Diégèse | |||||||||
samedi 21 septembre 2019 | 2019 | ||||||||
ce travail est commencé depuis 7204 jours (22 x 1801 jours) | et
son
auteur est en vie
depuis 21657
jours (3 x 7219 jours) |
||||||||
ce qui représente 33,2641% de la vie de l'auteur | |||||||||
hier |
L'atelier du texte | demain | |||||||
Le Chauffeur de Tito | 264 | ||||||||
Daniel Diégèse | |||||||||
« Il
fallait des Mercedes, toujours plus de Mercedes, pour alimenter la
chorégraphie des déplacements officiels. Il y en avait parfois une
dizaine. La Mercedes 600 Landaulet que je conduisais était au centre,
bien sûr. Le Maréchal et, avec lui très souvent, son épouse était
derrière. Une paroi vitrée séparait leur compartiment du mien. Elle
était souvent baissée. À vrai dire, je n'étais jamais tranquille
pendant ces parades interminables. La 600 avait un moteur à huit
cylindres en V de 6,3 litres, ce qui peut sembler gros, mais qui ne
l'est pas tellement quand on pense que certaines Jaguars de cette
époque ont des moteurs plus gros et pèsent moins lourds. C'était une
voiture qui pesait près de trois tonnes et mesurait 6,24 mètres de
long. Le moteur n'a jamais chauffé. Le service des hautes personnalités
de la firme de Stuttgart envoyait régulièrement des techniciens pour
vérifier que tout allait bien. Ce qui était particulièrement sensible,
c'était le système hydraulique qui faisait fonctionner tout à la fois
la suspension, l'ouverture du toit et des fenêtres, et la fermeture
automatique des portes. Qu'il tombât en panne et les trois tonnes se
seraient affaissées sur le bitume. Autant dire que ce n'était
absolument pas envisageable et si cela était arrivé, je pense que le
responsable du garage de la Présidence serait allé en prison jusqu'à la
fin de ses jours et peut-être que moi aussi. Mais, cela n'est jamais
arrivé. Nous avions d'excellents mécaniciens qui étaient en fait plutôt
des spécialistes de l'aviation formés en Union soviétique. Un d'entre
eux, cependant, avait été formé en France, secrètement, chez
l'avionneur Dassault, je crois. Avant chaque déplacement officiel, nous
passions une journée entière à vérifier que tout allait bien. Ensuite,
nous chargions les Mercedes sur des camions pour rejoindre la ville du
déplacement. Le convoi était escorté par la police de la route. Nous
avions la consigne de ne pas quitter les voitures des yeux. Chaque
chauffeur de chaque Mercedes devait rester avec le chauffeur du camion
qui la transportait. Le voyage était parfois assez long et les routes
n'étaient pas toujours très bonnes, malgré ce qu'en disait la
propagande officielle. Quand nous arrivions sur place, nous préparions
les voitures et nous attendions. Il est arrivé que le déplacement fût
annulé. Nous repartions alors dans la même configuration, toujours sans
nous éloigner de nos voitures, demandant à un collègue de surveiller la
nôtre quand nous devions quand même nous absenter pour des motifs bien
naturels. Quand le signal était donné au chef de la sécurité qui
commandait le convoi et l'escorte, nous rejoignions l'aéroport
militaire où le Maréchal allait arriver. Nous guettions l'avion. Le
Maréchal descendait et c'était parti. Dès la sortie de la base
militaire, les rues étaient pavoisées et dès les premières habitations,
les habitants agitaient des drapeaux qui leur avaient été distribués la
veille par le Parti. Quand nous arrivions en centre-ville, le cortège
ralentissait. Je découvrais la limousine, priant pour que le système
complexe ne se bloquât pas, le Maréchal se levait et la parade
commençait. Les cris de la foule couvraient sans difficulté les moteurs
des grosses voitures allemandes. Je ne bougeais pas. J'avais ordre de
ne pas bouger, de ne pas tourner la tête, comme ces gardes des palais
royaux. J'en ai gardé depuis tout ce temps une raideur dans la nuque
qui, quand le temps est à la pluie, me fait atrocement souffrir. Quand je rentrais chez moi, je prenais ma Zastava... quand elle n'était pas en panne. » |
|||||||||
page 264 | |||||||||
Toute la collection | 4e de couverture | ||||||||
On
ne se souvient plus très bien du maréchal Tito, ce Josip Broz appelé
Tito après la guerre, de son nom de résistant communiste, et mort en
mai 1980. Il hantait les reportages télévisés où l'on montrait des
foules communistes en liesse bénies par des vieillards à l'œil sévère.
Et puis, si l'on cherche mieux dans sa mémoire, on se rappelle
peut-être que la Yougoslavie, qu'il dirigeait, était
« non-alignée »... Et cette position, ni à l'est ni à
l'ouest, laissait alors la Yougoslavie dans une apparente tranquillité.
Daniel Diégèse nous raconte la vie quotidienne du pouvoir en ex-Yougoslavie par le biais des souvenirs d'un homme qui a côtoyé au plus près, dans de nombreuses circonstances, le maréchal président à vie : son chauffeur. On l'aperçoit parfois, dans des films vieillis, sur des photos jaunies, impavide derrière le pare-brise de limousines découvrables. L'homme est de Kragujevac, la ville des Zastava, ces voitures qui étaient alors d'anciens modèles FIAT assemblés sur des chaînes importées. On parcourt avec lui un monde encore proche et familier, où l'on reconnaît les grands de ce monde qui viennent tous ou presque faire leur tour de Belgrade, mais un monde disparu dans les cendres et le sang. Ce roman est un roman historique original, attachant, tendre et drôle. On lui donnerait l'absolution, à ce chauffeur de Tito... Et pourtant... |
|||||||||
21 septembre |
|||||||||
2009 | 2008 | 2007 | 2006 | 2005 | 2004 | 2003 | 2002 | 2001 | 2000 |
2018 |
2017 |
2016 |
2015 |
2014 |
2013 |
2012 |
2011 |
2010 |