Diégèse




jeudi 27 juin 2019



2019
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De ce regret, je n'ai rien dit 178



Mathieu Diégèse














Nous nous rencontrons dans une brasserie parisienne confortable du Carreau du Temple où elle semble avoir ses habitudes*. Elle se souvient avoir fêté avec son cabinet ses quarante ans. C'était en 2013. C'était il y a longtemps. Depuis, beaucoup de choses se sont passées pour la jeune femme, dont la presse a fait la chronique, et qui n'entrent pas dans l'objet de cet entretien.

Très vite, après avoir commandé des rafraîchissements, je lui pose la question : « qu'est-ce que vous regrettez ? » Elle pousse un grand soupir en regardant brièvement le plafond, puis me regarde dans les yeux : « je regrette de ne pas avoir démissionné. Ou plutôt, je regrette de ne pas avoir démissionné plus tôt. » Elle l'a fait, pourtant, en août 2014, et de manière spectaculaire : « je choisis pour ma part la loyauté à mes idéaux » a-t-elle écrit au Président de la République en le faisant savoir dans la presse.

« j'étais déjà présente dans la campagne de Ségolène Royal. J'avais été députée pendant toute la mandature de Nicolas Sarkozy. J'avais été en tête de file pendant toute la campagne de François Hollande. Ma nomination comme ministre n'était pas une surprise. Elle était annoncée et parfois même attendue par les acteurs. Certes, au moment de la formation du gouvernement, il y a toujours ce moment d'incertitude. Mais, pour moi, il avait alors été très bref. Je serai ministre, c'était entendu. Nous sommes arrivés dans l'euphorie du mois de mai. On faisait semblant de croire que l'on rejouait la liesse populaire du 10 mai 1981. L'attente était incroyable. Les premiers jours d'un ministre sont assez irréels. Je me rends compte à quel point ce pays est d'essence monarchique. Un ministère, c'est d'abord une petite cour dorée, qui est bien sûr une cage dorée. Il y a eu des moments inoubliables, par exemple, quand je suis allée à Marseille à l'ouverture d'un festival que j'avais présidé avant d'être ministre et que la salle m'a ovationnée. Bien sûr, il y en a toujours qui vous attendent à la sortie pour vous demander quelque chose ou vous expliquer quelque chose. Mais, la cour est là et ils sont pris en charge par le cabinet. L'été a passé. Les premiers signaux ont commencé à arriver dès le mois d'août. Parmi les choses qu'il faut changer dans ce pays, il y a le calendrier de la construction du budget de l'État. Bercy s'arrange pour faire cela au mois d'août, avec les seuls fonctionnaires qui restent dans les ministères au mois d'août et qui sont le plus souvent d'anciens agents de Bercy ou qui aimeraient aller à Bercy parce que l'on y est mieux payé. L'annonce nous a été faite les premiers jours de la rentrée : le budget allait baisser. C'était une grosse connerie. Certains ministères ne pèsent pas par leur budget. Le ministère de l'éducation nationale, par exemple, c'est d'abord un nombre de postes d'enseignants en plus ou en moins. Mais mon ministère, c'est un budget. C'est injuste, parce que ce n'est pas qu'un budget, mais un ministre qui voit son budget baisser est mort. C'est donc dès cette rentrée que j'aurais dû, sinon démissionner, mettre ma démission dans la balance. Les raisons pour lesquelles je ne l'ai pas fait ? Est-ce que je voulais jouir du pouvoir à peine accordé ? Considérais-je alors qu'une démission aurait été lâche ? Il y avait des gens autour de moi, que j'avais appelés, que j'avais nommés. J'aurais eu l'impression de les laisser tomber. Alors je suis restée, non sans me battre. »

    * Cet entretien est une fiction









page 178










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4e de couverture






Les livres publiés et même parfois écrits par les femmes et les hommes politiques qui ne sont plus au pouvoir sont très nombreux et connaissent plus ou moins de succès. Les livres collectifs sont plus rares. Mathieu Diégèse, observateur affuté de la vie politique française, est allé à la rencontre de toutes celles et de tous ceux, sans exception, qui ont exercé des fonctions ministérielles pendant le quinquennat 2012-2017. On y retrouve des figures connues. On se rend compte que certaines sont parfois presque totalement oubliées. Mais, l'originalité de ce livre d'entretiens sans concessions, est que ceux-ci ne portent pas sur l'action des gouvernements successifs, mais seulement sur la question du regret, et plus particulièrement, sur les regrets qui ont été tus. Ces personnalités que l'on a vues arrogantes ou défaites en deviennent soudain humaines, touchantes, et l'on se prend à penser que notre vie aurait été différente si elles, ils, n'avaient pas gardé secrets ces regrets. Bien sûr, on trouve dans ce livre, ciselé par l'écriture alerte de Mathieu Diégèse, quelques anecdotes qui font sourire, ou qui, parfois, terrifient. Mais là n'est pas le plus important. Il est rassurant de percevoir que nous sommes gouvernés par des êtres humains, et que l'on peut ainsi légitimement penser que les gouvernants actuels le sont aussi.










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