Diégèse Calendrier de vie de l'auteur en spirale d'Ulam
samedi 31 décembre 2022



2022
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le tour des sous-préfectures : Montdidier - Somme - Hauts-de-France











Montdidier sera la dernière sous-préfecture que je visiterai. Ce parcours, commencé il y a plus d'une année s'arrête aujourd'hui, dans cette rescapée de la Somme, sous-préfecture déchue puis réactivée il y a une dizaine d'années. Je ne suis pas mécontent que ce voyage s'arrête, parce que c'est épuisant de voyager sans cesse, surtout pour un homme de mon âge. Quand Pasolini a fait La longue Route de sable, il était encore jeune, ce que je ne suis plus pour cette longue route, inachevée, des sous-préfectures de France, c'est-à-dire, de ces villes qui, davantage encore que leurs grandes sœurs préfectorales, constituent le maillage de ce qu'il est convenu de considérer comme étant la province et, en Île-de-France, la banlieue, bref, ce qui, en France, n'était poas jusqu'à peu pas désirable, contrairement à la campagne et à la ville. Que la plupart des sous-préfectures soient, ne faisant ainsi pas mentir Alphonse Allais, des villes à la campagne, ne faisait rien à l'affaire. C'était au point, d'ailleurs, que le ministère de l'Intérieur peinait parfois à recruter des sous-préfètes et sous-préfets impétrants, qui n'acceptaient le plus souvent la charge que pour mieux viser un poste jugé plus important.

Au tournant des années 2000, la doctrine urbanistique a privilégié le tout-métropole sensé procurer au pays plus de compétitivité par effet de cluster. Les futurologues d'alors n'avaient pas prévu que ces clusters seraient d'abord des clusters de pandémie, de criminalité et de chômage. Certains, pourtant, l'avaient vu, prédit et analysé, mais, regardé·e·s comme des gauchistes, iels n'ont pas été écouté·e·s et leurs travaux regardés d'un œil réprobateur par la technocratie dominante d'alors. C'est aussi que la sous-préfecture est le royaume de l'étalement pavillonnaire. Or, on le sait, le pavillon est la bête noire des urbanistes qui y voient, sans doute à raison, un surcoût dans la consommation d'espace, d'énergie, de transports et de services. Il fallait donc à tout pris densifier. Cependant, comme les espaces ainsi densifiés n'étaient pas désirables sauf pour la promotion immobilière, les centres-villes se sont dégradés, qu'il a donc fallu requalifier. En outre, c'est sur cette représentation folklorique du peuple que les extrémismes ont prospéré.

Ce qui fait le succès des sous-préfectures dans ces années 2030, c'est que beaucoup ont échappé, surtout les plus petites et les plus éloignées des aires métropolisées, à ces palinodies des savants aménageurs du territoire. Elles ont gardé un centre, des magasins un temps fermés ont rouvert grâce à la vogue des circuits courts et des modes de transport doux. Le bâtiment de la sous-préfecture, rebaptisé cocassement « Maison de l'État », participe à ces effets de centralité... douce. (Sauf à Montdidier où l'on a cru bon d'installer ces bureaux à la sortie de la ville). Bref, les sous-préfectures ont le vent en poupe et j'ai pu donc griffonner en ce sens un rapport à mes commanditaires. J'espère qu'il aura quelque utilité. Je n'en avais pas fait état ici, mais ce rapport confidentiel était bien le but de ce parcours. C'est aussi pourquoi, outre l'Île-de-France où il s'agissait de mesurer, en écho avec des travaux que j'avais menés dans les années 2010, les effets du métro du Grand-Paris, je me suis attardé dans des territoires qui, pour la plupart, étaient en perte d'attractivité il y a encore une vingtaine d'années.

La conclusion est sans appel : les sous-préfectures ont le vent en poupe. Elles ont connu la plus forte hausse de l'immobilier en dix ans, elles créent de la richesse et connaissent un taux de natalité bien supérieur aux préfectures de département et aux préfectures de région. En ce qui concerne les pratiques culturelles et sociales, on remarque que la permaculture a largement remplacé la messe du journal télévisé et que les habitants ont utilisé la fibre déployée pour créer des boucles locales d'échanges de services et de biens par une forme de relocalisation des moyens de production vivrière que l'on constate d'ailleurs partout à travers le monde. Le soir, la pratique ancestrale des veillées a été reprise grâce à des bourses d'échanges de savoir-faire. Les villes n'étant plus éclairées la nuit, l'obscurité est parcourue par de petits groupes de loupiotes solaires et noctambules et de véhicules personnels électrifiés. Parmi les techniques échangées, celles relatives au plessage sont très populaires. On sait qu'il s'agit des différentes façons de tresser les végétaux pour constituer des haies. La mode est aux couleurs vives, que l'on distingue mieux dans la pénombre. La décarbonation des modes de consommation a bien sûr aussi modifié les pratiques alimentaires et il ne viendrait à l'idée de personne ou presque de proposer à la vente des cerises en hiver. Le glanage fait florès et depuis leur plus jeune âge, les enfants connaissent chaque inflexion du paysage, chaque ravine et chaque creux. De nouveau dans la campagne, personne n'est jamais perdu et les anciennes toponymies associées à de nouvelles sont connues de toutes et de tous. Les parkings abandonnés des zones commerciales servent à d'entraîner au vélo acrobatique et à d'autres sports silencieux. Parfois, dans certaines villes, on ne sait même plus très bien où ils se situaient.

Bien sûr, la grande rupture a eu lieu en 2025, lors de la grande dépression après laquelle, pour faire face à la dureté des temps, la population, poussée et tirée par la jeunesse, a changé son comportement.

J'ai retrouvé à Montdidier deux artistes rencontré·e·s jadis qui ont ouvert un cours privé d'enseignement artistique. Nous sommes allés nous promener ensemble le long de la rivière des Trois Doms. Je voulais aller de Courtemanche à Gratibus pour le seul plaisir toponymique. J'aime beaucoup ces artistes et pas seulement parce qu'ils ont eu des mots aimables à mon endroit. Je les ai connu·e·s encore étudiant·e·s et iels avaient déjà l'idée de ne pas jouer le jeu du marché de l'art pour vivre leur vie d'artiste autrement dans la cité. Pendant la pause, iels m'ont confirmé que les services qu'iels rendent à la population vont bien au-delà des cours, par une présence quasi chamanique qui les a institué·e·s guérisseuse et guérisseur des petits bobos et des angoisses.

Il reste à espérer que cette période nouvelle tiendra ses promesses de renouveau.












31 décembre






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