Il est temps de conclure ce recueil en évoquant l'image de couverture, cette petite image de rien du tout, aisément reproductible avec une feuille encore humide de pluie sur un sol déjà sec.

Quel est le ressort de cette image ?

Nous pourrions convenir que c'est l'oxymore. Le terme, nous apprend le Trésor de la langue française informatisé apparaît au XVIII^e siècle et est emprunté du grec oxumôron, de même sens, neutre substantivé de l'adjectif oxumôros, composé de oxus, « aigu, fin, effilé », et môros, « épais, sot, émoussé ». C'est pour la rhétorique une figure par laquelle on allie de façon inattendue deux termes qui s'excluent ordinairement. « Obscure clarté » est un célèbre oxymore de Corneille. Par parenthèse, le terme « oxymore », phonétiquement, nous a toujours paru lui-même relever de l'oxymore pour ce en quoi il contient « oxy » qui rappelle immanquablement « oxygène », évoquant donc la vie, et « more » qui se prononce comme « mort ». De manière presque subliminale, l'oxymore est l'alliance de la vie et de la mort. Or, cette feuille morte est profondément vivante et profondément morte. Si nous osions sortir de convenances littéraires compassées, nous pourrions admettre que la trace d'humidité qui entoure la feuille au sol semble émaner de la feuille elle-même plutôt que d'une ondée. Même si l'on sait que ce n'est pas vrai, ce que l'on voit, c'est la vie qui s'écoule de la feuille. Cette feuille, maintenant que l'imagination est débridée, nous semble avoir été violemment écrasée comme en témoigne encore le pli entre deux nervures.

Et quelle est cette boule qui semble ponctuer la scène de crime ? Il est évidemment ici trop tentant, s'agissant de ce détail, de faire une allusion devenue banale et presque obligée, dès lors que l'on parle de photographie, au livre de Roland Barthes La Chambre claire, et plus précisément au « punctum ». Barthes, en 1980, distingue dans l'image photographique le « studium » qui relève d'une sorte de contrat tacite entre l'intention du photographe et celui qui regarde et la reconnaît et l'apprécie culturellement, d'une part, et, donc, le « punctum » qui relève ou semble relever du hasard et qui provoque une forte émotion chez celui qui regarde, émotion qui agit comme la piqure de la flèche de Cupidon.

Cependant, le punctum de cette image demeure plutôt pour nous l'auréole d'humidité. C'est indécidable puisque au sens propre comme au sens figuré : « ça vous regarde »... si vous regardez.

Vous rappelez-vous quand vous étiez petites et petits ? Vous pouviez passer des heures le nez au ras du sol à inventer des mondes avec un peu de poussière... Et vous ne voyiez pas le temps passer. Il fallait vous appeler plusieurs fois pour passer à table. Et puis, peu à peu, en grandissant, vous avez perdu cette capacité démiurgique. La poussière est redevenue poussière et vos mondes imaginaires ont été engloutis par le quotidien. C'est vrai pour tout le monde ? Et non ! Pas pour les artistes.
Mathieu Diégèse est allé à la rencontre de plus d'une trentaine d'artistes et les a interrogé.e.s non pas sur leur œuvre, mais sur leur imagination. L'artiste Robert Filiou n'a-t-il pas écrit que « l'art est ce qui rend la vie plus intéressante que l'art ». Est-ce vrai aussi pour les artistes ?
Vous aurez plaisir à lire cette trentaine d'entretiens avec des artistes que vous connaissez certainement, et d'autres que vous ne connaissez peut-être pas. Mais, ce qui est certain, c'est que vous courrez ensuite pour voir leurs œuvres dans un musée, un centre d'art ou une galerie. Comme il est vrai aussi que l'on vous surprendra de nouveau, le nez au ras du sol, à fabriquer je ne sais quoi de l'ordre et du désordre de l'univers.