Diégèse | |||||||||
jeudi 5 décembre 2019 | 2019 | ||||||||
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L'atelier du texte | demain | |||||||
Le Miroir inventif | 339 | ||||||||
Gustav Diégèse | |||||||||
Il
n'en demeure pas moins que l'égoportrait trouble son auteur.e et
qu'elle le-la trouble, sinon plus, différemment, qu'un portrait pris
par
une tierce personne. En effet, s'agissant d'un portrait photographique
pris par un.e photographe, on peut admettre qu'ils-elles sont trois
dans l'affaire du regard : la personne photographiée, la personne
photographe et le portrait. Cette triade, comme toute triade, permet de
sortir de l'enfermement narcissique puisque je me regarde regardé.e.
Donc, je regarde tout aussi bien l'autre que moi-même. En revanche,
dans l'égoportrait, combien sont-ils, combien sont-elles ?
Serait-ce
indécidable ? Pour autant, ne pourrait-on pas supposer, sinon affirmer, qu'avec l'égoportrait, on rejoint la pratique de l'autoportrait du peintre ou de la peintre ? Dans l'autoportrait peint, qui est le ou la troisième ? Le ou la peintre. Considérons, par exemple, les autoportraits de van Gogh, peintures célèbres parmi les peintures célèbres, qui seraient au nombre de 43 si ne demeurent pas de faux dans la liste - car, les autoportraits de van Gogh ont inspiré les faussaires à travers le temps. Arrêtons-nous, d'ailleurs, un instant sur ces faux. Au-delà de la tentation d'une juteuse escroquerie, qu'est-ce qui est peint quand un peintre, fût-il un faussaire, peint un autoportrait qui n'est pas le sien ? Il rétablit à l'évidence, en la soulignant, la triade originale qui avait été dissimulée sous le supposé face-à-face du peintre avec lui-même, son modèle. Si l'autoportrait est faux, c'est qu'ils sont bien trois. Mais quand il est vrai, ne sont-ils pas également trois, tout aussi bien. Dans un article de 2002 intitulé Invention du dessin dans la cure psychanalytique de l'enfant publié dans La Lettre de l'enfance et de l'adolescence (2002/3 n°49, pages 43 à 50, le pédopsychiatre et psychanalyste Tristan Garcia-Fons écrit ceci : « Ainsi,
le dessin vient à la place d’une absence et instaure une
« présence ». Mise en acte d’un corps pulsionnel et de ses
ressentis, il cherche, dès les premières traces, à figurer un
« corps psychique » : il présentifie un « être
là » du sujet. L'enfant y inscrit son identité : « Ici
je suis. » Le dessin est donc toujours un autoportrait : mon
dessin me regarde et je me vois en lui »
Un peu plus haut, il explique que ce qui est toujours en jeu, c'est le deuil du corps fusionnel avec la mère. On ajoutera donc, que, non seulement, dans cet autoportrait, je regarde moi, mais je regarde moi dessiné par moi. Nous sommes donc bien trois. Dès lors, où est la trace du ou de la troisième dans le selfie ? Dans le dispositif de diffusion. Le selfie est pour moi comme il est pour l'autre. En publiant un selfie, de fait, je rejoins les autres me regardant. L'autre est donc d'emblée dans l'image, d'où, sans doute, le succès immédiate de cette pratique chez les adolescent.e.s. |
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page 339 | |||||||||
Toute la collection | 4e de couverture | ||||||||
Vous
en avez peut-être
fait l'expérience, et si vous avez moins de trente ans, c'est plus que
certain : prendre un « selfie », ou encore ce que les
Québécois ont souhaité appelé un « égoportrait » ou une
« autophoto », ne démentant ainsi pas leur créativité
lexicale. Les plus âgés se
souviennent encore du temps où les téléphones pourvus d'un appareil
photographique ne possédaient pas cette fonction magique qui permet
d'inverser la prise de vue et de se prendre ainsi soi-même. Et ils
souviennent aussi du temps où les perches spécifiques pour ces
autophotos n'existaient pas encore, non plus que les
« applis » qui
permettent de retoucher ou d'agrémenter ces images narcissiques. Gustav
Diégèse, anthropologue chevronné, étudie cette vague iconique et
totémique mondiale et les relations subtiles que cette pratique à
l'apparence anodine entretient plus particulièrement avec l'amour, mais
aussi avec la mort. Ce « miroir inventif » signerait, selon
lui la manifestation d'un changement anthropologique majeur tout en
confirmant la
permanence des productions culturelles rituelles d'homo sapiens. Ce livre, écrit dans une langue très claire, a le bonheur d'être accompagné de nombreux exemples iconographiques dont certains, à n'en pas douter, sont déjà anthologiques. |
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5 décembre |
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