Diégèse




mercredi 6 mars 2019



2019
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Nous n'avons rien fait 65



Noëmie Diégèse














Dans L'Œuvre, Émile Zola fait d'un peintre son personnage principal. On sait que le roman s'intègre dans la saga d'une famille maudite par son hérédité : Les Rougon-Macquart. Le peintre de L'Œuvre, Claude Lantier est ainsi le fils aîné de Gervaise Macquart, blanchisseuse, la fameuse Gervaise de L'Assommoir.

On dit habituellement que pour imaginer le personnage de Claude Lantier, Zola s'est inspiré de son ami Cézanne. On a longtemps soutenu d'ailleurs que Cézanne s'était brouillé avec son ami d'enfance après la sortie de ce livre, à la fin duquel l'artiste se pend devant son chef d'œuvre impossible à terminer. La Société Paul Cézanne nous rappelle ainsi que jusqu'en 2010, au moins, des auteurs phares de Tel Quel vilipendent Zola, que ce soient Philippe Sollers ou Marcelin Pleynet. Il est vrai que la nouvelle critique abhorre l'écrivain naturaliste et que Roland Barthes ira jusqu'à affirmer dans son cours au Collège de France sur le roman, qui est surtout une rêverie autour de l'acte d'écrire, que Zola n'avait jamais écrit.


Que Zola ait écrit ou non, il nous importe surtout ici de nous arrêter sur la manière dont il campe son artiste, qui deviendra, avec d'autres venus de la littérature du XIXe siècle, l'un des archétypes de l'artiste maudit. Considérons ainsi le début du roman pour examiner ce que son auteur nous donne à voir de son personnage. Comme toujours avec Zola, ce qui frappe immédiatement le lecteur d'aujourd'hui, c'est que son écriture ressemble à la description d'un film qu'un spectateur ferait tout en le regardant. « Claude passait devant l'Hôtel-de-Ville », commence l'auteur. Qui est ce Claude ? Il en va des personnages des romans naturalistes comme avec les personnes que l'on rencontre dans la vie : la première impression peut souvent être la bonne et l'on saisira d'emblée le caractère, sinon la personnalité, de Claude Lantier dès les premières pages. Claude Lantier « s'était oublié à rôder dans les Halles, par cette nuit brûlante de juillet, en artiste flâneur, amoureux du Paris nocturne. » À quoi ressemble-t-il ? Il est dégingandé. Que fait-il ? Il court sous l'orage avant de s'arrêter brusquement parce qu'il trouve cela imbécile. De son apparence physique, dans ce premier chapitre, on n'en saura pas davantage mais on aura l'image d'un homme qui, en permanence, a des gestes brusques et contradictoires, pouvant s'oublier longtemps devant un bras nu pour ensuite, furieux, se cogner aux murs de son atelier en désordre.


Et peu à peu le personnage va se dessiner. Le chapitre II sera un chapitre biographique et c'est dès le chapitre III que la grande malédiction de la création artistique apparaît et ne lâchera plus le personnage jusqu'à son suicide :

« Le commencement de la semaine fut désastreux pour Claude. Il était tombé dans un de ces doutes qui lui faisaient exécrer la peinture, d’une exécration d’amant trahi, accablant l’infidèle d’insultes, torturé du besoin de l’adorer encore ; et, le jeudi, après trois horribles journées de lutte vaine et solitaire, il sortit dès huit heures du matin, il referma violemment sa porte, si écœuré de lui-même qu’il jurait de ne plus toucher un pinceau. Quand une de ces crises le détraquait, il n’avait qu’un remède : s’oublier, aller se prendre de querelle avec des camarades, marcher surtout, marcher au travers de Paris, jusqu’à ce que la chaleur et l’odeur de bataille des pavés lui eussent remis du cœur au ventre. »

On a souvent écrit que Zola avait fait de Cézanne un artiste raté et impuissant, délaissant la charmante Christine, qui l'aime, pour la peinture personnifiée en prostituée fanée, comme dans la dernière toile de Claude Lantier, qui lui sera fatale. Ce n'est pas certain. Allons à la fin du roman, aux obsèques du peintre, après son enterrement. Que disent ses amis qui l'ont accompagné dans ce cimetière trempé ? Leur dialogue est saisissant :

« — Il est bien heureux, dit Bongrand, il n’a pas de tableau en train, dans la terre où il dort… Autant partir que de s’acharner comme nous à faire des enfants infirmes, auxquels il manque toujours des morceaux, les jambes ou la tête, et qui ne vivent pas.
 — Oui, il faut vraiment manquer de fierté, se résigner à l’à peu près et tricher avec la vie… Moi qui pousse mes bouquins jusqu’au bout, je me méprise de les sentir incomplets et mensongers, malgré mon effort. »


Zola ne peut être plus clair, ce n'est pas Lantier, ni même Cézanne qui sont maudits, placés face à l'aporie de la création artistique, mais tous ceux qui ont cette folie de vouloir créer. Folie ? Dégoût ? Écoutons plutôt Cendrars :


« Écrire, ça n'est pas réellement vivre, ce n'est pas la vie du corps. On veut s'excuser en disant que c'est la vie de l'esprit, ce n'est pas la vie de l'esprit, la vie de l'esprit est la contemplation. C'est donc un vice, c'est une mauvaise habitude. C'est pourquoi ça me dégoûte, neuf fois sur dix. Je n'aime pas du tout écrire et je ne suis pas le seul parmi les écrivains. »









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4e de couverture






Les livres ne manquent pas qui décrivent et étudient la place de l'artiste dans la société. D'emblée, Noëmie Diégèse, historienne de l'art, tourne le dos à toute approche sociologique, arguant qu'un terme qui s'applique tout aussi bien à une star de cinéma de la côte ouest des États-Unis et à un aquarelliste de Montmartre ne saurait être un terme opérationnel, voire même un descripteur acceptable d'une quelconque réalité.
Alors, notre auteur s'attelle à un autre travail, qui se révèle beaucoup plus intéressant et instructif : traquer dans l'histoire de l'art même les représentations que l'art donne des artistes à travers le temps.
On ne dévoilera pas ici les découvertes succulentes que Noëmie Diégèse a faites pour nous, si ce n'est pour s'étonner avec elle de la relative stabilité de la représentation de l'artiste dans l'art. On imaginait bien que les images venues du dix-neuvième siècle d'un artiste mâle hirsute pauvre sinon famélique hantaient encore les imaginaires de nos contemporains. On imaginait moins que ces images puissent venir tout aussi bien de l'antiquité gréco-romaine.
On fermera ce livre avec dans la tête le célèbre refrain : j'aurais voulu être un artiste.
Pas si sûr.










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