Quand je suis en Grèce,
j'ai envie de m'arrêter dans tous les théâtres
antiques de la Grèce.
Mais, je m'arrête à Δράμα, qui s'écrit Dráma en caractères latins.
C'est la première ville grecque où je m'arrête sur le chemin du retour
de Turquie et il n'y a pas de théâtre, sinon un méchant amphithéâtre
moderne qui porte le nom de la sainte Barbara. C'est une halte avant la
Bulgarie. La ville a d'ailleurs failli être bulgare lors du
démantèlement de l'empire ottoman. Elle a été grecque, à l'arrachée.
J'aime m'arrêter à Dráma, qui n'a pourtant rien de particulièrement
intéressant, si ce n'est son nom qui ne vient même pas du terme
« drame », mais je crois au poids du signifiant, qui
fonctionne, je
le sais, dans
d'autres cultures et civilisations aussi. Ce sont les Byzantins qui
ont donné le nom
de
Dráma, par contractions successives, à la Dravescus romaine, dont le
nom venait de celui d'un village thrace de l'antiquité. J'ai toujours
été intéressé par les signifiants, et pas seulement dans une approche
psychanalytique, mais aussi, et surtout, dans une approche
linguistique.
Il me semble que le signifiant forme ce que je nommerai un « écran téléologique ».
Je veux dire quelque chose et le signifiant s'impose entre ce que je
veux dire et ce que je dis. C'est par le
signifiant plus que par le signifié que l'intuition se manifeste et ce,
jusqu' à la prophétie qui n'est en fait que signifiant. Car, de l'intuition à
la prédiction, il n'y a qu'un pas. c'est une dynamique
linguistique et cognitive inscrite dans les schèmes archaïques des
récits humains. C'est peut-être parce que j'aime trop les
signifiants que j'ai
si peu de mots pour écrire et que je ne sais rien, en fait.
Je vais rester quelques jours
ici. Il ne se
passe rien
et cela m'évite de
penser. J'ai besoin
de repos dans une ville sans touristes. En
Turquie, je n'ai pu
penser un seul instant au soleil et à la mer et déjà, en cette
mi-octobre, même en Grèce, la lumière baisse.
Et puis de toute façon, il n'y a pas la mer à Dráma. J'ai quelques
symptômes. À
mesure que
j'allais vers l'est, les
troubles avaient cessé d'eux-mêmes. Il est tout à fait manifeste
qu'ils reviennent comme je reviens vers l'ouest. Je me sens un peu
comme ce King of sorrow de cette vieille
chanson de Sade que je fredonnais en boucle dans la voiture.
Heureusement, il y a ces mots que je pose et que je
noue. Le voyage,
comme l'amour, aussi est un texte fugitif. Ainsi, aimer, ce serait
toujours et avant tout produire du texte. Même à Dráma.
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