dans la basilique Saint-Pierre ou au balcon de sa résidence romaine. « C'est un homme comme les autres, après tout ! » dit aussi la photographie. Le Président de la République, avec sa toque de fourrure - car on disait « toque » avant que la mode ne remît la chapka au goût du jour - semble aussi profondément humain. Il est visiblement fatigué. Sa barbe transparaît sous la peau du visage. L'ébauche de sourire semble forcée, embarrassée, presque contrainte. L'homme apparaît d'avance piégé par l'image du Président qui va être prise. Lui aussi est « un homme comme les autres, après tout ! », et c'est d'ailleurs peut-être ce qui lui sera reproché. Ce temps de l'empathie est le premier temps.
Puis vient le second temps du regard qui, en effet, comme le suggère Bergson, s'éloigne de ce qui pourrait relever de l'empathie et va souligner le caractère incongru de la scène, second temps qui va mettre l'image à distance, un peu comme le presbyte tend les bras pour mieux voir, et c'est à ce moment que va naître le rire ou le sourire. Certes, on rira plus franchement si l'on se passe du premier mouvement. Le premier temps du regard, c'est celui où je regarde l'autre comme moi-même. Le second, celui où je regarde l'autre, non plus seul, mais avec les autres, et je regarde l'autre comme autre, sinon tout autre, et non plus comme mon semblable. C'est d'ailleurs le sens du reproche que l'on fait aux enfants qui rient de la mésaventure d'un de leur camarade : « ne ris pas, cela pourrait t'arriver ! ». C'est aussi le sens de la pulsion triviale : « Non mais ! Quel c... » Le rire sera plus franc, sans remord, si l'on est bien persuadé que cette mésaventure ne pourrait arriver à soi-même, ce qui n'est possible, justement, que si l'autre est désormais d'une autre nature que soi-même. C'est aussi en cela que les photographies de chefs d'État grimés sont drôles, c'est qu'elles désignent d'emblée des personnages qui nous sont tout autres et que leur notoriété permet d'envisager de partager le rire très largement. Ainsi, et pour s'éloigner de quelques pas de Bergson, il me semble que le rire est toujours une émotion contrariée, qu'il est toujours second, comme si l'émotion venait ouvrir la possibilité du rire et que le rire venait clore l'émotion. Quand on rit, on ne sait jamais s'il faut en rire ou en pleurer. Il y a toujours un clown triste dans le clown.
30 août Mais tout cela ne suffit pas encore à expliquer pourquoi cette photographie protocolaire au Kazakhstan a connu un tel succès et a déclenché des passions médiatiques d'une telle intensité que l'on peut supposer que, dans un certain ordre, cette photographie est parfaite.
Le vêtement ? S'agissant du vêtement, Bergson écrit que le comique naît quand « une raideur quelconque est appliquée sur la mobilité de la vie, s’essayant maladroitement à en suivre les lignes et à en contrefaire la souplesse ». En cela, pour le philosophe, le vêtement est d'abord ridicule et ne nous fait pas rire que parce que nous y sommes habitués : « On devine alors combien il sera facile à un vêtement de devenir ridicule. On pourrait presque dire que toute mode est risible par quelque côté. Seulement, quand il s’agit de la mode actuelle, nous y sommes tellement habitués que le vêtement nous paraît faire corps avec ceux qui le portent. Notre imagination ne l’en détache pas. L’idée ne nous vient plus d’opposer la rigidité inerte de l’enveloppe à la souplesse vivante de l’objet enveloppé. Le comique reste donc ici à l’état latent. Tout au plus réussira-t-il à percer quand l’incompatibilité naturelle sera si profonde entre l’enveloppant et l’enveloppé qu’un rapprochement même séculaire n’aura pas réussi à consolider leur union (...) : notre attention est appelée alors sur le costume, nous le distinguons absolument de la personne, nous disons que la personne se déguise (comme si tout vêtement ne déguisait pas), et le côté risible de la mode passe de l’ombre à la lumière. » Même si les officiels kazakhs ne portent pas ce vêtement traditionnel, il n'en est pas moins vrai qu'il n'a pas le caractère d'étrangeté exotique qu'il a pour un Français, et le photographe officiel n'a pas perçu le ridicule de l'image qu'il allait produire, non moins que le service de presse qui l'a publiée.
Mais il y a encore autre chose, et puisque nous avons pris Bergson pour guide dans cette investigation, continuons avec lui. Car, s'agissant maintenant des cérémonies officielles, quels que soient les pays où elles se déroulent, aucune, assurément, n'est exempte de ridicule. Les gardes républicains qui forment les haies d'honneur dans la cour du palais de l'Élysée, pour fringants qu'ils soient, n'en sont pas moins potentiellement risibles. Mais ils ne le sont que potentiellement et Bergson condense ainsi cette potentialité : « Le côté cérémonieux de la vie sociale devra donc renfermer un comique latent, lequel n’attendra qu’une occasion pour éclater au grand jour. »

Mais tout cela ne suffit pas encore à expliquer pourquoi cette photographie protocolaire au Kazakhstan a connu un tel succès et a déclenché des passions médiatiques d'une telle intensité que l'on peut supposer que, dans un certain ordre, cette photographie est parfaite.
Le vêtement ?
S'agissant du vêtement, Bergson écrit que le comique naît quand « une raideur quelconque est appliquée sur la mobilité de la vie, s’essayant maladroitement à en suivre les lignes et à en contrefaire la souplesse ». En cela, pour le philosophe, le vêtement est d'abord ridicule et ne nous fait pas rire que parce que nous y sommes habitués  : « On devine alors combien il sera facile à un vêtement de devenir ridicule. On pourrait presque dire que toute mode est risible par quelque côté. Seulement, quand il s’agit de la mode actuelle, nous y sommes tellement habitués que le vêtement nous paraît faire corps avec ceux qui le portent. Notre imagination ne l’en détache pas. L’idée ne nous vient plus d’opposer la rigidité inerte de l’enveloppe à la souplesse vivante de l’objet enveloppé. Le comique reste donc ici à l’état latent. Tout au plus réussira-t-il à percer quand l’incompatibilité naturelle sera si profonde entre l’enveloppant et l’enveloppé qu’un rapprochement même séculaire n’aura pas réussi à consolider leur union (...) : notre attention est appelée alors sur le costume, nous le distinguons absolument de la personne, nous disons que la personne se déguise (comme si tout vêtement ne déguisait pas), et le côté risible de la mode passe de l’ombre à la lumière. » Même si les officiels kazakhs ne portent pas ce vêtement traditionnel, il n'en est pas moins vrai qu'il n'a pas pour eux le caractère d'étrangeté exotique qu'il a pour un Français, et le photographe officiel n'a donc pas perçu le ridicule de l'image qu'il allait produire, non moins que le service de presse qui l'a publiée.
Mais il y a encore autre chose, et puisque nous avons pris Bergson pour guide dans cette investigation, continuons avec lui. Car, s'agissant maintenant des cérémonies officielles, quels que soient les pays où elles se déroulent, aucune, assurément, n'est exempte de ridicule. Les gardes républicains qui forment les haies d'honneur dans la cour du palais de l'Élysée, pour altiers qu'ils soient, n'en sont pas moins potentiellement risibles. Mais ils ne le sont que potentiellement et Bergson condense ainsi cette potentialité : « Le côté cérémonieux de la vie sociale devra donc renfermer un comique latent, lequel n’attendra qu’une occasion pour éclater au grand jour. »
31 août Marionnette Jacques Chirac
Cependant, est-ce que cette photographie est vraiment drôle ou non ?  Si l'on admet, donc, avec Bergson, que, même seul, on rit toujours avec quelqu'un, que le rire est toujours un rire collectif, ce collectif constitué autour du rire, autour d'un rire, se donne toujours des allures d'évidence qui tournent à la tautologie : c'est drôle parce que c'est drôle, et si c'est drôle, c'est que c'est universellement drôle. Bien sûr, il n'en est rien et chacun aura expérimenté, parfois à ses dépens, la blague qui tombe à plat, la scène jugée irrésistible par certains quand d'autres la trouveront pathétique. S'agissant d'une photographie d'une personnalité politique, comme celle du Président Hollande au Kazakhstan, mais d'autres pourraient être choisies dans chacun des camps politiques, il serait intéressant de vérifier que même des sympathisants, même des partisans vont trouver drôle la photographie. Le rire excède toujours sa base... Le rire fait toujours du prosélytisme. Le rire est un sergent recruteur. C'est d'ailleurs ce que l'on constate communément quand on évoque l'effet d'entraînement du rire, au point où, entendant un rire particulièrement communicatif, on rira sans même savoir pourquoi. Ce qui fait rire définit donc le groupe qui en rit tout en agglutinant à ce groupe de nouvelles recrues. C'est en cela une arme politique redoutable et chaque parti en use abondamment. L'expressivité du visage du précédent Président de la République, Nicolas Sarkozy, aura fourni d'innombrables photographies de ce qui, figées par l'appareil, apparaît comme des grimaces. Et la grimace fait rire. Le caricaturiste, par son dessin, ne fait pas autre chose, sinon amplifier ce qui peut sembler encore latent dans le cliché photographique d'une grimace. « Il (le caricaturiste) fait grimacer ses modèles comme ils grimaceraient eux-mêmes s’ils allaient jusqu'au bout de leur grimace. » nous dit Bergson. Ce faisant, si l'homme politique - ou la femme - est « bon client », le rapport entre le visage grimaçant et le visage non grimaçant va s'inverser : ce qui est éphémère par nature - la grimace - va devenir permanent. C'est ainsi que des personnalités politiques sont devenues peu à peu leur propre caricature. On ne les voit plus que « comme ça ». C'est ce qui a fait le succès du spectacle télévisé de marionnettes appelé « Les Guignols ». Et l'on a même vu que ces caricatures tournassent à l'avantage du caricaturé. C'est le tour de force que Jacques Chirac a réussi, faisant de sa marionnette son meilleur agent électoral, celle-ci le rendant sympathique, même auprès de ses adversaires. La caricature, qu'elle soit dessin ou photographie, chosifie la personne. C'est, toujours, Bergson qui affirme « Nous rions toutes les fois qu’une personne nous donne l’impression d’une chose. » Là où il y avait réification, Chirac a fait ressurgir le sujet. Il n'est pas certain que ses successeurs y soient parvenus, ni même qu'ils s'y sont essayé. 
Admettons donc, toujours avec Bergson, que cette photographie n'était comique que de façon latente.
Mais alors, qu'est-ce qui a révélé son caractère comique ?
Est-ce que cette photographie est vraiment drôle ou non ? 
Si l'on admet, donc, avec notre guide en analyse du rire, que, même seul, on rit toujours avec quelqu'un, que le rire est toujours un rire collectif, ce collectif constitué autour du rire, autour d'un rire, se donne toujours des allures d'évidence qui tournent à la tautologie : c'est drôle parce que c'est drôle, et si c'est drôle, c'est que c'est universellement drôle. Bien sûr, il n'en est rien et chacun aura expérimenté, parfois à ses dépens, la blague qui tombe à plat, la scène jugée irrésistible par certains quand d'autres la trouveront pathétique. S'agissant d'une photographie d'une personnalité politique, comme celle du Président Hollande au Kazakhstan, mais d'autres pourraient être choisies dans chacun des camps politiques, il serait intéressant de vérifier que même des sympathisants, même des partisans vont trouver drôle la photographie. Car, le rire excède toujours sa base... Le rire fait toujours du prosélytisme. Le rire est un sergent recruteur. C'est d'ailleurs ce que l'on constate communément quand on évoque l'effet d'entraînement du rire, au point où, entendant un rire particulièrement communicatif, on rira sans même savoir pourquoi. Ce qui fait rire définit donc le groupe qui en rit tout en agglutinant à ce groupe de nouvelles recrues. C'est en cela une arme politique redoutable et chaque parti en use abondamment. L'expressivité du visage du précédent Président de la République, Nicolas Sarkozy, aura fourni d'innombrables photographies de ce qui, figées par l'appareil, apparaît comme des grimaces. Or, la grimace fait rire. Le caricaturiste, par son dessin, ne fait pas autre chose, sinon amplifier ce qui peut sembler encore latent dans le cliché photographique d'une grimace. « Il (le caricaturiste) fait grimacer ses modèles comme ils grimaceraient eux-mêmes s’ils allaient jusqu'au bout de leur grimace. » nous dit Bergson. Ce faisant, si l'homme politique - ou la femme - est « bon client », le rapport entre le visage grimaçant et le visage non grimaçant va s'inverser : ce qui est éphémère par nature - la grimace - va devenir permanent. C'est ainsi que des personnalités politiques sont devenues peu à peu leur propre caricature. On ne les voit plus que « comme ça ». C'est bien ce qui a fait le succès du spectacle télévisé de marionnettes appelé « Les Guignols ». Et l'on a même vu que ces caricatures tournassent à l'avantage du caricaturé. C'est le tour de force que Jacques Chirac a réussi, faisant de sa marionnette son meilleur agent électoral, celle-ci le rendant sympathique, même auprès de ses adversaires. La caricature, qu'elle soit dessin ou photographie, chosifie la personne. C'est, toujours, Bergson qui affirme « Nous rions toutes les fois qu’une personne nous donne l’impression d’une chose. » Là où il y avait réification, Chirac a fait ressurgir le sujet. Il n'est pas certain que ses successeurs y soient parvenus, ni même qu'ils s'y sont essayé.
 




Consolidation du 7 septembre
2 septembre
Alors que le fringant ministre de l'économie venait de démissionner de son poste au gouvernement pour tenter de rencontrer un destin politique, il était loyal pour l'écriture de ce texte, de faire la recherche d'une photographie d'Emmanuel Macron risible, voire franchement comique ou ridicule. Il faut croire que la communication de cet apprenti en politique est déjà bien maîtrisée car, il est assez préservé de ce genre de clichés. Son physique avantageux et son sourire aux dents un peu écartées n'y sont sans doute pas pour rien. Il y a cependant celle-ci, qui le montre avec des lunettes qui lui ont été offertes par un opticien lors d'une de ses visites ministérielles. Mais, ce qui est intéressant, dans cette photographie, c'est qu'elle a tous les ingrédients pour être drôle, porteuse d'un comique de ridicule renvoyant le jeune ministre-gendre-idéal à un narcissisme de forcené - et la photographie dit aussi cela - ; mais elle n'est pas drôle et, prise en mars 2015, elle n'est d'ailleurs pas restée attachée à sa personne politique. Et je crois que ce serait étonnant qu'elle soit exploitée plus tard, car, si l'on veut suivre encore une fois Bergson, le ministre n'y apparaît pas comme une chose. Son large sourire dément qu'il puisse être dupe de l'image qui est en train d'être prise et qui sera publiée. Il en est le sujet, et non l'objet. Fût-il apparu gêné, crispé, embarrassé, que la photographie eût pu tourner à son désavantage. Ici, la photographie dit : c'est ridicule, je sais que c'est ridicule, mais c'est peut-être vrai, mais vous verrez, il y aura un jour des accessoires de campagne électorale qui prendront le même slogan. C'est sans doute cette agilité dans la communication sur soi qui a fait le succès du jeune homme. Cette photographie porte un message qui, malgré tout, est parfaitement agréé par son sujet. Il n'y a donc pas d'écart entre l'intention de l'image et la réception de celle-ci. Et, en conséquence, ce n'est pas drôle. Juste un peu pathétique.
S'agissant donc de demeurer sujet de sa propre image, il y a aussi le cas de ces photographies qui ont presque tous les ingrédients pour  tourner au désavantage de la personnalité qu'elles représentent, et qui, pourtant, la laissent indemne. Ainsi, la photographie représentant M. Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie, chaussé de lunettes publicitaires déclarant un amour pour lui-même, cadeau d'un opticien de l'est de la France rencontré lors d'une visite ministérielle, n'a pas eu le succès qu'elle aurait pu avoir. Elle a tous les ingrédients pour être drôle, porteuse d'un comique de ridicule renvoyant le jeune ministre-gendre-idéal à un narcissisme de forcené - et la photographie dit aussi cela - ; mais elle n'est pas drôle et, prise en mars 2015, elle n'est d'ailleurs pas restée attachée à sa personne politique. Et il serait étonnant qu'elle soit exploitée plus tard, car, si l'on veut suivre encore une fois Bergson, le ministre n'y apparaît pas comme une chose. Son large sourire aux dents un peu écartées dément qu'il soit dupe de l'image qui est prise et qui sera publiée. Il en est le sujet, et non l'objet. Fût-il apparu gêné, crispé, embarrassé, que la photographie eût basculé dans le comique. Ici, la photographie dit : c'est ridicule, je sais que c'est ridicule, mais c'est peut-être vrai, et vous verrez, il y aura un jour des accessoires de campagne électorale qui prendront le même slogan. C'est d'ailleurs sans doute cette agilité dans la communication sur soi qui a fait le succès du jeune homme. Cette photographie porte un message qui, malgré tout, est parfaitement agréé par son sujet. Il n'y a donc pas l'écart entre l'intention de l'image et la réception de l'image qui produit l'effet comique. Et, en conséquence, ce n'est pas drôle. Juste un peu pathétique.



Consolidation du 6 septembre
1er septembre Le conte d'Hans Christian Andersen Les Habits neufs de l'empereur est surtout resté célèbre par la phrase « Le Roi est nu ». On se souvient que le roi, donc, ou l'empereur, ou encore le grand-duc, selon les traductions, s'est fait berner par des escrocs qui lui ont vendu un tissu qui demeurerait invisible pour les sots. Personne, dans l'entourage du roi, ne le voit ce tissu, mais n'ose s'avouer sot et ni dénoncer la supercherie et le roi défile donc nu dans les rues où le peuple, ayant appris l'histoire, ne voulant pas non plus paraître sot, mais sans doute aussi par crainte de représailles, ne rit pas à son passage. Il n'y aura qu'un enfant pour crier la vérité et faire douter la foule qui l'instant d'avant louait la splendeur de l'habit. Comme dans tous les bons contes, la morale est à double détente. Il y a la première strate de la morale, évidente, qui est que la vanité du pouvoir est grande et que le bon sens permet de déciller la foule la plus aliénée. Ainsi, il semble désormais évident à l'immense majorité des gens qu'Hitler était un fou furieux, et ce au seul visionnage de l'un de ses discours. Cela semble évident maintenant et ne l'était à l'évidence pas pour ceux qui l'ont porté au pouvoir ni pour les foules qui l'écoutaient galvanisées. Mais il y a une deuxième strate de la morale qui nous est donnée par la fin du conte pour peu qu'on s'en rappelle. En effet, quand la foule, éclairée par l'enfant, commence à chuchoter que cet enfant a peut-être raison, le conte se termine ainsi : « Le Grand-Duc en fut extrêmement mortifié, car, il lui semblait qu'ils avaient raison. Cependant, il se raisonna et prit sa résolution : « quoi qu'il en soit, il faut que je reste jusqu'à la fin ! » Puis il se redressa plus fièrement encore et les chambellans continuèrent à porter avec respect la queue qui n'existait pas. » cette seconde strate de la morale serait donc :  savoir que « Le Roi est nu » ne change rien ; le ridicule n'est pas une arme aussi utile qu'on le craint ou qu'on l'espère, selon les cas, contre le pouvoir, contre l'aveuglement du pouvoir ni, surtout, contre les flatteurs et les profiteurs qui vivent de ce pouvoir... puisque ce même pouvoir, même désigné comme ridicule, peut choisir « de rester jusqu'au bout ». C'est ainsi ce qui se passe au Gabon pour l'élection présidentielle : la fraude est grotesque et le président déclaré vainqueur, fils du dictateur précédent, est à l'évidence tout aussi nu que le grand-duc du conte d'Andersen. Mais, tout aussi bien, cela ne changera rien s'il décide, comme il en a bien l'intention, de « rester jusqu'au bout » et surtout, tant qu'il y aura autour de lui des gens pour dire et répéter qu'ils croient à sa légitimité car c'est leur intérêt.
Car être une personne publique et demeurer le sujet de l'image de cette personne publique est bien ce qui peut déterminer tout un parcours politique. Y faillir, et devenir l'objet des rires et de la moqueriepeut nuire gravement à la crédibilité.
La difficulté, c'est qu'entre « c'est une personne comme tout le monde » et « quel guignol ! », la ligne de démarcation est parfois incertaine, et il suffit d'un fait, à l'apparence anodin, pour que le roi d'hier apparaisse bien nu, comme dans le conte d'Andersen. On se souvient que ce conte est resté célèbre par la phrase « Le Roi est nu », et on se souvient aussi que le roi, donc, ou l'empereur, ou encore le grand-duc, selon les traductions, s'est fait berner par des escrocs qui lui ont vendu un tissu qui demeurerait invisible pour les sots. Personne, dans l'entourage du roi, ne voit ce tissu, mais n'ose l'avouer de crainte de paraître sot... Et le roi finit par défiler nu dans les rues où le peuple, ayant appris l'histoire, et ne voulant pas non plus paraître sot, ne rit pas à son passage. Il n'y aura qu'un enfant pour crier la vérité et faire douter la foule qui l'instant d'avant louait la splendeur de l'habit. Comme dans tous les bons contes, la morale est ici à double détente. Il y a la première strate de la morale, évidente, qui serait que la vanité du pouvoir est grande et que le bon sens permet de déciller la foule la plus aliénée. Ainsi, il semble désormais évident à l'immense majorité des gens qu'Hitler était un fou furieux, et ce au seul visionnage de l'un de ses discours. Cela semble évident maintenant et ne l'était à l'évidence pas pour ceux qui l'ont porté au pouvoir, ni pour les foules qui l'écoutaient galvanisées. Mais il y a une deuxième strate de la morale qui nous est donnée par la fin du conte, pour peu qu'on s'en rappelle. En effet, quand la foule, éclairée par l'enfant, commence à chuchoter que cet enfant a peut-être raison, le conte se termine ainsi : « Le Grand-Duc en fut extrêmement mortifié, car, il lui semblait qu'ils avaient raison. Cependant, il se raisonna et prit sa résolution : « quoi qu'il en soit, il faut que je reste jusqu'à la fin ! » Puis il se redressa plus fièrement encore et les chambellans continuèrent à porter avec respect la queue qui n'existait pas. » cette double détente de la morale serait donc :  savoir que « Le Roi est nu » ne change rien ; le ridicule n'est pas une arme aussi utile qu'on le craint ou qu'on l'espère, selon les cas, contre le pouvoir, contre l'aveuglement du pouvoir ni, surtout, contre les flatteurs et les profiteurs qui vivent de ce pouvoir... puisque ce même pouvoir, même désigné comme ridicule, peut choisir « de rester jusqu'au bout ». N'est-ce pas ainsi ce qui se passe au Gabon pour l'élection présidentielle ? La fraude est grotesque et le président déclaré vainqueur, fils du dictateur précédent, est à l'évidence tout aussi nu que le grand-duc du conte d'Andersen. Mais, tout aussi bien, cela ne changera rien s'il décide, comme il en a bien l'intention, de « rester jusqu'au bout » et surtout, tant qu'il y aura autour de lui des gens pour dire et répéter qu'ils croient à sa légitimité, car c'est leur intérêt.
3 septembre




La caricature n'a pas attendu la photographie et, parmi les plus célèbres des caricatures de personnalités politiques, il y a bien sûr Les Poires, de Charles Philipon et Honoré Daumier, montrant la métamorphose progressive du roi Louis-Philippe en fruit du même nom, et ce, en 1831. On y voit démontré avec une grande clarté le processus de chosification de la personnalité politique, par exagération des traits, au point où l'on se demande si ce n'était pas cette caricature que Bergson avait précisément en tête quand il pointait ce phénomène.
Outre cette réification, trois autres points me semblent devoir être signalés. Le premier est que cette caricature, bien avant l'apparition des réseaux sociaux, doit son succès au fait qu'elle a été reproduite sur les murs de la capitale, puis de la France entière. On dirait aujourd'hui qu'elle a été « partagée ». On retrouve donc cette idée centrale qui veut que le comique n'est comique que collectivement, et est d'autant plus comique que le collectif est large. Les réseaux sociaux ont facilité le processus et l'ont rendu quasiment immédiat tout en l'amplifiant. Le deuxième point, c'est que le processus de réification doit introduire, via un nouveau signifiant, un nouveau signifié, qui fait écho à ce que celui où celle qui regarde la photographie, la caricature, pense déjà avant même de l'avoir vue. Tout se passe comme si, quand on rit d'une image, on en rit parce qu'elle correspond à une image mentale déjà là. C'est aussi cela le succès de Les Poires, car ce fruit a en français une connotation toujours péjorative, même quand il s'agit d'une « bonne poire » et Renault dans les années 1980, en a fait la triste expérience avec son modèle de R14 que la publicité présentait comme une poire. Le succès de la photographie du Président Hollande au Kazakhstan s'explique aussi, et peut-être surtout, par ce même phénomène. Elle vient donner un support visuel à l'impression et à l'opinion de ses détracteurs et confirmer à leurs yeux son illégitimité à gouverner, puisque déguisé en satrape il ne paraît pas un chef guerrier. Peu importe le fait qu'il serait plus raisonnable de s'en réjouir. Mais, parmi les motifs de rejet des pouvoirs, que ce soit celui d'un Président de la République ou d'un chef de bureau, la honte qu'ils inspirent à leurs peuples ou à leurs collaborateurs figure parmi les plus puissants. L'ancien Président Nicolas Sarkozy en a lui aussi fait amèrement les frais, et a finalement dû « se casser », tout Français étant désormais capable de terminer l'expression par une onomatopée triviale qu'il avait lui-même interjetée au début de son mandat. Et ce sera le dernier effet que je soulignerai ici, qui est sans doute le plus paradoxal dans le rire et le comique, et souvent, le plus cruel : nous apparaît comme comique ce qui soudain, tout en grimant, tout en déformant la réalité, nous semble pourtant dévoiler cette réalité. Nous rions parce que cela nous semble « vrai », et, si cela ne nous semble pas « vrai », cela ne nous fait pas rire ou cela nous indigne. Et c'est sans doute cela qui vexe celui qui devient l'objet du rire, que ce rire prenne comme supposition qu'il dévoile la vérité. C'est aussi ce qui fait le succès des humoristes, et l'on entendra le public hilare s'exclamer : « c'est exactement ça ! »

Tout cela ne date pas de la photographie et la caricature n'a d'ailleurs pas attendu la photographie. Parmi les plus célèbres des caricatures de personnalités politiques, il y a bien sûr Les Poires, de Charles Philipon et Honoré Daumier, montrant la métamorphose progressive du roi Louis-Philippe en fruit du même nom, et ce, en 1831. On y voit démontré avec une grande clarté le processus de chosification de la personnalité politique, par exagération des traits, au point où l'on se demande si ce n'était pas cette caricature que Bergson avait précisément en tête quand il pointait ce phénomène.
D'autres enseignements peuvent être tirés de cette caricature du roi et du succès qu'elle a connu. On remarque tout d'abord que cette caricature, bien avant l'apparition des réseaux sociaux, a dû son succès au fait qu'elle a été reproduite sur les murs de la capitale, puis de la France entière. On dirait aujourd'hui qu'elle a été « partagée ». On retrouve donc l'idée centrale qui veut que le comique n'est comique que par le collectif, et qu'il est d'autant plus comique que le collectif est plus large. Les réseaux sociaux ont facilité le processus et l'ont rendu quasiment immédiat tout en l'amplifiant mais ils n'ont pas inventé le processus. Autre enseignement, le processus de réification doit introduire, via un nouveau signifiant, un nouveau signifié, qui fait écho à ce que celui où celle qui regarde la photographie, la caricature, pense déjà avant même de l'avoir vue. Tout se passe comme si, quand on rit d'une image, on en rit parce qu'elle correspond à une image mentale déjà là. C'est aussi cela le succès de Les Poires, car ce fruit a en français une connotation toujours péjorative, même quand il s'agit d'une « bonne poire » et Renault dans les années 1980, en a fait la triste expérience avec son modèle de R14 que la publicité présentait comme une poire. Le succès de la photographie du Président Hollande au Kazakhstan s'explique aussi, et peut-être surtout, par ce même phénomène. Elle vient donner un support visuel à l'impression et à l'opinion de ses détracteurs et confirmer à leurs yeux son illégitimité à gouverner, puisque déguisé en satrape, il ne paraît pas un chef guerrier. Peu importe qu'il serait plus raisonnable de s'en réjouir. Mais, parmi les motifs de rejet des pouvoirs, que ce soit celui d'un Président de la République ou d'un chef de bureau, la honte qu'ils inspirent à leurs peuples ou à leurs collaborateurs figure parmi les plus puissants. L'ancien Président Nicolas Sarkozy en a lui aussi fait amèrement les frais, et a finalement dû « se casser », tout Français étant désormais capable de terminer l'expression par une onomatopée triviale qu'il avait lui-même interjetée au début de son mandat. Et ce sera le dernier effet que je soulignerai ici, qui est sans doute le plus paradoxal dans le rire et le comique, et souvent, le plus cruel : nous apparaît comme comique ce qui soudain, tout en grimant, tout en déformant la réalité, nous semble pourtant dévoiler cette réalité. Nous rions parce que cela nous semble « vrai », et, si cela ne nous semble pas « vrai », cela ne nous fait pas rire ou cela nous indigne. Et c'est sans doute cela qui vexe celui qui devient l'objet du rire, que ce rire prenne comme supposition qu'il dévoile la vérité. C'est aussi ce qui fait le succès des humoristes, et l'on entendra le public hilare s'exclamer : « c'est exactement ça ! »