Diégèse




lundi 8 juillet 2019



2019
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Un Rite est né 189



Noëmie Diégèse














Le développement de la consommation est intimement lié à sa ritualisation.

Nous avons conduit pendant toute l'année 2016 une étude massive dans dix magasins d'une enseigne de grande distribution. Les magasins étaient de tailles différentes, du supermarché de proximité à l'hypermarché à l'écart de l'agglomération. L'enquête a été réalisée en dotant avec leur accord la carte de fidélité des client.e.s d'un système électronique permettant de retracer leurs déplacements au sein du magasin, puis de rapprocher ces déplacements de leurs achats après leur passage en caisse. L'analyse des données ainsi collectées montre que plus le magasin est grand, plus la clientèle effectue à chaque visite le même parcours. Dans un petit supermarché, les déplacements sont, d'une part, plus contraints, avec, pour les plus petits d'entre eux, un parcours obligé qui part de l'entrée pour aboutir à la caisse ; d'autre part, les arrêts devant les rayons sont des arrêts d'hésitation entre plusieurs produits équivalents, se terminant dans la grande majorité des cas par le choix d'un de ces produits. Dans les hypermarchés, il en va tout autrement. 80% des clientes et des clients effectuent à chaque visite le même déplacement. 70% de ces 80% passent beaucoup de temps dans un rayon où ils n'achètent rien, renouant ainsi avec la pratique du « lèche vitrine ». Ce lèche-vitrine est évidemment « genré » et c'est, par exemple, une majorité d'hommes que l'on trouve en train de comparer les différentes propriétés des liquides lave-glace. Cela est sans surprise.

Les stratégies commerciales des enseignes vont donc tenter de dérouter la clientèle pour lui faire varier ses parcours. La définition d'un parcours « obligé » comme dans les magasin d'une enseigne suédoise de meubles à monter soi-même a été abandonnée, car dissuasive pour la plupart des consommateurs qui ont l'impression « d'y passer trop de temps ». Et c'est cela le paradoxe. Le consommateur et la consommatrice de la grande distribution déclare vouloir passer le moins de temps possible dans le magasin tout en traînant dans des rayons où il ou elle n'achèteront rien ou de manière très occasionnelle.

Que se joue-t-il donc là, d'un point de vue anthropologique ? Observons les enfants. Ils vont négocier le passage par le rayon des jouets, qui se trouvera immanquablement proche de celui des fournitures scolaires. Le plus souvent, les parents cèdent en prononçant la phrase magique : « je te préviens, on n'achète rien ! » Cette dernière phrase est parfois vite oubliée et le refus parental se solde alors par des cris et des pleurs. Pour autant, chaque semaine, l'enfant n'est jamais certain que « l'on achètera rien » et ce désir articulé avec une frustration probable mais non certaine entretient le désir. C'est cette séquence fétichiste que l'adulte reproduit plus tard dans le magasin dans d'autres rayons que celui des jouets, mais qui demeurent, fantasmatiquement, des rayons de jouets. L'enjeu commercial sera donc de placer ces rayons équivalents aux chapelles propitiatoires des églises à l'entrée des magasins, de placer les rayons alimentaires au centre, comme le sont dans l'église l'autel et le Saint-Sacrement, puis de placer tout autour les produits dérivés constitués par tout ce qui n'est pas comestible, et qui est donc secondaire dans l'ordre de la motivation de consommation. Cette stratégie a cependant une limite : si l'ensemble du magasin était fétichisé, on n'y achèterait plus rien.









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4e de couverture






Le terme « rite » semble venir d'un autre temps. Pourtant, à mieux y regarder, la société contemporaine ne cesse d'inventer de nouveaux rites qui semblent librement suivis par des peuples entiers. Le sport-spectacle est l'un des fournisseurs parmi les plus prolifiques de ces nouveaux rites.
« Rite » évoque la tradition et, surtout, la religion. On se souvient que Karl Marx affirmait :
« la religion est le soupir de la créature opprimée, l'âme d'un monde sans cœur, comme elle est l'esprit de conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple. »
Et si ce n'était pas la religion, l'opium, mais seulement le rite ?
C'est la thèse de Noëmie Diégèse dans cet essai nerveux où elle met en évidence et analyse les rites jetables inventés par la société de consommation. Du sport aux vacances en passant par les « start-up », l'auteur décrit avec acuité une société livrée à la ritualité. C'est d'ailleurs pour cela que les religions traditionnelles reviennent sur le devant de la scène, pour ce en quoi elles fournissent en rites bien rodés les fidèles de la télé-réalité.
Noëmie Diégèse nous livre la nouvelle « société du spectacle ». Guy Debord ne l'aurait pas reniée.










8 juillet







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