Diégèse




mardi 29 octobre 2019



2019
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À force de références 302



Mathieu Diégèse














Il s'est donné rendez-vous à lui-même à la gare de Paris-Bercy. C'est la conséquence directe de sa dernière séance chez son psychothérapeute. Il y est revenu sur son goût pour les références et ces références qui lui manquaient désormais, comme effacées de sa mémoire ; effacées ou refoulées. Il a pu dire enfin deux choses qui lui ont semblé importantes : tout d'abord que ces références étaient, même quand elles étaient partagées, de l'ordre du dialogue intérieur et qu'il était peut être en conséquence préférable de ne pas vouloir les partager systématiquement ; ensuite, qu'elles faisaient écran à la perception de la nouveauté, de l'inattendu, voire à la surprise.

Il va donc prendre le train à Paris-Bercy. Il n'y a aucun souvenir personnel. Il n'a aucun souvenir de livre ou de film où les personnages prennent le train à Paris-Bercy. Il le pourrait cependant, car, c'est de cette gare que partaient auparavant, jusqu'en 2011, les trains de nuit pour Venise. La gare se nomme aujourd'hui « Bourgogne-Pays d'Auvergne », ce qui ressemble davantage à une invitation à la gastronomie roborative rurale qu'à une échappée dans un film de romance.

Son train est à quai. Il n'y a pas de retard. Il est 8h28 et son train partira à 8h38. Il a donc largement le temps de prendre place à bord. À 9h36, il devrait arriver en gare de Sens avant d'atteindre Joigny à 9h52. C'est à 10h08, si tout va bien, qu'il arrivera à destination à Laroche-Migennes, une gare qu'il ne connaît pas, où il n'est jamais allé, une gare qui sonne creux dans sa mémoire, qui ne correspond pas vraiment à une ville, un peu comme si personne n'y était jamais allé. Il a d'ailleurs toujours pensé que Laroche-Migennes était une destination fantôme. Laroche-Migennes ne lui fait penser à rien et c'est pourquoi il a choisi cette destination.
Il reviendra par le train de 14h04 qui le mènera à Paris-Gare de Lyon à 15h28. Il ne verra donc pas deux fois la gare de Paris-Bercy « Bourgogne-Pays d'Auvergne ». Il espère qu'il aura pu déjeuner sans difficulté.

Assis à sa place, il pianote sur son téléphone pour trouver une référence. C'est plus fort que lui. Et il trouve, bien sûr. Laroche-Migennes, c'est la gare où en 1937, après leur mariage, le duc de Windsor et l'Américaine Wallis Simpson ont embarqué dans l'Orient-Express, qui les avait attendus pendant des heures. C'était le 3 juin. Il n'a plus suffisamment d'imagination pour se figurer le couple princier et sa suite dans cette gare d'une ville qui n'existe pas.

Quand il arrivera là-bas, il traversera le canal de Bourgogne et s'installera dans un des cafés de la rue Pierre-et-Marie-Curie. Il commencera ensuite son roman. Il s'amuse à l'idée que c'est là que le conduisaient depuis toutes ces années ses références cultivées : commencer un roman dans un bar de la gare de Laroche-Migennes.









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4e de couverture






« Ça me fait penser à... » et c'est parti pour plusieurs minutes. Ses proches n'en peuvent plus de devoir supporter le défilement logorrhéique de toute l'histoire de l'art, de toute la littérature et aussi du cinéma. Récemment, il s'est même mis aux séries télévisées et quand, soudainement, il s'est exclamé : « Ça me fait penser à l'épisode 39 de Docteur House ! », un silence consterné a pris la place de la conversation jusqu'alors animée. C'est plus fort que lui. Il faut qu'il donne des références. Il a consulté. Les médecins n'ont pas décelé de trouble psychiatrique particulier et lui ont demandé de ne pas revenir, affirmant que eux aussi regardaient Docteur House et avaient lu quelques livres. Mais, un jour, il se réveille avec une impression étrange de vide, de blanc, de vacance. Il regarde par la fenêtre. Il pleut. Il se dit qu'il pleut. Il va dans la cuisine. Il dit qu'il pleut. Il n'ajoute rien à la pluie. Il prend un café. Il dit que le café est bon. Il n'ajoute rien. Que s'est-il donc passé ?
Mathieu Diégèse signe un roman drôle et curieux. On se prend à parcourir les encyclopédies pour suivre les références nombreuses de ce personnage maniaque, puis on continue pour tenter de retrouver quelques-unes des références qu'il a oubliées. Mais, ce roman est aussi une réflexion, en creux, sur ce qu'est l'érudition, cette peur de manquer.










29 octobre







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