Diégèse




jeudi 31 octobre 2019



2019
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Pensée magique 304



Daniel Diégèse














Quentin pratique la divination personnelle via les réseaux sociaux. Il commence sa journée par déterminer si elle risque d'être plus ou moins agréable. Pour ce faire, il allume son ordinateur et se connecte sur le « fil » personnel que lui ont préparé des algorithmes qu'il ne maîtrise évidemment pas. Mais, ce qu'il maîtrise, c'est sa capacité à compter. Quentin va donc compter. Il commence par s'attacher à la publication qui correspond au nombre affecté au jour dans la semaine, le premier jour étant le dimanche. Ainsi, en supposant que nous sommes jeudi, il comptera jusqu'à cinq et lira la cinquième publications qui apparaît dans son « fil ». La tonalité générale de celle-ci lui fournira une indication précieuse sur la tonalité de sa propre journée. Au fil des jours, des semaines et des mois, il en a donc conclu à la nécessité de rompre avec les fâcheuses et les fâcheux qui encombraient son « fil » de mauvaises nouvelles, celles et ceux qui traquent en permanence les preuves de la destruction de la planète et de la montée des fascismes dans le monde. Il avait ainsi acquis la conviction que leur pessimisme pathologique retentissait lourdement sur son humeur et qu'elles et ils faisaient en sorte qu'il passât une mauvaise journée, que l'on fût lundi, mardi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi ou même dimanche. Il s'est alors reporté sur des « ami.e.s », souvent de vagues connaissances de connaissances, qui voient la vie d'une meilleure manière et qui célèbrent la pluie quand il pleut et le soleil quand il ne pleut pas, qui publient des photos de vacances quand ce sont les vacances et qui publient des photos de vacances quand ce ne sont plus les vacances ou pas encore les vacances. Il a même des « ami.e.s » qui ne partent pas en vacances mais parviennent cependant à poster des photos de vacances. Il a remarqué que le pays le plus apprécié de ses amis optimistes est le Japon, sans doute parce qu'il est loin. C'est pourtant un pays de catastrophes où les tremblements de terre provoquent des tsunamis qui fissurent les centrales nucléaires, mais peu importe, arriver le matin sur une publication d'ami.e concernant le Japon est le gage que l'on va passer une bonne journée. En revanche, il n'a pas pu complètement éradiquer de ses connaissances électroniques celles et ceux qui commentent l'action du gouvernement, et cela nuit gravement à son humeur. Car, il a eu beau chercher parmi ses connaissances et les connaissances de ses connaissances, il n'a pas trouvé de commentatrices et de commentateurs qui louent à coup sûr l'action du gouvernement en place. Bien au contraire, les actes gouvernementaux ne sont cités que pour être critiqués. Il a dû s'y résoudre et cela lui a valu des jours douloureux, notamment quand il arrive dès la matin sur la narration de violences policières. Il a d'ailleurs l'impression que cela se densifie dangereusement ces derniers temps, mais il ne voit pas comment y échapper.

En deuxième intention, mais seulement quand il a le temps, il vérifie dans son agenda électronique le nombre de semaines et même parfois, quand lui-même est en vacances, le nombre de jours, ce qui est plus facile en début d'année. Il s'agit du même protocole que le protocole quotidien, sauf que le nombre de semaines lui indique si la semaine sera bonne et le nombre de jours de l'année la couleur générale de l'année.

Que fait ensuite Quentin de ces auto-prédictions ? Il se dépêche de les oublier. Quentin est un homme pressé et très occupé qui n'a que faire des superstitions, fussent-elles électroniques.









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4e de couverture






« C'est un signe ! » Combien de fois avez-vous entendu cela ? Combien de fois, vous-même, avez-vous dit ou pensé cela ? Parfois, le signe était favorable et parfois, il était funeste. Parfois, vous vous êtes dit rétrospectivement qu'il eût fallu que vous fissiez plus attention aux signes qui vous entouraient. Et pourtant, vous n'êtes pas superstitieux !
Toutes les civilisations ont développé des pratiques divinatoires, souvent consolatrices. Mais, notre monde dit moderne se caractérise par le fantasme technologique et scientifique qui voudrait que tout soit prédictible. Et nous avons d'ailleurs dans nos poches des appareils connectés qui interprètent notre environnement et le traduisent en prédictions raisonnables : météo, temps de trajet et même, en fonction de la mesure du rythme cardiaque, espérance de vie. Pour autant, la pensée magique demeure et nombreux sont ceux qui recyclent les pratiques divinatoires ancestrales. On ne compte plus dans les villes les mages, les voyantes, les cartomanciennes ni les chamans... Mais cela n'est pas le propos de l'anthropologue Daniel Diégèse qui s'attache quant à lui à déceler de nouvelles pratiques divinatoires, directement issues de la culture contemporaine et n'empruntant aux époques passées que d'hypothétiques structures élémentaires, pour reprendre le terme de Claude Lévi-Strauss.
Notre époque aurait donc sa propre magie et Daniel Diégèse nous la révèle... un peu.










31 octobre







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