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Dans le
matin encore sombre, je suis dans une
chambre, seul, imaginant des ombres, me figurant des ombres. Je ne suis pas réel
et parfois je
ne doute plus de cela, fidèle une fois à
notre fluidité. Désormais, quand je regarde la
pluie, je ne vois pas la pluie, je
n'y vois plus qu'une grande douceur. Je me demande aussi comment retrouver
la lumière de Lisbonne l'été.
Je sais qu'aller à Lisbonne l'été n'y suffirait pas et qu'il est bien
impossible de retrouver la lumière
de Lisbonne l'été. Ce serait comme vouloir retrouver l'enfance alors
que l'enfance n'existe pas davantage que n'existe la lumière de
Lisbonne
l'été. Pourrais-je alors retrouver la lumière de Lisbonne cet
été-là ?
Ce n'est pas davantage possible car je ne suis plus, si je l'ai jamais
été, celui qui, à Lisbonne nageait dans la lumière comme on nage dans
le souvenir. Le passé est toujours une métaphore.
Ce
matin, comme tous les matins ou presque, j'écris devant
ce que l'on nomme ordinairement un paysage. Je relève la tête souvent.
Par facilité,
je pourrais écrire que le paysage change, ne serait-ce que parce que la
lumière change à mesure que j'écris. Mais, moi aussi, je change. Est-il
possible de
distinguer, de décider que le paysage change indépendamment de moi et
qu'il changerait de la même façon si je ne relevais pas la tête ?
C'est entièrement indécidable, tout autant que d'être certain qu'il
s'agit bien d'un
paysage, tout autant que d'être certain du sens même du terme
« paysage ».
Je cesse alors d'écrire et je regarde par la fenêtre qui
offre le cadre de cette divagation scripturale. La lumière ne change
plus.
Je voudrais penser tout cela, mais, il
est
manifestement faux que je suis philosophe. |