Diégèse | |||||||||
mardi 19 février 2019 | 2019 | ||||||||
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Dialoguer avec le souvenir | 50 | ||||||||
Mathieu Diégèse | |||||||||
Le
cas de Madame M. Madame M. m'est envoyée en consultation par une consœur généraliste. Elle ne se sent pas déprimée et ne présente pas de symptôme particulier si ce n'est celui qu'elle résume par : « je ne vois plus rien. » Il n'est pas ici question d'ophtalmologie et la vision de Madame M., bien que corrigée par des lentilles, est excellente. Madame M. a 42 ans. Elle est divorcée depuis 5 ans et n'a pas d'enfant. Madame
M. : « je ne vois plus rien. Dans la vie de tous les jours,
quand il s'agit des trajets quotidiens pour aller au travail et en
revenir, pour aller faire des courses dans le quartier, cela ne me gêne
pas vraiment. Vous savez, un peu comme les acouphènes que l'on n'entend
vraiment que si l'on y pense. Je n'y pense pas, donc, ça ne me gêne
pas. Cela ne veut pas dire que ce n'est pas présent, mais ça ne me gêne
pas, ou pas beaucoup. Le pire, c'est pendant les vacances, au point que
je n'ose plus sortir de chez moi, ni, surtout, partir à la campagne, à
la montagne, à la mer, en France et à l'étranger. Au début, je suis
partie une fois en Italie. J'avais lu quelque part que les symptômes de
ce genre disparaissent parfois quand on passe la frontière. Mais, ça
n'a rien changé. Au contraire. Je ne voyais rien. Vraiment rien. Je
sais que je ne suis pas claire, mais je n'arrive pas à dire autre
chose que cela. Je ne vois rien. Je vais essayer de m'expliquer. À la
montagne, souvent, il y a des belvédères qui sont signalés parce qu'ils
offrent un point de vue remarquable sur le paysage. Ce sont des buts de
promenade très prisés. Si je vais sur un belvédère et que je regarde le
paysage, moi, je ne vois rien. Non seulement, je ne vois rien
d'intéressant, mais je ne vois rien du tout. Cela me fait penser à un
tiroir de la cuisine. Imaginez que je cherche une clé que j'ai égarée.
J'ouvre le tiroir. Je vois des cuillères, des fourchettes, des couteaux
et d'autres ustensiles, mais pas de clé. Je referme alors le tiroir et,
malgré tout ce que j'ai vu dans le tiroir, je peux me dire : je ne
vois
rien. Et bien c'est pareil avec les paysages. Je vois les arbres, la
montagne, les escarpements, la vallée en bas, le ciel et ses nuages, et
tout un tas de détails pittoresques. Mais, il n'y a pas la clé. Mais,
contrairement à l'histoire du tiroir de la cuisine, quand je regarde un
paysage, je ne cherche pas
de clé. Je n'ai pas l'impression que je cherche quelque chose. Je n'ai
même pas l'impression que quelque chose me manque. »
Je reçois deux fois par semaine Madame M. et lui prescris aussi un antidépresseur. Il me semble en effet que son trouble peut venir de la dépression ou bien venir aggraver une dépression. Après plusieurs mois, elle parvient à préciser son symptôme qui, cependant, demeure. Madame M. : « je ne vois plus rien, mais, je regarde. Je regarde même intensément, fixement, au point de pouvoir faire peur, au point de me faire peur. Mon problème n'est pas celui de mon regard. Mon problème n'est pas dans le voir non plus. Ce qui se passe, c'est que ce que je vois ne me dit rien. » |
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page 50 | |||||||||
Toute la collection | 4e de couverture | ||||||||
Qu'est-ce que le
souvenir ? La question est simple en apparence, et la réponse
complexe. En
effet, le souvenir n'est pas la mémoire, avec qui on le confond
parfois. On peut d'ailleurs imaginer quelqu'un avec beaucoup de mémoire
et sans souvenirs. Car, les souvenirs sont ce qui construit, jour après
jour, notre identité. Nous sommes nos souvenirs. Et Freud a montré que
nous sommes aussi nos souvenirs inconscients. La mémoire est la
capacité que nous avons de les rappeler. Dans son dernier ouvrage Dialoguer avec les souvenirs, Mathieu Diégèse, neurologue et psychiatre, montre que, non seulement le souvenir est un récit, ce qui avait déjà été décrit, mais qu'il est aussi un dialogue. On n'a pas de souvenir sans autrui. Cet autrui peut être imaginaire. Il peut aussi être dédoublement de soi. Mais il y a toujours supposition de l'autre. Le souvenir est ainsi un récit dialogué, c'est un scénario. Les nouvelles pratiques du souvenir chez les touristes, et notamment celle du selfie ne disent pas autre chose. Le monde devient décor d'un film dont je suis, en gros plan, le personnage principal. On aimerait lire plus souvent des ouvrages savants aussi drôles et sympathiques. Mathieu Diégèse nous emmène comblés dans les méandres du souvenir et son livre se lit comme un roman. Un roman dont on est, bien malgré soi, le personnage principal. |
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19 février | |||||||||
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