J'appelle désormais « crise de télévision » les moments où je vois des images sur l'écran alors que le poste est éteint, soit parce que je ne l'ai pas encore allumé, soit parce que je viens de l'éteindre. Ces crises surviennent sans que je puisse les prévoir ni les prévenir. J'ai noté précisément les moments où elles sont arrivées en indiquant la date, l'heure, l'émission que j'avais vue avant ou celle que je m'apprêtais à voir. Ces crises ne surviennent qu'avec la télévision. Cela ne s'est jamais produit avec l'écran de l'ordinateur, ni avec celui du téléphone.
Je ne sais pas encore très bien dire quelles sont les images que je vois sur le poste. Parfois, je crois reconnaître des collègues du bureau, mais quand j'essaye de vérifier que ce sont bien eux, en m'approchant du poste, ils sortent de l'écran et n'y reviennent pas jusqu'à ce que la crise se termine.
Je crois aussi reconnaître des lieux particuliers. Une fois, seulement, j'ai clairement vu une pièce et cette pièce était la cafétéria de la boîte, avec ses stores à moitié baissés, sa machine à café criarde et le distributeur de friandises sur lequel est apposée une étiquette portant des avertissements relatifs aux risques encourus pour la santé de grignoter entre les repas. L'étiquette a été collée un peu de travers. Cette étiquette collée un peu de travers m'a longtemps énervé et contrarié. Non que j'avais particulièrement envie de grignoter entre les repas e que je craignais pour ma santé ou que je culpabilisais de ne pas le faire, mais parce je considérais que le fait qu'elle soit collée de travers contrariait le message qu'elle portait. Le message d'avertissement s'en trouvait dégradé sinon contredit. Je ne sais pas bien pourquoi.
Le fait est que c'est bien cette machine que je voyais sur le poste de télévision, avec son étiquette collée de travers, trop petite pour que je puisse en lire les avertissements convenus. Surtout que ces avertissements sont tout aussi paradoxaux que convenus. C'est un peu comme si sur une pompe à essence on écrivait : « attention de ne pas augmenter votre empreinte-carbone, pensez au climat. » Ce serait parfaitement hypocrite. Cette étiquette collée de guingois sur cette machine rendait hypocrite tous les avertissements de santé publique. On peut même penser que l'inefficacité notoire des campagnes de santé publique provenait du léger biais de cette étiquette précise sur cette machine distribuant du sucre et des graisses dans du papier coloré.
Qu'arrive-t-il à George, dont tous les collègues louent en permanence le calme et la détermination ? Rien en apparence. Tout va comme d'habitude et pourtant, au jour le jour, ce même George livre à un carnet intime ce qui ressemble bien à un lent effritement intérieur.
On supposera que ce n'est que de la lassitude, que ce n'est pas si grave, que ce n'est pas de l'ennui...
Au début, ce n'est presque rien, comme dans la chanson de Barbara Le Mal de vivre, « ça vient de loin. » Mais peu à peu, les troubles s'intensifient.
Peu à peu, George comprend son état, en mesure les risques... Il cerne cette débile douleur qui oblige.
Alors, se persuadant qu'il faut essayer encore une fois, George entame un parcours inattendu que le dernier roman de Mathieu Diégèse nous livre avec minutie et patience, et beaucoup de sensibilité. Peut-être y a-t-il des George dans votre entourage ?