Diégèse | |||||||||
mardi 12 février 2019 | 2019 | ||||||||
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La Ville remue | 43 | ||||||||
Gustav Diégèse | |||||||||
Marie
G. 29 ans et 2 mois au moment des faits Fait : Attentat à Paris dans le RER B à la station Saint-Michel Date et heure : mardi 25 juillet 1995 - 17h environ « J'étais assise à
une terrasse
d'un café place du Châtelet.
Les terrasses étaient pleines de monde. Il faisait très chaud. Les
médias parlaient d'une vague de chaleur sur la France avec des pics
dépassant à Paris les 35 degrés. Dans mon souvenir, il faisait
encore
plus de 30 degrés en cette fin d'après-midi. Je venais sortir du
travail. Nos bureaux n'étaient pas climatisés, alors on nous laissait
sortir plus tôt. Il faut dire qu'ils étaient sous les toits et que
l'isolation n'était absolument pas efficace. C'était pour moi très
inhabituel d'être à la terrasse d'un café à 17h. Je finis plus tard
d'habitude. C'est peut-être pour cela que tout me semblait un peu
étrange. Il y avait cette vague de chaleur, cette terrasse où se
mêlaient employés libérés par leur entreprise ou leur administration et
touristes accablés de devoir faire les touristes par une chaleur
pareille. Il faut dire que cette année 1995 à Paris avait été une
année
de météo excessive. La Seine, au début de l'année, avait quitté son lit
et inondé les voies sur berge, rendant le RER C impraticable sur
le
tronçon qui longe le fleuve sur les voies qui menaient auparavant à la
gare d'Orsay transformée en musée avant de rejoindre la gare
d'Austerlitz et de repartir vers le sud. Déjà, nous nous étions
échappés pour aller voir les crues avant que la nuit tombe. Et encore,
nous ne savions en
juillet 1995 rien de la neige qui recouvrirait la capitale en
novembre
de la même année pendant les grandes grèves.
Alors, j'étais assise à la terrasse de ce café, avec ce sentiment d'étrangeté qui devenait à chaque minute un peu plus bizarre, un peu plus angoissant. Et c'est alors que je l'ai vu, lui, le premier. Il s'agissait d'un homme d'une cinquantaine d'années - ce qui me paraissait très vieux à l'époque - qui marchait rapidement, mais qui ne semblait pas pressé. Je sais que cela peut sembler paradoxal. Pourtant, c'est ce qui m'a frappée. Il n'y avait rien dans sa mise qui pouvait indiquer qu'il venait d'échapper à une explosion meurtrière ou qu'il venait d'assister impuissant à cette explosion. Mais, il marchait vite comme un automate que rien ne pourrait arrêter. Je l'ai suivi des yeux autant que je pouvais. J'étais pétrifiée. Je n'ai pas pensé à le signaler à mes collègues de travail attablés avec moi pour qu'ils me confirment la faille de l'espace-temps qui venait de se révéler. Il n'était que le premier d'une cohorte qui n'a pas tardé, ensuite, à déferler sur nous. » Cette anamnèse provoque une forte émotion chez Marie G. qui doit marquer une pause avant de continuer. J'ai devant moi une femme d'un peu plus cinquante ans. Je regarde son visage me demandant s'il porte trace de cette vision de ce mois de juillet 1995, il y a désormais plus de vingt ans. |
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page 43 | |||||||||
Toute la collection | 4e de couverture | ||||||||
Gustav
Diégèse est allé à la rencontre de celles et de ceux qui, à travers la
France, ont senti qu'il se passait quelque chose de grave qui affectait
leur ville avant même d'en avoir été prévenu.e.s par les médias. On est
chez soi, à l'hôpital, dans la rue, au supermarché, et soudain, on le
sait, il se passe quelque chose. Attentat, accident, incendie... Le
phénomène est déjà décrit par le narrateur du Temps retrouvé de
Marcel Proust, qui évoque les grandes offensives sur le front de la
première guerre mondiale, décrivant Paris qui bruisse avant même que
les journaux n'en donnent la nouvelle. Certes, il est désormais
beaucoup plus difficile de sentir cette forme de
« murmuration » de la ville, pour utiliser cet anglicisme qui
décrit les vols coordonnés des oiseaux, et notamment des étourneaux.
Les alertes des médias sur les téléphones mobiles modifient ce
phénomène subtile. C'est justement cela que Gustav Diégèse, enquêteur
inlassable des sentiments et des émotions, est allé traquer. Peut-être qu'après avoir lu ce livre, vous pourrez percevoir, vous aussi, les émotions des villes, grands corps charnels et sensibles. |
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12 février | |||||||||
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