- Pourquoi ?
- Il ne veut pas jouer la scène.
- Oui, mais pourquoi ?
- Il dit que ça lui rappelle une autre scène qu'il ne voulait pas jouer, qu'il a jouée quand même et qui ensuite a été coupée au montage.
- Et alors ?
- Il dit qu'il ne va pas jouer une scène qui va être coupée au montage.
- Mais, cette scène ne va pas être coupée au montage. C'est un moment-clé. Si l'on coupe cette scène, les spectateurs n'y comprendront plus rien.
- Il dit qu'il n'en est pas sûr, qu'on lui a déjà fait le coup.
- Et ?
- Il veut un engagement contractuel que la scène ne va pas être coupée au montage.
- Je ne peux pas demander cela à la production. C'est le vingtième caprice qu'il fait sur ce film. On a déjà explosé les coûts. Il n'en est pas question. Il ne peut pas en être question. C'est impossible. Exactement impossible.
- Il accepte uniquement si on le voit de dos.
- De dos ?
- De dos.
- Mais, la production ne va pas payer ce qu'elle paye pour avoir un acteur de dos dans une scène-clé. Je propose qu'on enregistre sa voix et que l'on prenne un figurant. On lui retirera une demi-journée de travail.
- Il dit que son syndicat ne lui permet pas d'être doublé par un figurant dans une scène-clé d'un film.
- Mais, puisqu'il pense qu'elle va être coupée au montage ?
- Il dit qu'il ne peut pas en être certain et qu'il ne veut donc pas prendre ce risque.
Mais, rien ne va se passer comme prévu. Le réalisateur ne veut plus du scénario. Les stars veulent jouer uniquement de dos. La canicule fait fondre les câbles. L'électricité, mise à mal par les climatiseurs, vient à manquer.
C'est dans cette ambiance d'apocalypse cinématographique, entre fiction et réalité, que se noue, entre deux êtres que personne n'avait remarqué, une histoire d'amour, qui pourrait faire un film magnifique pour peu que l'on y prêtât attention.
Daniel Diégèse signe là un roman à tiroirs que l'on aimerait voir transposé au cinéma. Jamais les ruines d'Ansedonia n'auront été le théâtre d'échanges aussi mystérieux.