Diégèse




lundi 4 novembre 2019



2019
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Les abris des sans-abris 308



Daniel Diégèse




À l'opposé des constructions spontanées qui utilisent les rebuts de la société de consommation, se trouvent les programmes d'habitations destinées aux personnes sans logement, les programmes d'urgence. L'un de ceux-ci, devenu très célèbre, est celui conçu par l'ingénieur nancéien Jean Prouvé pour l'abbé Pierre en 1954 et connu sous la belle appellation de « Maison des jours meilleurs ». On sait que ce modèle qui fait aujourd'hui le bonheur des expositions d'art tout autant que d'architecture ne fut jamais homologué et, par voie de conséquence, jamais construit en série. Il fait aujourd'hui le bonheur des collectionneurs. Un peu plus de vingt ans auparavant, en 1933, le Président Albert Lebrun inaugurait à Paris dans le treizième arrondissement « La Cité de refuge » construite par Pierre Jeanneret et Le Corbusier, que les pouvoirs publics ne peuvent cependant s'enorgueillir d'avoir choisis, ceux-ci ayant été imposés par la mécène principale de l'opération : la Princesse de Polignac, née Singer, l'héritière des machines à coudre. Rien de commun semble-t-il entre le grand immeuble coloré du Corbusier et la maison de Prouvé, sans étage, posée sur un socle en béton, qui présente une façade plaquée bois aux angles arrondis. Et pourtant si. Les deux bâtiments partagent cette idée commune avec tous ou presque tous les bâtiments construits pour les pauvres, les démunis et les sans abris : leur caractère provisoire et démontable. Certes, ce provisoire peut durer et c'est d'ailleurs le cas pour « La Cité de refuge ». On se rappelle que par une forme de provocation médiatique, l'abbé Pierre avait voulu que la maison de Prouvé soit construite sur une des rives de la Seine près du pont Alexandre III. Il fallait donc bien sûr qu'elle fût démontable facilement et cela faisait partie de la démonstration. Plus proche de nous, en novembre 2018, on construit sur l'ancienne enceinte de Thiers dans le 12e arrondissement, un ensemble de logements préfabriqués qui ne devraient pas rester à cet emplacement plus de sept ans. Il faut dire que le site est « en attente de revalorisation paysagère ». Heureusement, cette revalorisation, qui attendait depuis Thiers, peut encore attendre sept ans.

Il y a donc une curieuse forme de redondance sociologique sinon anthropologique à vouloir construire du provisoire pour les précaires.

Est-ce que ces architectures portent en elles leur vocation de mobilité ? C'est assez indéfinissable, sauf chez le maître Prouvé chez qui la pièce maîtresse est le compas qui supporte la poutre principale de l'habitation. Aujourd'hui, ces compas évoquent pour nous des sculptures de Calder, mais aussi des jambes qui pourraient se mettre en mouvement pour emporter la maison plus loin, peut-être un peu plus loin encore de la misère.
À l'opposé des constructions spontanées qui utilisent les rebuts de la société de consommation, se trouvent les programmes d'habitations destinées aux personnes sans logement, les programmes d'urgence. L'un de ceux-ci, devenu très célèbre, est celui conçu par l'ingénieur nancéien Jean Prouvé pour l'abbé Pierre en 1954 et connu sous la belle appellation de « Maison des jours meilleurs ». On sait que ce modèle qui fait aujourd'hui le bonheur des expositions d'art tout autant que d'architecture ne fut jamais homologué et, par voie de conséquence, jamais construit en série. Il fait aujourd'hui le bonheur des collectionneurs. Un peu plus de vingt ans auparavant, en 1933, le Président Albert Lebrun inaugurait à Paris dans le treizième arrondissement « La Cité de refuge » construite par Pierre Jeanneret et Le Corbusier, que les pouvoirs publics ne peuvent cependant s'enorgueillir d'avoir choisis, ceux-ci ayant été imposés par la mécène principale de l'opération : la Princesse de Polignac, née Singer, l'héritière des machines à coudre. Rien de commun semble-t-il entre le grand immeuble coloré du Corbusier et la maison de Prouvé, sans étage, posée sur un socle en béton, qui présente une façade plaquée bois aux angles arrondis. Et pourtant si. Les deux bâtiments partagent cette idée commune avec tous ou presque tous les bâtiments construits pour les pauvres, les démunis et les sans abris : leur caractère provisoire et démontable. Certes, ce provisoire peut durer et c'est d'ailleurs le cas pour « La Cité de refuge ». On se rappelle que par une forme de provocation médiatique, l'abbé Pierre avait voulu que la maison de Prouvé soit construite sur une des rives de la Seine près du pont Alexandre III. Il fallait donc bien sûr qu'elle fût démontable facilement et cela faisait partie de la démonstration. Plus proche de nous, en novembre 2018, on construit sur l'ancienne enceinte de Thiers dans le 12e arrondissement, un ensemble de logements préfabriqués qui ne devraient pas rester à cet emplacement plus de sept ans. Il faut dire que le site est « en attente de revalorisation paysagère ». Heureusement, cette revalorisation, qui attendait depuis Thiers, peut encore attendre sept ans.

Il y a donc une curieuse forme de redondance sociologique sinon anthropologique à vouloir construire du provisoire pour les précaires.

Est-ce que ces architectures portent en elles leur vocation de mobilité ? C'est assez indéfinissable, sauf chez le maître Prouvé chez qui la pièce maîtresse est le compas qui supporte la poutre principale de l'habitation. Aujourd'hui, ces compas évoquent pour nous des sculptures de Calder, mais aussi des jambes qui pourraient se mettre en mouvement pour emporter la maison plus loin, peut-être un peu plus loin encore de la misère.










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4e de couverture






Daniel Diégèse est architecte et photographe. C'est ainsi. Il n'a jamais su choisir entre ses deux professions. Car, il n'est pas un photographe amateur, de même qu'il n'est pas amateur d'architecture. Son dernier ouvrage concilie de manière originale, et tout à la fois terrible, ses deux activités. Diégèse a sillonné le monde pour photographier les constructions précaires des sans-abris, parfois seulement quelques bouts de cartons, assemblés pour se protéger du froid, de la chaleur ou de probables incidents de la vie.
On est à la fois émerveillé de l'ingéniosité et des compétences qui sont déployées dans ces édifices de la pauvreté, comme on est terrifié par la permanence de la pauvreté tout autour de la planète. Chaque photographie est accompagnée d'un texte qui décrit l'abri comme on décrit un monument, avec précision et respect.
Voici un livre nécessaire, qu'on aimerait ne pas avoir à lire, ni à connaître, mais dont on ne peut se détacher dès lors qu'on l'a ouvert.










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