Diégèse




mardi 26 février 2019



2019
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Que leurs Mains 57



Noëmie Diégèse














Gavroche sans corps

De toute la littérature française, il n'y a pas jeune insurgé plus célèbre que le Gavroche de Victor Hugo tel qu'il est campé dans Les Misérables. Gavroche apparaît dans le livre premier de la troisième partie intitulée Marius, au chapitre treize. Depuis longtemps, ce moineau de Paris s'est envolé des pages des Misérables, comme il s'était envolé de la masure de ses parents que l'on qualifierait dans le jargon d'aujourd'hui de « maltraitants. » Comme l'écrit Hugo, ses relations avec ceux qu lui servent de parents sont aussi froides que l'âtre de la masure où ils logent et où ne brûle aucun feu. « Qu'est-ce que tu viens faire ici ? » lui demande ainsi sa mère quand, écourtant sa visite, il retourne dans la rue.

La mort de Gavroche sur une barricade est un des textes les plus célèbres de la littérature française. Il hante depuis sa publication toutes les manifestations auxquelles participe la jeunesse. Bien sûr, Gavroche, depuis a grandi, car, on n'imagine pas aujourd'hui qu'un enfant encore non pubère puisse être ainsi livré à lui-même dans la grande ville et se faire tuer, ou même seulement estropié sur une barricade.


Si l'on relit le texte de Hugo, et notamment celui du chapitre quinze du premier livre du cinquième tome intitulé Gavroche dehors, il est frappant de constater que Gavroche, qui va mourir dans le ruisseau, n'a pourtant pas de corps. Dans tout le texte, le jeune garçon est mouvement et parole. Il n'est que mouvement et parole. Ses mouvements ne sont d'ailleurs presque pas humains. Est-ce parce qu'il a pris l'habitude, dans son gîte au creux de la statut d'éléphant de la place de la Bastille, de dormir sous des couvertures qu'il a chapardé aux animaux du Jardin des Plantes ? Toujours est-il qu'il « rampe », « galope », « se tord », « ondule », « serpente... » Quand la fumée de la fusillade s'estompe et qu'ainsi son corps pourrait devenir visible, c'est son chant, fameux, qui le dissimule : Joie est mon caractère / C'est la faute à Voltaire / Misère est mon trousseau / C'est la faute à Rousseau. Car, et c'est ainsi que Victor Hugo conclura cet épisode qui depuis plus d'un siècle tire des larmes à ses lecteurs, Gavroche est d'abord une âme, et une âme n'a pas de corps : « Cette petite grande âme venait de s'envoler. » Et si l'on admet pour le plaisir de la démonstration, que les âmes sont immortelles, celle de Gavroche ne cesse de hanter toutes les manifestations parisiennes, et bien au-delà de Paris, depuis ce temps et sans doute encore pour longtemps.

Pas de corps ? Certes, mais un visage : « il resta assis sur son séant, un long filet de sang rayait son visage, il éleva les deux bras en l'air, regarda du côté d'où était venu le coup, et se mit à chanter. » Un visage... ensanglanté.









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4e de couverture






Noëmie Diégèse raconte que l'idée de son dernier livre intitulé Que leurs Mains, lui est venue en assistant impuissante à une charge de la police contre une manifestation étudiante. Contre les matraques, les gaz et les boucliers, les étudiantes et les étudiants n'avaient que leurs mains.
Elle s'est dès lors intéressée, à la fois d'un point de vue historique mais aussi anthropologique, aux révoltes des jeunes à travers le temps, à la manière dont elles sont relatées, et aussi à l'impact, avec le recul, qu'elles ont pu avoir sur leur siècle. On se remémore bien sûr les pages de Zola et surtout de Hugo, ou encore de Jules Vallès et même de Charles Péguy ; puis, plus tard, mai 1968 et aussi les manifestations en France contre la loi Devaquet.
Noëmie Diégèse, à travers toutes ces situations très différentes a pu trouver quelques constantes dont elle nous livre l'hypothèse... et c'est passionnant. Elle pose ainsi comme axiome que ce qui est d'abord en jeu dans ces révoltes, c'est le corps et le corps à corps. La jeunesse, ce serait cela, et la révolte des jeunes, ce serait d'abord la révolte de leur corps.
Bien sûr, l'auteure n'est pas triviale au point de laisser penser que les revendications ne valent pour rien, ni même, et au contraire, que les jeunes sont décervelés. Sa thèse est plus subtile, et, à vrai dire, particulièrement convaincante.










26 février






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