De retour à la maison, elle cherche des explications plausibles. Le mois précédent, elle avait mis cela sur le coup du surmenage, de la fatigue. Mais, maintenant, elle sait qu'elle n'est pas rentrée de vacances depuis plus d'une semaine et elle se sent parfaitement reposée. Certes, pour une raison qui lui échappe et qui va continuer de lui échapper, elle a souvent confondu depuis l'enfance les prénoms Jérôme et Christophe. Il s'agit sans doute d'un effet générationnel et d'un épisode bien enfoui de ses premières années scolaires.
Alors, tout à l'heure, quand elle a croisé Jérôme dans le couloir alors qu'elle accompagnait ce client jusqu'à la sortie, le prénom qui lui est instantanément venu était celui de Christophe. Une fois encore, elle s'en est sortie par une pirouette, mais ses capacités gymniques vont nécessairement s'épuiser rapidement. Cette fois-ci, d'ailleurs, cela n'a fait rire personne, ni Jérôme, ni le client, quand elle a abordé son collaborateur en lui parlant comme à un tout petit enfant pour lui dire : « dis au Monsieur comment tu t'appelles ! » Elle a bien remarqué que tout le monde était un peu gêné. Du coup, elle se demande si elle ne fait pas d'autres impairs et surtout, si elle n'oublie pas des éléments importants pour son travail. Dans sa position de manager, une part importante de ses fonctions consiste justement à se souvenir de tout un tas de choses qui, pour paraître secondaires, sinon sans importance, concourent à ce que les processus engagés s'accomplissent et à ce que les objectifs soient atteints. Soudain, elle imagine que tout le monde au bureau a remarqué ses pertes de mémoire et que ses collaborateurs en parlent, allant même jusqu'à guetter la prochaine manifestation de ces oublis récurrents. N'était-ce d'ailleurs pas de cela qu'ils parlaient la dernière fois qu'elle est entrée dans la cafétéria et qu'elle a eu l'impression que les conversations s'arrêtaient à son arrivée ?
Elle se reprend. Elle ne va pas conjuguer ces petits oublis avec de la « parano ».
Daniel Diégèse raconte avec talent l'histoire terrible, mais banale, de la maladie d'Alzheimer précoce. Marguerite, le personnage principal de ce roman, n'a pas plus d'une petite cinquantaine d'années. Elle est loin de la retraite et ses enfants sont encore étudiants. Elle est jolie et bien loin de penser à un EHPAD. Et pourtant...