Cela fait plusieurs
jours maintenant que je me suis engagé dans cette longue promenade
qui
me conduit le long de
l'estuaire de la Loire. Je suis à Nantes et demain, Nantes pourra bien jouer
de ses couleurs, je la quitterai pour Saint-Nazaire. Je
ne suis pas resté très
longtemps dans la ville, juste le temps de chasser les démons du
souvenir et leur ronde
infernale en retournant voir quelques lieux aimés dans une exaltation que je
trouve d'ailleurs un peu ridicule et inutilement dramatique. Je m'en
suis sorti en fredonnant Barbara, sauf qu'il ne pleut pas, qu'il fait
très
beau, que j'ai marché
lentement dans les rues de Nantes dans une de ces petites
traversées de la vie qui font une vie plutôt agréable,
même si on la parcourt parfois en baillant. Je suis désolé,
souvent, de ne pas être suffisamment généreux avec
moi-même, voire d'être indifférent à moi-même. Et quand je suis plus
indifférent à moi-même, j'en viens à en oublier les autres. Or, ce sont les autres qui me
donnent la preuve jamais certaine de mon existence. Ce n'est pas
l'écriture, surtout si j'ai, comme dirait Barthes, « Le désir d'écrire
comme seul désir ». Est-ce
que j'existe dans les textes que j'écris ? Quand il y a
Barthes, Foucault n'est jamais bien loin et Foucault a parfaitement
répondu
à cette question dans sa conférence sur les
hétérotopies donnée à la radio en 1966 : « On
ne vit pas
dans un espace neutre et
blanc ; on ne vit
pas, on ne meurt pas, on n’aime pas dans le rectangle d’une feuille de
papier... » assène-t-il avec cette voix tranchante si
caractéristique.
Alors, est-ce que l'estuaire de la Loire est pour moi une
hétérotopie ?
Si je réponds par l'affirmative, je devrai trouver ensuite le secret qui y est
dissimulé et cela, c'est une
autre histoire. J'ai l'idée que l'estuaire,
plutôt, fonctionne à la fois comme une métaphore un peu facile, celle
de la vie qui s'écoule et comme une mise en abyme, celle
du texte qui défile dans la vie qui s'écoule. Mais, pour que la mise en abyme
soit complète, encore faut-il qu'il y ait un texte et que le texte
ait un auteur.
L'auteur comme autre, voilà déjà un jeu littéraire.
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