Je
suis de retour pour quelques jours dans la ville déchue, la ville souillée.
Voyager, depuis quelques années, est devenue une forme d'expédition moderne.
La négociation
fut longue, mais je crois avoir obtenu ce que j'étais venu
chercher. Il en va ainsi des affaires humaines.
Devoir expliquer à des gens qui n'en veulent rien savoir que l'on
essaie de les aider est évidemment absurde.
On pense qu'ils vont comprendre avant qu'on leur explique, mais cela n'arrive
jamais. Pourtant, ce que je venais proposer, c'est d'inventer un texte et
un voyage vraiment nouveaux.
Quand je suis sorti, le reste de la journée était vacant et cela
provoque toujours cette
forme d'émotion
que l'on ressent au début des vacances, quand on est enfant. Mais
j'étais épuisé et tout mon corps pesait de cette fatigue qui fait que les paupières tombent
aussi, descendent une pente immobile.
Je suis allé voir quelques toiles dans des galeries, pensant que cela,
au sens propre, me délasserait, mais j'étais si fatigué qu'elles me
semblaient comme un
tissu défraîchi et me renvoyaient ma fatigue dans une sorte de
redoublement. On croit avoir avec l'art un rapport immuable. On croit le savoir
mais on ne le sait pas très bien. Je suis alors entré dans une
librairie pour choisir un livre pour les heures qui suivraient. Ce sont les grands
écrivains, les grands philosophes, les grands artistes, les grands
musiciens qui permettront d'épuiser la fatigue et c'est pourquoi il
ne faut confier sa
fatigue, sa propre fatigue qu'aux
plus grands, même si l'ombre des géants est
trop froide. Ils n'ont cependant pas réussi à me réveiller. Alourdi
de livres, je suis sorti marcher. Le vent froid mais
doux encore passait autour de mes yeux et en enlevait les
cernes. M'est revenue alors en mémoire la voix sentencieuse de Barthes citant Kafka
au Collège de France : « Dans
le conflit
avec le monde, on ne peut pas se prévaloir d'une erreur du monde. Le
monde est dans le vrai. Car la vérité est dans l'indissoluble unité du
monde humain. » et c'est alors que j'ai senti que mon rapport avec la fatigue
était non
seulement en train de se modifier, mais qu'il était aussi en train de
s'inverser.
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