Sans surprise, j'ai constaté que mon âne suscitait plus d'intérêt que ma personne et on lui a offert plus souvent de l'eau qu'on ne m'en a proposé. Je me suis parfois demandé si j'étais devenu invisible puisque celles et ceux que je croisais ne considéraient que cet âne supposé doux et qui ne l'étais pas. J'ai dû intervenir plusieurs fois pour éviter une morsure qui aurait pu être cruelle pour une main imprudente. Mais, j'ai été aussi une figure politique. Je n'avais pas prévu que les Palestiniens chrétiens seraient interdits par Israël de se rendre sur les lieux de la Crèche pour la fête de la nativité. Interrogé plusieurs fois par des policiers, j'ai montré la liasse d'autorisations que j'avais eues grâce à de solides amitiés en Israël et aussi grâce à quelques amateurs d'art qui connaissaient et aimaient mon travail. Mais, cette terre est ainsi, qu'elle soit juive, arabe, britannique, romaine, chrétienne, ottomane : ses paysages sont politiques. Il n'y a pas de paysage plus politique que celui qui longe le Jourdain. Quand on relit les évangiles à l'aune des itinéraires et des paysages, on ne cesse de grimper sur des collines, de rejoindre des jardins, d'aller sur l'eau et d'y marcher parfois. Les villes s'opposent les unes aux autres jusque dans la prédication christique et Jésus promet aux unes d'être sauvées, quand, pour les autres, il ne restera plus pierre sur pierre. L'Ancien Testament garde aussi la trace de destructions par un feu vengeur dont le plus célèbre est évidemment celui qui s'abat sur Sodome. Depuis lors, il n'y a pas de bombardement de bombes en tapis qui ne se réfère, au moins fantasmatiquement, à la destruction de Sodome. Ne pourrait-on détruire de ville sans prétendre que c'est le mal que l'on abat ? Certainement.
Je suis arrivé aux abords de Bethléem, incluse désormais dans la banlieue de Jérusalem. Il m'a semblé qu'il y a désormais plus célèbre que le lieu supposé de la naissance de Jésus et de son adoration par les mages : c'est le mur de séparation. On photographie davantage les fresques de Banksy et de ses émules que le bric-à-brac touristique supposé figurer les lieux de la délivrance de la parturiente Marie, car, fût-il engendré par le Saint-Esprit, il n'en demeure pas moins que c'était un beau bébé. J'avoue que j'ai posé moi aussi, avec cette barbe qui ne cesse de pousser, devant la fresque de Banksy. La boucle était bouclée. Chaque époque s'invente des prophètes. La production de prophètes en Judée-Samarie n'a jamais vraiment cessé. Et l'histoire ne se termine jamais bien.
On adore les voyages en âne de Mathieu Diégèse et on attend avec impatience le prochain volume qui nous conduira... à travers les Cévennes, reprenant le chemin de Stevenson et de Modestine du Puy-en-Velay à Alès.