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Qui sera le ministre de l'intérieur ? Un nom s'impose très vite : celui
de Maurice Papon. De 1951 à 1954, il a été Secrétaire général de la
Préfecture de police, puis, Secrétaire général du Protectorat au Maroc,
puis une sorte de préfet régional dans l'est de l'Algérie. Mais,
surtout, il est le Préfet de police depuis mars 1958. Le général Massu
n'aime pas particulièrement Maurice Papon. « C'est un caméléon ! »
aurait-il dit un jour à l'un de ses collaborateurs qui évoquait son
action en Algérie. Pour Massu, en effet, Papon a trop fraternisé avec
les Musulmans de Constantine. C'est lui qui a permis que le maire de
la ville soit musulman. C'est lui aussi qui y a créé la cour d'appel
et pris un musulman pour sous-préfet, le premier de l'histoire française. « Vous le mettez dans un
kibboutz, il devient juif. Nous allons prendre le pouvoir et il sera
avec nous. Et vous verrez qu'il réussira à apparaître comme un
modéré. » Les historiens démontreront en effet que Maurice Papon pouvait
côtoyer les pires atrocités et même y être mêlé, voire en être l'un des
acteurs, sans que cela parût en aucune façon l'affecter. Mais, ce qui affecte vraiment les hommes est de l'ordre du mystère.
Et,
en effet, Maurice Papon est nommé ministre de l'intérieur. Il lui
suffit de traverser la Seine, depuis le Quai des Orfèvres, pour la
place Beauvau. Il aurait aimé changé la localisation du ministère, car,
il se trouve un peu loin du pouvoir. Massu s'est en
effet installé au Sénat pour pouvoir faire camper la troupe dans le
jardin du Luxembourg, qui est devenu une gigantesque caserne. Massu a
fait fermer tout le quartier de l'Odéon, depuis le Carrefour de
l'Odéon, à l'arrière du Boulevard Saint-Germain, jusqu'à la Place
Edmond-Rostand sur le Boulevard Saint-Michel. La Rue de Condé, la rue
Monsieur le Prince et, bien sûr, la rue de l'Odéon, sont fermées à la
circulation. Le théâtre de l'Odéon, alors sous la coupe de la Comédie
française, est réquisitionné et transformé en tribunal d'exception. On
y
juge en permanence celles et ceux que l'on nomme « les terroristes
algériens ». Quelques photographies montreront plus tard des files
de
travailleurs immigrés attendant sur le parvis, déposés par des autocars
Chausson arrivant de la banlieue parisienne, notamment du bidonville de
Nanterre, des Grésillons à Gennevilliers, d'Argenteuil, mais aussi de
partout en France. Puis, les mêmes, attendant les mêmes autocars qui
les conduisaient dans le camp de Pithiviers, qu'on avait réhabilité à
la va-vite pour l'occasion. Les habitants ont l'interdiction de faire
des
photographies par arrêté du gouvernement provisoire. Beaucoup d'entre
eux, d'ailleurs, ont été invités assez fermement à quitter le
quartier. « Trop d'écrivains, trop de libraires, trop
d'intellectuels ! » aurait dit le Préfet de police qui a
succédé à
Maurice Papon. « Ces gens-là n'ont jamais apporté à la France que
la
défaite et le déshonneur. Pour se battre et vaincre, il ne faut jamais
trop en savoir. » aurait-il ajouté. C'est sans doute pourquoi,
dès son arrivée, le Gouvernement provisoire avait décidé de renforcer
la censure, autant sur la presse et les imprimés que sur les livres et
le cinéma. Cela a bien sûr suscité de très nombreuses publications
clandestines. La Résistance n'était pas si lointaine qu'on ait perdu
les bonnes habitudes. Les ouvriers du Livre se firent le malin plaisir
de déjouer les oukases du « GP », comme on appelait le
Gouvernement provisoire dans les cellules,
de la même façon qu'on appelait Massu « Marteau » pour ne pas se faire
repérer dans
les cafés par les indicateurs, le plus souvent d'anciens collaborateurs
planqués qui avaient repris du service.
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