Diégèse | |||||||||
mardi 27 août 2019 | 2019 | ||||||||
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Un simple Stratagème | 239 | ||||||||
Gustav Diégèse | |||||||||
C'est
Charles Péguy qui lui apporta le coup de grâce - si l'on permet à
l'auteur ce jeu de mot un peu idiot. En effet, peu à peu, notre Augustin avait fini par digérer que le saint dont il portait le prénom, cet Augustin d'Hippone, n'eût pas toujours été un saint et qu'il eût même été franchement débauché. Il s'était donc arrangé avec cette idée et avait réussi à la ranger dans l'ordre de sa morale ordinaire, cette morale qu'il estimait catholique et même bien catholique. Le schéma qu'il appliquait était simple : Augustin (d'Hippone) avait pêché, beaucoup pêché. Il s'était sincèrement repenti et il avait reçu le pardon et la grâce de la conversion. Il était devenu saint et docteur de l'Église. La sainteté d'Augustin, son pardon et la grâce ne devaient rien à Augustin mais tout à la grandeur de Dieu, très miséricordieux. Certes, il trouvait en son for intérieur que ce n'était pas vraiment juste que Dieu ait choisi un débauché pour devenir un saint, mais il n'allait pas jusqu'à discuter les voies du Seigneur, dont on sait par ailleurs qu'elles sont impénétrables, comme le veut le dicton populaire. En revanche, ce dont il était certain, c'est qu'il ne pouvait y avoir aucune relation entre la débauche, d'une part ; la grâce et la sainteté, de l'autre, afin que morale et religion restent bien du même côté. Et puis, sans crier gare, Péguy était arrivé. Dans le milieu d'Augustin, chez la droite versaillaise, on aime bien Péguy, le considérant comme un écrivain nationaliste chrétien, certes impossible à lire, ce qui dispense de le lire et de se rappeler au passage qu'il a été parmi les premiers dreyfusards, mais aussi socialiste. La paroisse proposant une journée d'étude sur l'écrivain, il s'y était inscrit sans aucune crainte. La rigueur du seul titre du texte qui serait abordé l'autorisait à ne rien craindre pour lui de bien révolutionnaire : Note CONJOINTE. L'incipit précisait : Note sur M. Bergson et la philosophie bergsonienne - Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne. Un peu cynique, il se disait que passer son dimanche après-midi avec un Jésuite et des fidèles sur un tel texte lui permettait à coup sûr de gagner son paradis. Heureusement, le prêtre avait averti que l'on n'aborderait que des extraits ; deux extraits qui sont à proximité l'un de l'autre dans le texte. Premier extrait :
page 100 et sq
- Gallimard - quatrième édition 1935
« Dans la physique
ordinaire ou
si l'on veut dans la première physique, dans la physique du poids et de
l'hydrostatique l'accrochement et par lui la causation joue toujours.
Dans la physique de la mouillature au contraire, dans la physique de
l'humectation, (et elle est la même que la physique du ménisque, et de
l'équilibre des surfaces liquides, et de la formation des gouttes et
gouttelettes ; et des atmosphères ; et des dispersions ;
et des
solutions colloïdales ; et peut-être des autres solutions),
l'accrochement, et par lui la causation ne joue pas toujours. On a
toujours un poids. On n'est pas toujours mouillable. Ou si l'on veut
tout a un poids, mais tout n'est pas mouillable. On est toujours
pondérable, on n'est pas toujours humectable. On est toujours pesable.
On n'est pas toujours pénétrable. De là viennent tant de manques, (car
les manques eux-mêmes sont causés et viennent), de là viennent tant de
manques que nous constatons dans l'efficacité de la grâce, et que
remportant des victoires inespérées dans l'âme des plus grands pécheurs
elle reste souvent inopérante auprès des plus honnêtes gens, sur les
plus honnêtes gens. C'est que précisément les plus honnêtes
gens, ou simplement les honnêtes gens, ou enfin ceux qu'on nomme tels,
et qui aiment à se nommer tels, n'ont point de défauts eux-mêmes dans
l'armure. Ils ne sont pas blessés. Leur peau de morale constamment
intacte leur fait un cuir et une cuirasse sans faute. Ils ne présentent
point cette ouverture que fait une affreuse blessure, une inoubliable
détresse, un regret invincible, un point de suture éternellement mal
joint, une mortelle inquiétude, une invisible arrière anxiété, une
amertume secrète, un effondrement perpétuellement masqué, une cicatrice
éternellement mal fermée. Ils ne présentent point cette entrée à la
grâce qu'est essentiellement le péché. Parce qu'ils ne sont pas
blessés, ils ne sont plus vulnérables. Parce qu'ils ne manquent de rien
on ne leur apporte rien. Parce qu'ils ne manquent de rien, on ne leur
apporte pas ce qui est tout. La charité même de Dieu ne panse point
celui qui n'a pas des plaies. C'est parce qu'un homme était par terre
que le Samaritain le ramassa. C'est parce que la face de Jésus était
sale que Véronique l'essuya d'un mouchoir. Or celui qui n'est pas tombé
ne sera jamais ramassé ; et celui qui n'est pas sale ne sera pas
essuyé. »
Découvrant le texte silencieusement, le déchiffrant presque tant le style de Péguy différait de tout ce qu'il avait l'habitude de lire. Il se frotta un peu les yeux quand il lit que la grâce, selon Péguy était souvent inopérante sur les honnêtes gens. Il n'avait jamais rien entendu, pensa-t-il, de plus étrange et de plus révoltant. Oui ! cela le révoltait. Alors, ça ne servait à rien d'être honnête pour recevoir la grâce ! Et pourquoi pas aussi être athée ! Et homosexuel ! Et pêcheur ! et divorcé ! (redondance) Si la grâce pouvait tomber sur tout le monde, cela détruisait à ses yeux toute idée de mérite dans la religion et dans la foi, ce qui lui paraissait très loin de tout ce qu'on lui avait appris. Il avait déjà oublié que toutes les raisons qu'il évoquait par devers lui comme devant éviter d'être touché par la grâce s'appliquaient à Augustin d'Hippone, sauf le divorce, peut-être, puisqu'il n'avait pas épousé sa maîtresse. Mais, il n'était pas au bout de ses peines... Deuxième extrait : idem
« Ce qu'on nomme la morale est un enduit qui rend l'homme imperméable à la grâce. De là vient que la grâce agit dans les plus grands criminels et relève les plus misérables pécheurs. C'est qu'elle a commencé par les pénétrer, par pouvoir les pénétrer. Et de là vient que les êtres qui nous sont les plus chers, s'ils sont malheureusement enduits de morale, sont inattaquables à la grâce, inentamables. C'est qu'elle commence par ne pas pouvoir les pénétrer. » La simple idée que les criminels pouvaient être plus proches de la grâce que lui et que toute sa famille pratiquante et militante le révulsait. Il alla même se demander si ce Jésuite ne se moquait pas d'eux en leur ayant apporté un texte apocryphe ou caviardé. Et ce fut, justement le coup de grâce. Troisième extrait :
page 102
« C'est pour cela que rien n'est contraire à ce qu'on nomme (d'un nom un peu honteux) la religion comme ce qu'on nomme la morale. La morale enduit l'homme contre la grâce. Et rien n'est aussi sot, (puisque rien n'est aussi Louis-Philippe et aussi monsieur Thiers), que de mettre comme ça ensemble la morale et la religion. Rien n'est aussi niais. On peut presque dire au contraire que tout ce qui est pris par la grâce est pris sur la morale. Et que tout ce qui est gagné par la nommée morale, tout ce qui est recouvert par la nommée morale est en cela même recouvert de cet enduit que nous avons dit impénétrable à la grâce. (C'est la même maladie que de mettre ensemble la famille et la propriété (...) » Il sortit de la salle prétextant une quinte de toux et n'y retourna pas, gardant cependant le papier dans sa poche pour le montrer à l'évêque quand il le verrait comme preuve du caractère profondément séditieux de ce Jésuite pourtant théologien renommé. |
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page 239 | |||||||||
Toute la collection | 4e de couverture | ||||||||
Augustin est
perplexe. Il
est même un peu désorienté. Catholique fervent, il avait, depuis le
catéchisme, imaginé que ses parents l'avaient appelé Augustin en
référence à Saint Augustin, le fameux Augustin d'Hippone, Docteur de
l'Église. Il avait raison. Mais, ce n'était pas exactement pour la
raison qu'il avait imaginée. En effet, peu avant de mourir, sa mère,
Monique, lui a avoué que son père Michel n'était pas son père
biologique et que celui-ci, rencontré lors d'un séjour touristique en
Tunisie aux confins du désert était berbère. Mais voilà... Augustin
s'est engagé dans un parti très à droite qui milite contre
l'immigration et est, par ailleurs, l'un des piliers d'une ligue morale
fascisante qui manifestait contre le mariage pour tous... Il lui
faudra donc trouver un stratagème pour renouer avec une identité qui se
dérobe... Et si la solution se trouvait dans les écrits de ce saint
philosophe dont il porte le prénom, pour de mauvaises, mais aussi de
bonnes raisons ? Et si ce stratagème, c'était la vie ?> Gustav
Diégèse signe là un roman très original qui rend
très contemporaine une pensée qui n'a jamais cessé de l'être. Saint
Augustin est le saint des surprises, et pour peu qu'on le suive, le
chemin de foi qu'il propose est toujours aussi ébouriffant.>
Un livre à
lire que l'on croie ou que l'on ne croie pas. Après tout, la sainteté
est aussi un voyage en humanité.
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27 août |
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