L'année
civile est terminée. On s'est souhaité de joyeuses fêtes de fin
d'année, s'amusant encore de l'expression marseillaise :
« Bon bout d'an ! » Le
temps est étonnamment doux et dans la
mer, on se baigne. Mais, à ces baignades dans l'azur ensoleillé, au tournant de l'année
qui approche, j'oppose la permanence de mes
sensations de froid, de vent, de pluie, comme on passe d'une
rive à l'autre.
Je quitterai cette ville sans avoir mis un doigt de pied dans la
Méditerranée. J'argue qu'elle est froide, mais ce n'est pas la raison.
La terre a
tremblé dans le nord de l'Iran.
Elle choisit souvent le nord de l'Iran pour trembler, la terre, et je
me demande ce qui, en Iran, peut ainsi lui causer de l'effroi. C'est
peut être la foi. Car,
la foi s'oppose au sens commun et cette opposition est ontologique.
Et cela fait trembler la terre.
J'espère que la terre ne tremblera pas à Ganagobie pendant ma retraite.
Je regarde une dernière fois le site et je lis : « Si vous avez la
chance
d'arriver sur le
plateau un après-midi d'hiver, vous verrez peut-être la lumière rasante
du soleil se projeter contre l'église et le monastère et en faire
chanter la belle pierre douce en un somptueux flamboiement d'or. »
J'arriverai demain dans l'après-midi. Je pourrai donc vérifier
l'exactitude de l'argument publicitaire qui prend des allures de
prophétie.
Je ne vais pas là-bas pour m'y reposer, mais pour changer. Cependant, qu'est-ce
que changer ? Que peut-on d'ailleurs changer ? Cela reste
flou. J'avais un temps pensé changer avec toi, quand nous nous retrouvions
au centre-ville. J'y vais surtout pour « entendre autre
chose » que
le bruit médiatique. J'y vais pour connaître cette même
expérience qui est le même présent. Je me souviens que Barthes
opposait au présent l'actuel. « Le présent est
vivant tandis que l'actuel peut n'être qu'un bruit, quelque chose qui
n'est pas vivant. »
Je vais donc vers la vie du présent dans un lieu où chaque jour est le
même présent et qui connaît donc véritablement ce qu'est le présent.
Je vais continuer à écrire, même si je n'écris pour
personne, et même pas pour moi, même si je doute de la
possibilité même de l'écriture. Et pourtant tout cela
est faux, manifestement. Car, tout
peut devenir doute et même le temps qui passe. Même la
loi sur le temps
impose d'intercaler une seconde supplémentaire à la quarante-et-unième
seconde de la dernière minute de l'année, pour ne
pas laisser dériver le temps, parce que la
rotation de la terre
est trop irrégulière et que c'est pourtant la rotation de
la terre qui définit le temps, qui fait obéir le temps des
horloges atomiques, et c'est
la rotation de la terre qui impose de décaler d'une seconde les
horloges atomiques. |