Diégèse




vendredi 27 décembre 2019



2019
ce travail est commencé depuis 7301 jours (72 x 149 jours) et son auteur est en vie depuis 21754 jours (2 x 73 x 149 jours)
ce qui représente 33,5616% de la vie de l'auteur mille quarante-trois semaines d'écriture
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L'atelier du texte demain










Je pense aux jours prochains 361



Noëmie Diégèse














Je retrouve Madame M. dans le café où nous nous étions donné rendez-vous la fois précédente. Je la trouve plus fatiguée que la dernière fois malgré les deux semaines de vacances qu'elle a prises et qui se terminent aujourd'hui. Je remarque qu'elle n'a fait aucun effort vestimentaire ou de maquillage pour venir à ce rendez-vous alors que l'expression populaire, mais exacte, qui qualifiait sa mise la dernière fois était : « pomponnée ». Je suis plutôt contente de cela, car, sa mise montre, je pense, que l'idée d'être le personnage d'une écrivaine ne l'impressionne plus et que les barrières de classe entre nous se sont un peu abaissées. Je la regarde. Je ne lui pose aucune question. Quelques minutes de silence... Elle prend sa respiration. Elle commence.

« Je l'ai tué. Il y avait longtemps que j'en avais l'idée. Cela faisait bien dix ans. Je n'avais rien de particulier à lui reprocher. Il travaillait. Il n'était pas alcoolique. Il ne me trompait pas. Il faisait les courses, le ménage et la cuisine autant que moi. Il avait été très attentionné avec les enfants et toujours à leur écoute. Il s'apprêtait, je pense, à devenir un grand-père-modèle. Notre grande fille est enceinte et accouchera au mois de mars prochain. Je l'ai tué quand-même. Vous savez, je n'en ai plus pour très longtemps, deux ou trois ans, affirment les médecins. Alors que lui, il était en pleine forme. Il n'était pas près de mourir. Je me suis dit que je ne ferai donc pas l'expérience du veuvage, des obsèques du mari avec toute la famille, du ruban noir sur le cadre de la photo de mariage sur le meuble du salon. Je trouvais très injuste que cela ne m'arrive pas et que cela décourage les statistiques qui indiquent que les hommes vivent moins longtemps que les femmes. Un veuf, c'est un accident. Une veuve, c'est la norme. J'ai trouvé une manière indolore et insoupçonnable de le tuer. Il y a beaucoup d'accidents cardiaques pendant les fêtes et les pompiers sont surmenés. Personne ne s'est douté de rien. Ils ont essayé de le ranimer, sans succès, évidemment... J'avais mis la dose. Les obsèques sont dans trois jours. Ce sera sans tralala, mais toute la famille sera là, ainsi que quelques amis, peut-être quelques voisins. J'ai sorti des lunettes de soleil. Les gens ont davantage l'impression que l'on est triste quand on porte des lunettes noires. Il n'y aura pas de cérémonie religieuse. D'abord, il n'était pas croyant, et puis, il ne faut pas exagérer... On ne sait jamais. Je suis allée voir mon médecin le lendemain pour qu'il me prescrive des anxiolytiques, au cas où il y aurait une enquête, mais surtout parce que cela faisait partie du protocole. Il m'a accueillie avec un large sourire. Il voulait m'appeler mais il n'avait pas eu le temps. Il avait reçu mes résultats. J'étais guérie. C'était inattendu. Il m'a dit que j'avais retrouvé une espérance de vie normale. Je n'ai rien regretté, me disant que mon expérience du veuvage serait juste plus longue. »

Elle s'arrête de parler. Un homme s'est posté de l'autre côté de la vitrine et la regarde avec un large sourire. « Mon mari ! » dit-elle. Elle lui sourit et lui fait un signe qui signifie qu'elle en a encore pour une dizaine de minutes. Je leur souris à tous les deux et arrête l'enregistrement. Je suis vaguement soulagée. Aurais-je été prise à mon propre jeu ?









page 361




















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4e de couverture






Fidèle à la méthodologie littéraire de l'enquête qu'elle a forgée au fil de la plupart de ses livres, Noëmie Diégèse est allée à la rencontre de personnes inconnues à qui elle a proposé de devenir des personnages.
« Alors que l'on pourrait croire que peu de gens ont envie de devenir des personnages, et donc de perdre leur libre-arbitre, je me suis rendu compte qu'au contraire, la plupart des personnes rencontrées acceptaient ce petit jeu avec gentillesse et confiance, laissant d'emblée la fiction à son statut de fiction. »
Noëmie Diégèse a demandé à ses protagonistes d'imaginer comment allaient se passer les prochains jours, un, deux, trois jours, jamais plus d'une semaine. Elle a écrit un texte puis, elle a donné ensuite rendez-vous deux semaines plus tard aux mêmes personnages pour comparer avec elles et avec eux son texte avec le récit des jours à venir devenus entre temps les jours passés. Entre ces deux temps tissés par le temps de l'écriture, il y a des espoirs, des amours, des peines et des joies. Il y a toute la littérature.
Noëmie confirme sa place d'écrivaine la plus tendre du paysage littéraire français d'aujourd'hui.










27 décembre







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