Elle va prendre un café en bas, dans l'open-space récemment aménagé où l'on vend du café équitable servi par des personnes qui font trois heures de transport le matin et trois heures de transport le soir pour un salaire de misère. Au bar, il y a justement ce jeune syndicaliste qu'elle a déjà repéré pour ses talents oratoires et son sourire encore adolescent. Il n'est pas admis que les cadres supérieurs soient syndiqués, voire même qu'ils s'entretiennent de leurs problèmes de boulot avec les syndicats. Cependant, il remarque sa mine déconfite et c'est lui qui s'adresse à elle et lui demande ce qui se passe. Suzanne relève la tête. Les yeux de Daniel sont encore plus brillants que d'ordinaire et son sourire d'une franchise angélique. Alors, sans réfléchir davantage, Suzanne lui raconte son histoire, allant imprudemment jusqu'à lui révéler qu'elle sera demain à dix heures dans le bureau de « Nabu » qui lui signifiera, elle n'en doute pas, son licenciement. Daniel ne dit rien. Il a sorti un petit carnet à la couverture rouge et n'a cessé de noter depuis le commencement de la confession de la jeune femme. Ce n'est pas la première fois qu'on se plaint à lui de « Plic & Ploc ». Le patron ne jure que par eux et les actionnaires les portent aux nues lorsque dans les conventions ils dessinent à la mode américaine l'avenir radieux de leurs investissements. Il n'empêche qu'il les considère comme de vieux salopards. Il a déjà traité une plainte d'une assistante qui avait eu à souffrir de leurs avances explicites. L'affaire avait été étouffée par la « RH ». La jeune femme avait changé de service et touché la « prime du silence ». Si l'on pouvait accéder au fichier des primes exceptionnelles des cinq dernières années, on trouverait certainement les noms d'une dizaine de jeunes femmes, le plus souvent dans des positions hiérarchiques subalternes, et dont on verrait qu'elles ont brusquement changé de service simultanément au versement d'une prime importante. Comme par hasard, elles travaillaient toutes à proximité de « Plic & Ploc ». Et comme par hasard, elles ont été déplacées dans une autre implantation du groupe. Parfois, la hausse de salaire et le montant de la prime ont été particulièrement élevés. La « RH» doit donc avoir un barème en fonction de la nature du harcèlement subi.
Suzanne boit son café. Elle va rentrer chez elle.
Le lendemain, peu avant dix heures, Suzanne se présente à l'entrée de l'ascenseur privatif de Nabuchodonosor. Daniel l'y attend. « Je viens avec vous. » lui dit-il. J'ai de quoi confondre ces deux vieillards lubriques.
Mais, dans le roman de Noëmie Diégèse, « Nabuchodonosor », c'est le surnom du P-DG de la « boîte ». La « Fosse aux lions », ce sont les gros actionnaires. Et Suzanne est engagée dans le mouvement #metoo...
Un roman drôle et cultivé qui mêle les légendes de l'ancien testament à la haute-finance internationale dans un quartier d'affaires aux portes de la capitale.
« Le Conseiller de Nabuchodonosor » serait-il le premier livre d'une longue série ?