Diégèse




mercredi 6 février 2019



2019
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L'Amour de la République 37



Noëmie Diégèse














Après ce premier séjour à Téhéran, je prends la route de Qom, que je dépasse sans m'arrêter, pour me rendre à Kashan, qu'il faudrait peut-être orthographier en français Kachan. Si un jour le tourisme de masse se développe en Iran, Kashan sera sans doute l'une des destinations les plus prisées de l'ancien empire Perse. Elle est déjà indiquée comme une étape à ne pas manquer lors d'un voyage en Iran.
Pour autant, je ne suis pas là pour faire du tourisme, admirer jardins et palais recouverts de céramiques, ni même pour acheter ce qui est devenu une des spécialités de la ville : l'eau de rose.
Je suis descendue dans un hôtel de bonne catégorie aménagé dans une maison ancienne. Les grenadiers de la cour, les bassins, les grandes portes surmontées de vitraux colorés... Tout  invite à la rêverie. Il suffirait de renter dans cet hôtel qui n'est pas un palace et qui laisse justement entrevoir la sophistication ancestrale du mode de vie iranien, pays d'architecture, de tapis, d'ornements et de douceur de vivre.
Je ne m'attarde pas, cependant, à visiter les palais et les jardins et je me rends à l'université où j'ai rendez-vous avec une étudiante du département d'anglais de l'université de Kashan. Nous nous installons sur un banc dans le jardin de l'université, voilées toutes les deux, évidemment. Mais nous sommes aussi bien couvertes, car la ville est à plus de 900 mètres d'altitude et il ne fait pas chaud du tout.

« En occident, vous avez réduit les femmes iraniennes à un morceau de tissu qu'elles doivent porter sur la tête. Vos médias consacrent de très nombreux articles à ces foulards, leur taille et la manière plus ou moins stricte de les porter. Il faut bien comprendre que c'est vous qui faites une fixation sur le foulard, principalement parce que vous êtes aux prises avec les burqa salafistes. Mais, nous ne sommes pas salafistes et surtout pas arabes. Le foulard que je porte sur la tête, je n'y pense pas. C'est pour moi un élément culturel de mon vêtement, comme mes chaussures ou ma veste. Il faut bien comprendre que stigmatiser en permanence le voile des femmes iraniennes, c'est gommer le combat des femmes pour une plus grande équité entre les hommes et les femmes dans la société iranienne. Cette équité ne passe pas plus par l'abolition du foulard que, pour les hommes, la suppression de la circoncision. Et si le problème n'était pas là ? Par exemple, il faudrait s'intéresser au nombre de femmes dans les instances de gouvernance des universités iraniennes. Depuis 1989, le nombre de femmes dans l'enseignement supérieur iranien n'a cessé de croître. C'est Rafsandjani, à la mort de Khomeini, mais c'est sous la présidence de Khatami que l'éducation des filles, depuis l'école élémentaire jusqu'au doctorat, s'est vraiment développée. Certes, il y a eu des années plus sombres que d'autres. La société mâle iranienne prenait peur des femmes savantes. Ce n'est pas vraiment réservé à l'Iran... Les femmes savantes font peur aux mâles partout dans le monde, même en France ou aux États-Unis. Mais, l'important, et ce que je voudrais que vous reteniez, c'est que nous ne sommes pas qu'un foulard. De la même façon, nous ne sommes pas qu'une sexualité qui serait par conséquent brimée. Il y a d'autres voies d'épanouissement que celles que vous nommez la libération sexuelle et dont on n'a pas vu, ces cinquante dernières années, qu'elle ait apporté un bonheur parfait aux femmes occidentales. Il faut que l'occident cesse de s'inquiéter pour la sexualité des femmes iraniennes. Nous nous en arrangeons très bien sans lui. »

Le visage de la jeune femme rosissait au fur et à mesure de notre entretien, non parce qu'elle parlait de sexualité, mais parce que son esprit s'échauffait à l'idée que la presse occidentale ne cessait de la chosifier.









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4e de couverture






Si l'on s'intéresse à l'Iran, il faut d'abord se débarrasser de ses préjugés pour tenter de comprendre la culture millénaire du peuple perse à peine recouverte d'une teinte d'islam chiite. C'est à cette tâche complexe que Noëmie Diégèse s'attelle dans ce dernier ouvrage d'enquête : L'Amour de la République. Car il s'agit bien sûr d'aimer la République islamique d'Iran, celle qui a renversé le régime mégalomane du Shah dans les années 1980. Il est vrai qu'on l'aurait presque oublié : le régime iranien est une république, dont les fondations ne sont pas sans lien avec la République française. On peut ainsi lutter en Iran contre le régime actuel tout en défendant la République islamique.
Noëmie Diégèse s'est rendue en Iran pour recueillir le témoignage de femmes qui bravent le gouvernement conservateur iranien depuis la fin de l'année 2017 en enlevant leur voile. Les témoignages qu'elle recueille sont concordants : il s'agit bien d'un mouvement républicain révolutionnaire et islamique qui veut retrouver la pureté de la révolution islamique chiite dévoyée par un cléricalisme obtus et corrompu. Il ne s'agit pas de l'expression d'une volonté d'occidentalisation ou de laïcisation de la société. Le penser ainsi serait un contresens.
Cette plongée au cœur de la société féminine des villes iraniennes est passionnante. Noëmie Diégèse a le talent de faire parler. Elle ne trahit jamais celles qui se sont confiées à elle. On sort de cette lecture ébranlés. Un autre Iran que celui des chaînes d'information apparaît.










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