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Jamais autant
qu'à Priolo Gargallo, la Sicile est aussi africaine. J'y viens depuis plusieurs
années, depuis plus d'une décennie, sinon deux décennies. Je me
suis autrefois promené dans la ville endormie,
reconnaissant le bungalow
où je logeais à l'une
des lampes de la maison qui était restée allumée. J'y retourne
aussi par une autre
coquetterie, celle d'y avoir des
souvenirs de promenade vers des salins injustement préservés de
l'emprise de la centrale électrique qui les jouxte, prolongée par une
gigantesque station d'épuration dont on reconnaît depuis loin la suavité du parfum.
Mais, quand je pense à Priolo Gargallo, ce n'est pas à cela que je
pense, mais à une table précise dans une auberge modeste de ce qui sert
de centre-ville, près du jardin public, une table de cette auberge qui
sait donner prise à
un peu de temps perdu.
Le temps qui
passe a
parfois l'effet d'une loupe, tout écrivain sait cela, comme il sait
ce qui va se
passer ces prochaines années. Je sais par exemple que par un événement inattendu,
un soir, dans
une ville banale, je comprendrai alors que je suis en voie d'obsolescence
avancée. Ce qui provoquera cela n'est pas
un fait de société, n'est pas un fait divers, n'est pas un
malheureux fait divers, mais une petite chose, un trébuchement de
l'esprit qui fera que je cesserai d'écrire sans aucune réserve
et que j'aurai alors d'autres
habitudes et d'autres occupations que celle de se promener en
Sicile et de tenter d'écrire. Ce travail d'écriture a d'emblée été
maudit par le cours de Barthes sur le roman que j'écoute en boucle dans
la voiture. Ce matin encore, dans l'habitacle, sa voix intemporelle
résonnait : « Je
puis vivre l'œuvre à faire comme une sorte de dérèglement. Une
folie, une manie, qui me coupe de tout, une espèce de schize. », ou
comme un délire pourrais-je ajouter et peu importe, car, le délire est tout
aussi vrai que ce qui se présente comme objectivité raisonnable. Je
sais bien que c'est sur le roman que ce texte achoppe, sur l'idée du
roman et c'est
terrible que déjà cet espoir de fiction-là
soit évanoui. Je n'écrirai pas de roman. Ce texte est construit
sur la déception et n'a d'autre ambition que de décevoir toute
tentative de lecture. Il est comme
ces mécaniques de jouet qui continuent de donner aux jouets
cassés des soubresauts aléatoires et d'autres tressaillements.
Bon. J'arrête là. C'est surtout qu'il s'agirait de se
remettre en forme. C'est clair.
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