Diégèse




mercredi 18 décembre 2019



2019
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Rien ne s'efface 352



Daniel Diégèse




Elle sonne. L'appartement dans lequel on la fait entrer ne ressemble en rien à l'idée que l'on se fait de l'appartement d'une magicienne. Rien ne le distingue des appartements de ses amis et de ses connaissances. Il a été meublé dans les mêmes magasins de vulgarisation du design. Il est dans un immeuble banal, ni très populaire, ni très bourgeois, dans un quartier où les classes moyennes aiment à habiter sans craindre le déclassement. Sur l'interphone, il y a seulement un nom, banal lui aussi. La magicienne se nomme Madame Indre. Mais, c'est sans doute un pseudonyme. L'Indre coule en effet à deux pas du parc de la résidence.

Madame Indre, donc, lui propose de s'asseoir à la table de la salle à manger et elle s'assoit en face d'elle. Elle prend ses mains dans les siennes, quelques secondes, pas plus, puis elle commence à parler : « tout d'abord, il faut que vous parveniez à distinguer en vous ce qui relève de la mémoire, d'une part, du souvenir, de l'autre. Dans notre vie, nous confondons souvent, par facilité de langage, la mémoire et le souvenir, qui relèvent cependant de deux mécanismes très différents au sein de nos capacités cognitives. Le souvenir, on peut le localiser dans le cerveau. C'est ce qui permet à certains, d'ailleurs, de bâtir des "théâtres de la mémoire", improprement appelés ainsi, puisque ce sont en fait des étagères à souvenirs. La mémoire, elle, ne se localise pas. Le souvenir, lui, est localisé, toujours, et quand on se souvient de quelque chose, on s'en souvient comme d'un lieu. Le souvenir est spatial. La mémoire ne l'est pas. Le travail que nous allons engager ensemble, pendant les premières séances aura pour objectif de vous amener à séparer dans votre esprit "mémoire" et "souvenir". Cela semble simple, mais, cela ne l'est pas et nous aurons peut-être besoin de l'aide des esprits. Sans la mémoire qui l'active, le souvenir n'est rien. Ce n'est pas que vous avez trop de souvenirs, c'est que votre mémoire est hyperactive. Chez la plupart des gens, le souvenir est essentiellement dormant. Cela leur permet de vivre plus tranquillement que vous. Ce n'est pas qu'ils ont oublié. L'oubli est d'une autre nature. Il est du côté de la mémoire, pas du souvenir.

Quand nous serons parvenues à isoler les souvenirs, il nous faudra distinguer que le "rappel mémoriel" - comme j'appelle l'activation d'un souvenir, d'une part, et l'oubli, d'autre part, ne sont pas deux processus mentaux séparés, différents l'un de l'autre, mais les deux modes, les deux faces d'un même processus. L'oubli n'est pas un manque, une absence mais une activité de notre pensée au même titre que le rappel mémoriel. On oublie activement, mais le plus souvent à notre insu. On croit ordinairement que l'on maîtrise parfaitement ce "rappel mémoriel" quand on ne maîtrise pas l'oubli. Rien n'est moins juste que cela. Nous vivons toutes et tous sur un mode automatique de "rappel mémoriel" et l'on se souvient davantage involontairement que volontairement. C'est ce qui fait, par exemple, que de sa chambre, on rejoint la cuisine sans avoir à réfléchir. Les atteintes du rappel mémoriel que sont les maladies comme la maladie d'Alzheimer atteignent d'abord ce mode automatique du rappel et désorientent les personnes qui en sont atteintes. Vous, vous êtes tout le temps en mode automatique et c'est fatigant. Nous allons faire en sorte, ensemble, que vous repreniez la main sur ce processus de rappel et, pour ce faire, nous allons demander de l'aide. »









page 352










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4e de couverture






Gatienne est malade. Les médecins lui disent qu'il ne s'agit pas d'une maladie. Peu importe. Elle considère qu'elle est malade et que cette maladie incurable est insupportable. De quoi souffre-t-elle ? D'un syndrome étudié par des chercheurs en neurosciences tout autour de la terre : l'hypermnésie. Gatienne se souvient de tout. Pas exactement de tout... mais de tout ce qui prend un caractère autobiographique. Elle se rappelle ainsi quels vêtements elle portait le jour de la rentrée en classe de sixième au collège. Vous aussi ? Peut-être. C'est un jour important qui peut marquer l'esprit. Mais voilà, Gatienne, elle, se souvient de ses habits du lendemain de la rentrée, et de ceux du surlendemain et ainsi de suite jusqu'à aujourd'hui. Même si, fort heureusement, ces souvenirs ne sont pas spontanés et doivent être sollicités par une question posée par elle-même ou autrui, ils n'en demeurent pas moins lourds à porter, inutiles, encombrants, épuisants. Alors, Gatienne part en voyage pour tenter de trouver le médecin, le mage, le chaman, la magicienne, la pythie ou la prêtresse qui sauront lui insuffler un peu d'amnésie.
Daniel Diégèse nous conduit une nouvelle fois dans les méandres complexes de l'esprit humain. Au-delà du cas paroxystique de Gatienne, ne sommes-nous pas nous aussi un peu comme elle ? Nous ne savons plus où nous avons mis nos clés, mais nous rappelons parfaitement des tas de fait inutiles. Enfin : inutiles en apparence...










18 décembre






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