Diégèse




lundi 12 août 2019



2019
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Daniel Diégèse














Gavroche

Je ne connais pas de lectrice ou de lecteur de Victor Hugo qui n'ait pas dans le secret de sa lecture reproché à l'auteur d'avoir tué Gavroche. Qui pourrait donc bien vouloir la mort de cet enfant pour qui Hugo fait dire à Paris qu'il est « son petit » ? Et le vieux Victor semble bien lui-même hésiter, qui endosse pour l'occasion les oripeaux de la mort.

Car, tant que l'auteur ne s'en mêle pas, le petit a encore toutes ses chances : « Sous les plis de ce voile de fumée, et grâce à sa petitesse, il put s’avancer assez loin dans la rue sans être vu. Il dévalisa les sept ou huit premières gibernes sans grand danger. » Le laisserait-il un peu tranquille cet enfant, qu'il retournerait presque tranquillement sur la barricade pour laquelle il ramasse des cartouches. Mais, il faut bien que le récit avance, et pour ce faire, on le sait, les écrivains sont prêts à toutes les turpitudes et jusques au crime. Alors, le rideau s'ouvre : « À force d’aller en avant, il parvint au point où le brouillard de la fusillade devenait transparent. » Mais qui ouvre le rideau ? C'est bien Hugo, car il faut désormais que la grande scène commence. « Il se dressa tout droit, debout, les cheveux au vent, les mains sur les hanches, l'œil fixé sur les gardes nationaux qui tiraient, et il chanta... » On connaît la suite, c'est la faute à Voltaire, et même encore, la faute à Rousseau. On ajoutera surtout : c'est la faute à Hugo. Et les enseignants de rappeler d'ailleurs depuis qu'il serait plus correct de dire que c'est la faute de Voltaire et la faute de Rousseau. Mais bon, on ne saura d'ailleurs jamais pourquoi on est bête à Nanterre et laid à Palaiseau... si ce n'est pour exciter les tireurs, le gamin ayant repéré que les tirs viennent « de la banlieue ».

Alors, Victor Hugo semble lui-même hésiter. Certes, il faut que Gavroche meure, mais ne pourrait-il pas quand même s'en sortir : « Cela continua ainsi quelque temps. » Après tout, ce n'est qu'une fiction, un spectacle dont la fin n'appartient qu'à l'auteur. Pourquoi faudrait-il toujours prospérer sur le drame, fût-ce cela plus romantique ? « le spectacle était épouvantable et charmant. Gavroche, fusillé, taquinait la fusillade. » Ce premier oxymore dévoile le dilemme de l'auteur. D'ailleurs, la scène devient soudain comique : « les gardes nationaux et les soldats riaient en l'ajustant. »
Mais bon, cela suffit ! On ne va pas rester sur cette barricade tout au long du tome V des Misérables, alors que l'on en n'est qu'au livre I. le personnage semble prendre ses aises et n'en faire qu'à sa tête. Mais en attend-on moins de la part de Gavroche ? Et voilà que l'auteur, grimé sous les traits de la Faucheuse en prend pour son grade : « Il jouait on ne sait quel effrayant jeu de cache-cache avec la mort chaque fois que la face camarde du spectre s’approchait, le gamin lui donnait une pichenette. » Est-ce cette pichenette qui décida l'auteur à en finir enfin ? C'est indécidable mais tant est si bien que : « Une balle pourtant, mieux ajustée ou plus traître que les autres, finit par atteindre l'enfant feu follet. » Et c'est le même tireur qui ajuste la balle fatale.

Alors, il ne reste à l'auteur, coupable et pourtant éploré, qu'une dernière pirouette. Il y va d'un dernier oxymore qui restera dans les annales de la littérature française et des précis de stylistique : « Cette petite grande âme venait de s’envoler. » ; oxymore qui lui permet de faire mourir son personnage sans le tuer tout à fait... Vieux coquin !









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4e de couverture






En peinture, on appelle cela des repentirs, quand le peintre transforme un élément déjà peint, reprend en profondeur un tableau, le barbouille même parfois, mais que le premier geste demeure sous la nouvelle couche apposée. Les historiens de l'art, armés d'instruments perfectionnés distinguent, comme par radiographie, les repentirs du peintre, et en tirent des conclusions fort intéressantes. En littérature, cela existe aussi. Bien sûr, quand on a accès aux manuscrits, on peut étudier les repentirs de l'écrivain, ce qu'il a barré, ajouté, repris parfois indéfiniment. Ce qu'étudie Daniel Diégèse dans ce livre érudit est d'un autre ordre. Il soutient ainsi la thèse qu'il y a dans beaucoup de romans, et notamment les grands romans du dix-neuvième siècle, certes des repentirs, mais d'autres récits qui sont demeurés potentiels. Par exemple, Daniel Diégèse montre que Balzac éprouve une sorte de fascination excessive pour Lucien de Rubempré. Au point qu'il ne sait quoi en faire et qu'il finit par l'assassiner dans sa cellule et maquiller le crime en suicide. Avec Edmond Dantès, Alexandre Dumas trouve une solution et lui fait jouer des personnages multiples, ce qui permet à l'auteur, en fin de compte, de ne pas vraiment choisir.
Bref, Diégèse montre que tout romancier est redevable de l'Ouvroir de Littérature potentielle, le fameux OuLiPo. « Attention, derrière ce roman s'en cache un autre ! » devrait-on faire mention sur les jaquettes de nos ouvrages préférés.










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